4| Dossier 👺

4K 474 113
                                    

Kim Taehyung

Je titube, recule en fixant le tableau, un sentiment amer se mue au sein de ma poitrine... je ne peux rester plus longtemps. Je m'enfuis le plus loin possible de ces regards étouffants qui réveillent en moi un brasier de terreur. Mes muscles tendus tordent mon corps de douleur, mes canines me démangent soudain, cette sensation emplit ma tête d'horreurs. Si ma furie prend trop d'ampleur, elle finira par se déverser sans état d'âme sur ces êtres ignorants du danger imminent.

Je monte les marches en trombe, me dirigeant d'amblé vers le toit. Le seul endroit de l'université où je puisse m'éloigner d'eux, de ces problèmes, de ces souffrances criminelles. Mes forces me quittent, je trébuche, me rattrape à la rambarde et continue, incertain. J'arrive enfin tout en haut, le ciel m'ouvre un passage où mon désir sanguinaire s'engouffre. Je m'écroule au sol et m'enfonce lentement dans les eaux troubles du Styx, y emportant ma douleur éternelle.

Je me demande si je ne suis pas condamné depuis longtemps.

Autant en profiter alors non ? Retourner les voir et leur sauter à la gorge. Entendre leurs os craquer sous mes doigts, les vider à moitié de leur sang, les voir agoniser à mes pieds. Mes pulsions meurtrières dansent dans mon esprit malade, mon corps pris de soudains spasmes devient incontrôlable. Un sourire malsain se forme sur mes lèvres et mes canines s'allongent, et se déforment. J'essaie de me relever, prêt à assouvir ma soif, lorsqu'une vive douleur dans mon cou me prive d'oxygène. Cet étranglement me ramène d'un coup à la raison, mes forces diminuent, cadenassées.

Tae reprends-toi ! Contrôle-toi !

La respiration lourde, j'essaie de reprendre possession de mes moyens. Une main posée sur le cœur, j'entends ses battements froids, j'essaie de les réchauffer et de comprendre leurs tourments, en vain. Mon soupir brisé heurte la douce brise comme un appel de détresse. Je passe une main sur mon visage, le lave de toutes impuretés, et la laisse là, comme un rempart à l'immensité du monde et son rejet. Mon corps allongé sur les dalles s'imprègne de leur fraicheur, elle pénètre ma poitrine et paralyse mes battements.

Je me noie une énième fois dans des songes obscures, j'ai peur.

******

Je rouvre lentement les yeux, ébloui par le soleil couchant. Les nuages ont disparu du ciel pour se loger au fond de mon cœur. Je me relève, époussette mes habits et extirpe mon cellulaire de ma poche. Mes yeux s'écarquillent en relisant plusieurs fois l'heure. Quatre heures que je dors ... Merde ! Une plainte écorche ma bouche, c'est loin d'être la première fois que ce genre de situation se produit. Je quitte sans tarder le toit et m'engage dans les escaliers, quelques étudiants se pressent en me voyant débouler. Je déglutis et les fuis autant qu'eux le font.

Cependant, au troisième étage, une immense affiche dans le cadre d'information de l'école attire mon attention. « Les élèves chargés de gestion sont priés de récupérer leur dossier avec le récapitulatif de leurs responsabilités, avant 16h, au bâtiment A. » Je jette un deuxième coup d'œil à mon portable. 16h30. Ce n'est vraiment pas mon jour. Je grogne, exaspéré, et file vers les bureaux administratifs. Mon corps se faufile dans le bâtiment, telle une ombre immuable qui longe les murs sans un bruit. Être désigné « directeur de gestion » mais ne pas récupérer en temps et en heure un petit papier, ça va faire mauvaise impression.

