Chapitre 17

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Il patiente en attendant ma réponse, seulement, il ne se rend pas compte que je suis paralysée. A tel point que je ne parviens plus à avaler la salive qui s'accumule dans ma bouche. Je ne sais pas ce qu'il attend de moi mais une chose est certaine : je n'ai aucune envie de le découvrir.

— Écoute attentivement les consignes et tout va bien se passer. Ces bouffons de Rambos gardent ce qu'ils saisissent aux visiteurs dans un grand bac bleu, près des portiques de sécurité. Je veux que tu me l'apportes.

— Pourquoi ?

— Le business.

— Tu vends aux autres détenus les objets confisqués ?

Pour toute réponse il fait un pas vers moi, ce qui m'oblige encore à reculer. Dos au mur, je l'entends me demander:

— Ça te pose un problème ?

Oui.

— Non.

— Parfait.

— Qu'est-ce qu'il contient ?

La curiosité est un vilain défaut, pas vrai maman ? Car au lieu d'acquiescer et de prendre mes jambes à mon cou, j'étudie le milieu carcéral. Et ce que je découvre me fait plisser le nez.

— Des clopes, de la bouffe, des couteaux, des capotes. Des choses très utiles, ici.

— Les deux premiers, je comprends. Les armes, j'imagine que c'est un atout non négligeable lors de vos règlements de compte... Mais les préservatifs, à quoi ça vous sert ?

J'enfonce mes dents dans ma langue. Boucle- là, Joy, je t'en prie !

— Pour les brebis.

— Les brebis ?

— Tu sais comment ça fonctionne, non ? Il y a les prédateurs et les victimes.

La remontée acide qui menace de quitter mon estomac pour se loger sur ses vêtements clairs me coupe la respiration.

— Je dois avouer que j'aime particulièrement quand vous avez peur, me sourit-il.

Du regard, je cherche son compagnon de cellule qui continue tranquillement de lire.

— Je ne suis pas une victime.

— Pas encore.

— Tu veux parier ?

Il lâche un petit rire.

— Et puis, il faut dire que la plupart de mes potes préfèrent les meufs.

Immobile, j'enregistre les détails de son visage dans ma mémoire : de la cicatrice qui barre son sourcil droit, à sa dentition suspecte en passant par son air supérieur.

— Mais on reste des hommes, ricane-t-il, et on fait avec ce que l'on a sous la main.

— Tu viens de m'avouer que tu violes tes camarades, que tu chapardes les biens de l'Etat, et que tu as ouvert une entreprise illégale ici même. Tu aimerais ajouter quelque chose ou bien la session "petites confidences" est terminée pour ce soir?

— Va récupérer ce que je t'ai demandé, et reviens ici pour la deuxième étape de ton apprentissage.

Nous nous affrontons du regard et même si ce type est un grand malade, je suis incapable de ne pas lui montrer à quel point il me dégoûte. Avec une lenteur insoutenable, il approche son index de mon visage et caresse ma mâchoire. Mes doigts se referment sur son poignet quand je siffle:

— Ne me touche pas.

Il esquisse un rictus juste avant qu'une voix gronde.

— ¡Apártate! *

D'un mouvement vif, il se retourne pour observer l'intrus. Dans l'encadrement de la grille, Ezequiel patiente, les épaules légèrement levées. Derrière lui, les derniers détenus trainent à regagner leur cellule toutefois, le couloir est plus calme qu'il y a quelques minutes.

— No te metas en esto, Martínez.*

— Ya te dije que dejaras de hacer eso. Deja a los nuevos en paz.*

Ils se jaugent en silence, jusqu'à ce que je m'éloigne du psychopathe. Et là, Ezequiel m'accorde son attention. Les sourcils froncés, il a un léger mouvement de recul à l'instant où un sourire forcé barre mon visage.

— Vous vous connaissez ?

Nous ignorons l'un comme l'autre la question du pervers, trop occupés à nous dévisager.

— Sors, gronde Ezequiel, les pupilles ancrées dans les miennes.

J'hésite entre obéir et lui balancer une réplique acerbe. Parce que le mec abandonne son mutisme ordinaire uniquement pour me donner un ordre et ça a le don de me mettre en rogne. Toutefois, comme j'ai trop peur qu'il se ravise et qu'il me laisse entre les pattes de l'autre sale type, je mets ma fierté de côté.

Je fais un pas dans sa direction quand mon nouvel ami m'attrape par le poignet. Les mâchoires serrées, je prends une profonde inspiration pour ne pas disjoncter.

— Lâche-la, Ramirez.

— Intéressant, s'amuse-t-il en resserrant sa prise autour de ma peau. Tu vois, d'habitude, il n'aime pas beaucoup jouer avec nous, mais il faut croire que tu lui fais de l'effet.

— Ou alors, il est simplement respectueux.

Et sain d'esprit.

— T'entends ça ? Elle te prend pour un clébard !

— Un tocard, pas un clébard, je murmure.

— Qu'est-ce que tu dis, mi bella ? me demande Ramirez.

Pendant une fraction de secondes, j'ai l'impression qu'Ezequiel sourit. Cependant, je n'en suis pas certaine car rapidement il passe sa main sur son visage.

— Je ne le répéterai pas une troisième fois, laisse-la partir.

Leur façon de s'observer me donne froid dans le dos.

— Occupe-toi de tes affaires, si tu ne veux pas avoir d'ennuis avec moi.

Avec arrogance, les lèvres pleines de l'homme pour qui je suis dans le pétrin s'incurvent.

— Garde tes menaces pour quelqu'un que tu impressionnes. Quant à toi, ajoute t-il à mon attention, attends-moi dans le couloir.

D'un mouvement sec, je retrouve ma liberté et m'empresse de faire ce qu'il me dit. Lorsque je passe à ses côtés, il ne me regarde pas, trop concentré sur son camarade qui ricane.

Rapidement, je constate que le couloir est désormais désert pourtant le bruit n'a pas cessé. Des hommes poussent des hurlements tandis que d'autres chantonnent. A plusieurs reprises, un bruit métallique m'agresse les tympans. Est-ce possible de dormir au milieu de ce vacarme ? Pire encore, comment peut-on vivre avec toutes ces menaces qui flottent dans l'air?

Quand Ezequiel me rejoint et que nos regards se percutent, j'obtiens un début de réponse. Entre ces murs, on ne vit pas. On apprend à survivre, coûte que coûte.

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Traduction :

¡Apártate! : Recule!

No te metas en esto, Martínez. : Ne te mêle pas de ça, Martinez.

Ya te dije que dejaras de hacer eso. Deja a los nuevos en paz. : Je t'ai déjà dit d'arrêter de faire ça. Laisse les nouveaux tranquilles.

FrontièreWhere stories live. Discover now