Chapitre 27

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Installée dans le taxi, je me prépare psychologiquement à ce quim'attend, le regard vissé à la nature ambiante. Cela fait déjà trente cinq minutes que nous avons quitté l'agitation de la capitale. Des plaines arides à portée de vue, un soleil à son zénith et une route poussiéreuse, voici ce qui s'étale à travers ma vitre. La musique rythmée qui résonne dans l'habitacle ne me détend pas, pas plus que les coups d'œil à répétition que me jette le chauffeur.

L'orphelinat de St Joseph se situe à cinquante kilomètres du centre-ville. Est-ce une volonté de l'État de protéger les enfants de la pollution de la métropole en les faisant grandir à l'écart ? Ou s'agit-il d'une façon de cacher ce que personne ne désire voir ? Une triste réalité qui dérange plus qu'elle ne préoccupe. J'aimerais opter pour la première option, il n'empêche que depuis quelque temps, je prends conscience de nombreuses réalités. Et il faut dire qu'elles sont loin d'être jolies.

La bâtisse en pierres qui se dresse devant nous est magnifique. Élégante, solide, arborée de fleurs multicolores et de palmiers, l'ensemble est à mille lieux de ce à quoi je m'attendais. Boostée par cette bonne surprise, je tends une poignée de Pesos au conducteur et m'empresse de retrouver l'air moite et étouffant. Quelques cris d'enfants m'accueillent suivis d'applaudissements. La cour extérieure doit se trouver de l'autre côté du bâtiment, car même si j'entends des voix, je ne vois personne. Je frappe à deux reprises contre l'imposante double porte arrondie et patiente, mon téléphone à la main.

Que suis-je censée trouver, ici, Ezequiel ? Quel est le lien avec toi ?  Ces questions me hantent depuis mon départ. Et mes théories, toutes plus bancales que les précédentes, ne parviennent pas à me convaincre. Étais-tu, toi-même un orphelin ? Ou en as-tu laissé un derrière toi ? La dame âgée qui se pointe devant moi coupe court à mes réflexions, je me râcle la gorge pour m'accorder un instant supplémentaire et approche mon téléphone près de ma bouche quand elle me devance.

— Vous êtes américaine ?

Mes yeux s'arrondissent tandis qu'un sourire m'échappe.

— Oui, madame. Vous parlez Anglais !

— Il est un peu rouillé mais je crois me débrouiller.

— Il est parfait, bien meilleur que mon Espagnol.

— Vous avez rendez-vous ?

Et c'est maintenant que ça se complique.

— Pas vraiment, non.

Ses yeux plissés examinent avec attention mes faits et gestes.

— J'aimerais faire une surprise à mon mari et je me disais que vous pourriez peut-être m'aider. C'est un homme d'affaires très occupé, et si je peux être honnête avec vous, l'adoption est mon idée. Il est incapable de me refuser quoi que ce soit alors une fois que j'aurais rencontré notre futur enfant, le convaincre ne sera pas bien difficile.

Mes mensonges me répugnent d'autant plus qu'ils ne semblent pas la convaincre.

— Il est très terre à terre comme homme, il a besoin de se projeter. Quelques photos d'enfants pourraient le convaincre.

Mon dieu, qu'on me bâillonne.

— Attendez, je me précipite d'ajouter, je me rends compte que mes propos, sortis de leur contexte peuvent être déplacés. A bien y réfléchir, même en situation, ils ne sont pas terribles.

Je passe une main sur mon visage, les paupières fermées et lorsque je les rouvre, son absence de jugement me détend.

— Je suis désolée, je m'égare.

FrontièreWhere stories live. Discover now