Je repère vite la salle, désignée par une flèche dans l'imposant couloir, et y entre sans perdre une seconde. Les murs sont recouverts d'affichage de divers évènements qui se dérouleront à l'université, personne n'est dans la pièce, les bureaux sont jonchés de papiers et de dossiers, quelques photos de famille ou d'élèves sont suspendues à des étagères individuelles. Je m'avance vers la pile de dossiers et cherche le mien, essayant de ne pas mettre de désordre, mais n'en trouve aucun. Je commence à me ronger les ongles, anxieux... Quelqu'un a peut-être déjà remarqué que mon dossier était toujours là et l'a ramené au directeur ? Autant dire que j'aurais tenu cinq heures à ce poste.

Du sang s'écoule de mon pouce à force de le ronger, la goutte carmin se brise sur les cimes de ma conscience triste et nue. Je laisse mon âme rongée par mes blessures, se laisser surprendre par cette silhouette tapie dans l'ombre et surgissant dans mon champ de vision. Mon pouls accélère, j'écarquille les yeux et recule d'un pas. Comment ça se fait que je ne l'ai pas senti rentrer ? Nous ne nous lâchons pas du regard, chacun essaie de déchiffrer les pensées de l'autre, seulement cela m'est impossible. Son âme est verrouillée. Cette technique, je ne la connais que trop bien, les vampires l'apprennent dès leur plus jeune âge. Pourquoi cet alpha sait aussi bien bloquer son esprit ? On lui a également appris tout petit ? Il sait même effacer sa présence... Qui est-il à la fin ?

Son sourire joueur contraste avec la profondeur de ses yeux, ils me transpercent si facilement. Je me retrouve démuni, l'impression d'être mis à nu. Ce n'est pas normal. Il rit en me voyant ainsi, un rire léger, et marche vers moi.

« Tu es venu pour ça ? »

Sa voix grave me sort de mes pensées, des frissons descendent le long de mon dos. Mes yeux tombent alors sur mon dossier qu'il tient dans une main.

« Tu sais que le temps pour le prendre est écoulé ? »

Son sourcil s'arque, il m'interroge. Me teste-t-il ? Mes canines ressortent, ne pas comprendre ses intentions me désoriente et m'agace. Il semble lui aussi surpris par mon attitude, une mine étonnée tire ses traits. Il regarde mes dents aiguisées un instant, puis sourit, taquin... charmeur.

« Tout doux ... » Susurre-t-il. « Je t'ai attendu pour te le rendre de toute façon. »

Mes canines se rétractent en entendant cela, je baisse ma garde et reste planté au milieu de la salle, complètement perdu. Il m'a attendu ? Une drôle de sensation flotte dans mon ventre, je passe une main dessus et le masse, comme si elle allait disparaître de cette façon. Il s'avance davantage, ses yeux posés dans les miens, et me tend le dossier. Son odeur enveloppe l'air, un mélange délicieux et indescriptible, de la pêche, de la cannelle, du parfum ..? Mes mains en tremblent d'envie, mon cou, lui, est de nouveau prisonnier. Ça fait combien de temps que je n'ai pas mordu quelqu'un ?

Je déglutis difficilement, la gorge sèche. Je vois un désir inattendu se muer au fond de ses prunelles envoûtantes, des frissons explosent dans mon estomac et saisissent mon cœur. Il brandit soudain le dossier sous mon nez, le secoue. Je reprends un peu mes esprits et le saisis de mes mains fébriles. Une mine sérieuse renforce ses traits fins et me laisse pantois, aucun de nous deux parle. Je ne sais que dire, que faire, son odeur m'obsède et me rend fou. Il est dur de canaliser mes pulsions folles, elles s'intensifient un peu pus chaque seconde et brouillent ma raison. Je t'en supplie, pars, va-t-en ! Comme s'il avait entendu mes pensées, il me scrute une dernière fois, avec une telle intensité... je ne la comprends pas, puis il sort de la pièce en un clin d'œil.

La tension dans la pièce retombe d'un seul coup sur mes épaules frêles, mes genoux flanchent. Je m'écroule à terre, comme si l'on m'avait soutenu tout ce temps. Une main posée sur le cœur, mes paupières se closent. J'écoute le silence mortuaire, l'espoir d'effacer sa voix qui résonne en moi comme une douce litanie, en vain.

Relation InterditeWhere stories live. Discover now