Chapitre 3 - Partie 2/2

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Nerveusement, je me gratte l'avant-bras tandis qu'il pousse les documents vers moi.

— Ce sont les renseignements que j'ai dégotés à l'époque, au sujet de son affaire.

Sans prendre la peine d'ouvrir la pochette, je lui demande :

— Parle-moi de ce qui s'est passé. Comment en est-il arrivé là ?

— Je ne sais pas grand-chose. Ezequiel bossait au restaurant de Miguel, comme chef cuisinier.

— Miguel ?

— Le père de Luis.

— Il travaillait pour le père de la victime ?

— Ouais.

Il ouvre le porte document pourpre et tapote de son index la première feuille.

— Regarde ce que j'ai trouvé.

Je parcours rapidement le papier que j'ai sous les yeux. Ça semble être quelque chose d'officiel ou d'administratif. En résumé : un truc barbant.

— Je ne comprends rien.

— C'est une assurance vie.

— Une assurance vie ? Contractée pour qui ?

Il me scrute attentivement, comme s'il se demandait d'où je débarquais.

— Luis. Mais ce n'est pas ça le plus dingue. Regarde la date.

Je m'exécute sans comprendre.

— Le 15 janvier 2018.

— Étrange coïncidence, quand on sait qu'une semaine plus tard, le mec se fait tuer. Et maintenant, que penses-tu de ça ?

De la pointe de son stylo, il désigne les initiales en bas du document : M.R.

— Miguel Rios, précise-t-il.

— C'est son père qui a signé le contrat ?

Ses lèvres s'étirent tandis qu'il s'adosse dans son siège. Je secoue la tête, encore plus perdue qu'à mon arrivée.

— Cette histoire a un sens pour toi ?

Il hausse les épaules.

— Tu sais, ici, tout est une question de pognon.

— Comme partout, non ?

Un petit rire lui échappe.

— Mon patron croit que la victime est toujours en vie. Tu as des infos à ce sujet ?

— Qu'est-ce qui lui fait dire ça ?

Je chasse sa question d'un geste de la main.

— Il est plutôt du genre mystérieux, lui aussi. Surtout depuis deux jours.

Il fronce les sourcils, ne comprenant pas où je veux en venir, ce qui ne l'empêche pas de me répondre :

— Il n'y a qu'un mot pour qualifier ce dossier : néant. On n'a rien : ni cadavre, ni arme du crime, ni mobile.

— Alors pourquoi est-il en prison ? Durant le procès, quelles étaient les charges qui ont pesé contre lui ?

— Le procès...

— Il a forcément eu un jugement, non ?

— En effet. Quinze jours après son arrestation. J'étais son avocat à ce moment-là. Nous n'avons eu le droit qu'à une seule rencontre durant laquelle il est resté aussi muet que Maria.

— C'est qui ça, Maria ?

— Ma jolie rencontre d'hier soir...

Mes yeux roulent vers le ciel. Ce mec me parle d'une possible injustice en pensant à ses galipettes de la veille. Joy, ne t'avise surtout pas de lui demander l'âge qu'elle a !

— Son affaire devait être portée devant le tribunal en début d'après-midi, seulement quand je suis arrivé vers midi, sa condamnation était déjà tombée.

— Il n'a donc pas été représenté ? C'est forcément interdit par la loi ! Et une très bonne raison pour faire rouvrir son dossier !

Il rit doucement en secouant la tête.

— Ta naïveté est presque attendrissante.

J'ai un léger mouvement de recul.

— Ce n'est pas comme ça que ça fonctionne, ici. Les tribunaux sont surchargés et les avocats dépassés. C'est tout un système judiciaire qui est sur le fil. Au moindre grain de poussière, tout risque de s'écrouler. Et je peux t'assurer que personne ne se préoccupe d'une procédure non respectée à la lettre. Disons que c'est même de notoriété publique.

— Il ne s'agit pas d'un petit détail dans le cas présent. Il a été condamné à perpétuité !

— Les dommages collatéraux font toujours pitié...

A mi-chemin entre la surprise et le dégoût, je le scrute attentivement.

— Tu viens toi-même de dire qu'il n'y a pas de preuves contre lui. Mais qu'il moisisse dans cette prison ne te révolte pas. Comment fais-tu pour dormir ?

— Si mon sommeil était dicté par rapport aux nombres d'innocents en prison et de coupables en liberté, je n'aurais plus cette gueule d'ange depuis un bail, déjà.

Avec mépris, je renifle en faisant tournoyer ma paille dans mon verre.

— Un truc m'échappe, tu dis qu'Ezequiel a eu son procès deux semaines après son arrestation.

— C'est exact.

Je m'accoude sur la table et lui souffle :

— Si le système judiciaire est saturé, c'est pas un peu paradoxal que son affaire ait été jugée aussi rapidement ?

Impassible, il me rend mon regard.

— Quelle est la durée moyenne d'ordinaire pour passer devant le juge ?

— Plusieurs mois, parfois même des années.

— Toute cette histoire est louche, si tu veux mon avis !

— Pourquoi est-ce que ton supérieur s'est intéressé à lui ?

— Je n'en sais rien.

Il garde les lèvres scellées mais je sais qu'il ne me croit pas.

— Je peux t'emprunter ça ?

Je désigne le dossier en attendant son aval.

— Il est à toi, je n'en aurais plus besoin.

— Merci.

Je me lève quand il me demande :

— Tu ne bois pas ton verre ?

— Il y a des glaçons, alors non merci.

Ses yeux s'illuminent.

— Je vois que le Mexique t'a déjà offert un petit cadeau.

— Ouais, d'ailleurs, puisque que tu en parles, il faut que j'y aille.

La très grande classe, Joy. Étonnamment, il n'est pas dégoûté mais plutôt amusé par mes paroles sans filtre. 

FrontièreWhere stories live. Discover now