A bonne distance du Démoniaque, je me sentis tout de suite un peu mieux. Je m'étais rapprochée de la plume d'oiseau et son odeur apaisante enleva un certain poids sur mes épaules, calmant mon rythme cardiaque et mes picotements. Mais je n'étais pas inconsciente et je ne perdis pas Dettlaf de vue. Son regard s'éclaircit et il papillonna des paupières, repoussant par la même occasion les larmes qui menaçaient de tomber. Le chef des Papillons soupira et passa sa main sur son visage, d'un geste las. De nombreux vaisseaux sanguins ressortaient sur ses biceps puissants et ses yeux s'ancrèrent au sol pendant de longues secondes. Il ne bougeait plus et un lourd silence s'installa dans la pièce. La situation était assez inconfortable, puisque plusieurs minutes passèrent sans qu'aucun de nous n'entame un geste. Finalement, il redressa la tête et vissa ses prunelles aux miennes ; ses lèvres étirées en une fine ligne.

— Je... suis désolé. Je ne sais même pas pourquoi je t'ai posé une telle question. (Il ricana platement). Evidemment que tu es humaine, tu n'as pas pu faire cela. C'est juste que...

Il souffla de nouveau, secoua ses boucles et alla prendre appui contre son bureau. Ses paumes se posèrent sur son visage et il resta longtemps dans cette posture. Seul le son de sa respiration saccadée se faisait entendre. Je mordillai ma lèvre inférieure tout en le regardant. Je n'y étais pour rien, du moins je le croyais dur comme fer, mais le voir si perdu, si impuissant, si mal me dérangeait.

— Mes souvenirs d'eux sont remontées à la surface, m'expliqua-t-il d'une voix enrouée par la tristesse. Je... Mon cœur n'a pas supporté.

Il émit un rire jaune et laissa ses bras retomber mollement. Je ne répondis rien et serrai les dents. J'aurai aimé lui dire quelque chose de réconfortant, de consolant, mais rien ne me passait par la tête. Une émotion contracta légèrement mon muscle cardiaque : la tristesse. Malgré sa petitesse, je la sentais au fond de moi et je savais qu'elle provenait du Démoniaque.

Je me rapprochai de lui et soufflai. Sans savoir trop quoi faire, je tapotai son épaule dans un geste qui se voulait apaisant.

— Je suis désolée. Je ne sais vraiment pas comment je me suis retrouvée dans votre mémoire mais, je suis désolée.

Ses épaules se décontractèrent et lorsqu'il releva la tête, je compris qu'il sourirait. Certes, un tout petit sourire, mais c'était déjà un bon début. Il redressa son tronc et me regarda.

— Ce n'est pas ta faute, enfin je crois. Je n'ai rien fait pour que tu t'y retrouves et je ne comprends pas ce qui s'est passé. (Ses yeux se voilèrent et il hésita un instant à continuer). De plus, tes barrières mentales...

Je sentis la bile remontée le long de mon œsophage lorsqu'il soupira. Le ton qu'il employait ne me convenait pas et mon incompréhension s'accrut. Que se passait-il avec mes barrières mentales. En fait, qu'était-ce exactement qu'une barrière mentale ? Et était-ce lié au sort d'Aüshar ? Bon sang, j'allais devenir folle avec toutes ces questions.

Je raclai ma gorge et bougeai légèrement vers la gauche.

— Le sort d'Aüshar...

Ses yeux se posèrent sur moi avec sérieux. Je sentis au plus profond de moi que ce qui allait suivre n'allait pas me plaire. Mon ventre se contracta alors que je m'apprêtais à entendre la suite. Au moment où sa bouche s'ouvrit, la porte s'ouvrit à la volée, le coupant. Nicholaos pénétra dans la salle, le regard plongé dans un dossier.

— Dettlaf, pourquoi traînes-tu autant...

Elle releva la tête et sa phrase mourut dans sa gorge alors qu'elle nous contemplait, chacun à notre tour. Un de ses sourcils se haussa devant notre proximité et elle pinça ses lèvres. Je ne savais pas ce qui lui passai par la tête mais je préférai ne pas m'attarder sur ce point. Je reculai d'un pas et jetai un coup d'œil au Démoniaque.

Papillons de minuitWhere stories live. Discover now