Chapitre 54

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— Rends-le moi ! exigé-je d'un ton impérieux.

Perplexe, Luis me scrute alors je précise avec haine :

— Mon passeport.

Durant un court instant, ses yeux s'arrondissent de surprise toutefois, très vite, il se ressaisit. D'un mouvement fluide, il se lève, referme le bouton de sa veste de costume et ouvre le tiroir sous l'imposant écran plat. Avec nonchalance, il jette la pièce d'identité dans ma direction.

— Je ne pouvais pas prendre le risque que vous deveniez trop complices, et que ma couverture tombe à l'eau.

— Tu n'es qu'un grand malade ! pesté-je, tendue par la colère.

— Ta présence ici n'avait qu'un seul intérêt, balance froidement madame Rios, assouvir notre volonté, et au moindre dérapage tu devenais inutile.

Mes pupilles ancrées dans celles de Luis, je guette sa réaction. Une partie de moi aimerait qu'il la contredise, et je suis persuadée que ça pourrait se reproduire jusqu'à ce qu'il botte en touche en baissant les yeux. Je me tourne donc vers sa mère et affirme:

— C'est vous qui m'avez fait venir.

— Ne vas pas croire que tu es spéciale. Toi ou un autre, ça n'aurait rien changé. J'avais juste besoin d'un pion pour dénoncer les crimes de mon mari.

— Pourquoi être venue chercher une journaliste américaine ?

— Parce que dans mon pays, la plupart des rédactions sont corrompues, par les politiciens ou par mon mari. Et je ne pouvais pas prendre le risque qu'il comprenne ce que j'avais en tête. Il s'est toujours surestimé, seulement il aurait dû se douter qu'en touchant à mon fils, j'allais sortir les griffes.

— Néanmoins, ajoute Luis, on doit avouer qu'on ne s'attendait pas à ce que les choses prennent une telle ampleur. Tu es plus douée que ce qu'il n'y paraît.

— Miguel va en prendre pour minimum trente ans, assure-t-elle, malgré sa ribambelle d'avocats et avec un peu de chance, il crèvera dans sa cellule. Tu mérites bien un petit dédommagement pour ton travail ainsi que ta naïveté.

Je ris jaune avant de lui répondre.

— Vous pouvez garder votre fric, je ne veux rien venant de vous.

Ezequiel se redresse, puis exige de savoir :

— Quel est le rôle de Mark, le responsable du journal ?

— Ah lui... soupire Luis. Je l'ai rencontré par hasard à l'orphelinat.

Être au centre de l'attention, lui procure un certain plaisir qu'il ne tente même pas de dissimuler. Il marque une courte pause théâtrale avant d'enchaîner.

— Ana recommençait à discuter nos ordres, comme ça lui arrive de temps en temps et elle avait besoin d'une mise au point, dirons-nous. Ton boss et à sa femme venaient chercher leur gamin. Le morveux n'arrêtait pas de hurler, c'est d'ailleurs ce qui a attiré mon attention. Et voilà que le type se met à me parler, à me raconter sa vie. En moins de trente minutes, je connaissais tout de lui : le lieu où il réside, la marque de sa bagnole, la couleur des murs de la chambre du mioche, et le nom de son journal. Comme si ça m'importait.

Il se tait, toutefois la suite de l'histoire me paraît tellement évidente que je la raconte pour lui.

— Quand les choses ont commencé à se compliquer, tu t'es souvenu de tous ces détails. Vous avez fait bloquer la procédure d'adoption, kidnappé Mark et tu m'as envoyé ce mail. J'avais le profil idéal : peu expérimentée, crédule, qui ne pige rien à l'espagnol, le parfait pantin pour votre plan merdique.

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