Chapitre 44

80 12 20
                                    

Les premiers rayons du soleil qui filtrent à travers la fenêtre annoncent le début d'une nouvelle journée. Nous avons passé toute la nuit dans le salon, à changer de position en fonction de mon degré de frustration. Assise sur le parquet à griffonner, quand la tournure de mes phrases m'agaçait, ou installée dans le canapé, absorbée par les mots lorsque l'inspiration pointait le bout de son nez. Ezequiel, quant à lui, a très peu bougé. Concentré à lire des dossiers, et à souligner avec acharnement certaines informations.

Après l'avoir relu à maintes reprises pour m'assurer qu'il est terminé, je me racle la gorge afin d'attirer son attention. Il lève les yeux vers moi et m'interroge en silence.

— Il est prêt, murmuré-je.

— Je peux voir ? me demande-t-il d'une voix douce.

Anxieuse, j'hésite parce que peu importe qu'il soit destiné à être découvert par des centaines d'individus, il n'y a que son avis qui compte.

— Il peut sûrement encore être amélioré. Il me suffirait de prendre un peu de recul pour...

— Laina, me coupe-t-il, donne-le moi.

J'inspire profondément et tend mon brouillon vers lui. Incapable de faire autre chose, j'observe le trajet de ses yeux, et l'expression de son visage à mesure qu'il découvre mes phrases. Mon cœur s'emballe alors qu'il ne laisse transparaître aucune émotion. N'y tenant plus, je me faufile derrière lui pour l'accompagner dans sa lecture.

Au cours d'une enquête approfondie sur un orphelinat en apparence ordinaire, des révélations choquantes ont récemment éclaté, mettant en lumière un réseau criminel insidieux. Nos préoccupations concernant la sécurité et le bien-être des enfants résidents, se sont malheureusement confirmées.

L'orphelinat de St Joseph situé en périphérie de Mexico, semblait initialement être un lieu de refuge pour les enfants et les adolescents sans famille. Cependant, une investigation minutieuse a révélé que certains de ces jeunes étaient au cœur d'un trafic sordide, mené par des individus sans scrupules. À la tête de cette organisation, Miguel Rios, riche homme d'affaires Mexicain, et dont la disparition suspecte de son fils unique, Luis, reste à élucider. Sous l'aval de son ami d'enfance, le commissaire Lopez, la police ferme délibérément les yeux malgré l'enfer que subissent les enfants.

Au cours de nos investigations, nous avons découverts que les kidnappeurs justifient leurs actions par le biais d'adoptions fictives. Une fois capturés, les enfants et les adolescents sont séquestrés, victimes d'actes de violence brutale, et contraints de vivre dans des conditions inhumaines, retenus dans une cave sombre et humide. L'odeur âcre d'urine, de sang et de désespoir règne en maître dans cet endroit sinistre.

Les plus jeunes victimes sont enfermées dans des cages, contraintes de se nourrir dans des gamelles, et leurs cris sont brutalement réprimés, parfois par la mutilation de leurs langues. Le réseau criminel bénéficie de fidèles clients, à l'instar d'Antonio Garcia Cortes, l'actuel ministre de la justice, pour qui la manipulation des lois pour dissimuler la vérité n'est pas légalement répressive dans le mesure où elle sert ses propres intérêts. Ses dérives sexuelles concernant de jeunes garçons ont clairement été établies lors de notre enquête.

Nous aurions aimé conclure cet article en affirmant notre confiance en nos autorités et à l'application des peines dûes. Toutefois, c'est impossible. À ce jour, aucune enquête n'est ouverte, aucun homme de loi ne cherche à démanteler ce réseau. Et les raisons sont aussi évidentes que saisissantes : la vulnérabilité et l'innocence de ces enfants importe peu quand des millions de dollars sont sur la table. Vous savez ce que l'on dit, n'est-ce-pas ? "L'argent n'a pas d'odeur". Alors si vous continuez de nier ces atrocités, allez-y, descendez dans cette cave et osez nous assurer que le parfum de ces crimes ne hantent pas vos nuits.

La corruption est la perversion de notre société, et quelques hommes en pensent être les chefs d'orchestre. Pourtant, il se peut, qu'en niant l'évidence, qu'en fermant les yeux, nous devenons tous les complices de ces pratiques macabres. Ensemble, il est temps d'affronter la réalité, et de prendre les mesures pour mettre fin à ces crimes odieux.

Sa lecture terminée, Ezequiel pose les feuilles devant lui. Je prends une profonde inspiration, puis le contourne afin de m'asseoir sur la table basse. Il ancre ses pupilles dans les miennes, et l'expression que j'y découvre me surprend.

Il doute.

— C'est si mauvais ? Je t'ai dit qu'il avait encore besoin d'être travaillé. Il faudra, bien sûr, inclure des preuves tangibles, comme un montage de tes vidéos. Les images parlent d'elles mêmes, l'impact sera plus percutant.

J'humecte mes lèvres et me dépêche de reprendre la parole.

— Je sais bien que tu voulais que je contacte les presses internationales, mais je n'ai aucun contact alors j'en pensé à autre chose. Qu'est-ce qui fait le buzz de nos jours, même pour des inconnus ? Les réseaux sociaux ! Je pourrais demander à John de s'en charger, il est doué. Imagine, mes mots avec ce que contient ta clé USB, diffusé partout, ça pourrait faire le tour du monde...

Devant son absence de réaction, je déglutis avec peine.

— Garde bien en tête qu'il va être réécrit, je vais...

— Ce texte est largement au-delà de ce que j'imaginais, me coupe-t-il. Il est puissant, troublant, dérangeant, c'est ce qu'il nous fallait.

— Où le problème ? Tu n'aimes pas mon idée ?

— Lopez, souffle-t-il.

— Je ne comprends pas ce que tu dis.

— D'après ce que j'ai trouvé, il n'est pas lié à cette histoire.

— Il couvre son pote depuis le début, insisté-je. À commencer par ton arrestation.

D'un bond, il se lève et passe avec rage une main sur son visage.

— Tu es certaine de ce que tu avances ?

— Oui, enfin... commencé-je à douter. Il ne participe peut-être pas aux viols, ni aux tortures, mais s'il protège les Rios, il est tout aussi coupable, non ?

— Je ne sais pas...s'agace-t-il. Comment aurais-je pu passer à côté de ça ?

La culpabilité que je découvre dans ses yeux me serre l'estomac.

— À moins que ce soit moi qui me trompe. Il faut s'en assurer avant la diffusion, on ne peut pas se permettre de le citer, si on n'est pas certain de son implication.

Il prend son portable, puis attrape le trousseau de clés qui traîne dans la cuisine.

— Je m'en occupe, Laina.

— Je viens avec toi.

— Je ne préfère pas, non.

J'ouvre la bouche, prête à argumenter quand il pose ses mains sur ma taille.

— Ne quitte surtout pas cet appart, c'est un lieu sûr. Je te retrouve ici avant dix-huit heures.

— Ezequiel, je...

— Fais-moi confiance, dit-il en déposant un baiser sur mon front.

Sans attendre ma réponse, il s'éloigne. Il a presque atteint la porte lorsqu'il se tourne vers moi.

— Au fait, j'adore ton idée. Appelle ton pote pour le montage.  

FrontièreWhere stories live. Discover now