Chapitre 46

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Dissimulés derrière des espèces de fougères, mon cœur pulse tellement fort qu'il pourrait nous trahir. J'observe cette façade tout en sachant les terribles secrets qu'elle renferme. Plusieurs jours se sont écoulés depuis le départ du petit garçon, des heures durant lesquelles ces adolescentes se sont retrouvées entre les mains de leurs bourreaux. Je veux croire que nous avons pris la bonne décision: les abandonner ce soir-là, pour mieux faire imploser ces enfoirés. Ezequiel est persuadé que c'était l'unique option afin qu'ils ne trouvent aucun échappatoire. Et c'est certainement vrai. Il n'empêche qu'une partie de moi, regrettera toujours ce choix. De combien de viols, de châtiments, d'actes de barbarie, suis-je devenue complice, depuis ma découverte ?

Autour de nous, à différentes distances, des policiers sont en embuscades. À ce moment seulement, je m'interroge sur l'accord qu'Ezequiel a passé avec eux pour qu'ils tolèrent notre présence. Les a-t-il fait chanter ? Une chose est néanmoins certaine, c'est grâce à nos investigations qu'ils ont lancé cette opération. Mais, comme le silence est le maître mot, je remets mes questions à plus tard. Une heure après notre arrivée, les phares de deux Mercedes noires abîment l'épaisseur de la nuit. Je cherche le regard de mon acolyte dont les mâchoires sont serrées. Son index effleure le dos de ma main tandis que les portières s'ouvrent. J'ai le sentiment que durant de longues secondes, même dame nature retient son souffle.

Miguel en tête, suivi de près par deux autres hommes en costume, ils se dirigent vers l'entrée de la cave. Quand je les vois disparaître, je ferme les yeux. Imaginer de quoi ils sont capables est horrible, mais les voir pénétrer et se contenter d'attendre relève d'un effort surhumain.

Dans les minutes qui suivent, les hommes en uniforme se déplacent. Leurs pas silencieux et leurs gestes précis me rassurent. Ils progressent en équipe puis s'engouffrent à leur tour à l'intérieur du bâtiment. Ezequiel se redresse, attrape ma main et m'attire à sa suite. Lorsque nous arrivons, près de l'entrée, dans une conversation muette, un agent valide notre requête. La lune disparaît tandis que je progresse derrière lui dans ce couloir sombre. Comme lors de ma première intrusion, la chair de poule recouvre ma peau, à la seule nuance que cette fois-ci, je sais ce qui m'attend. Et d'une certaine manière, c'est encore pire.

Les odeurs sont insoutenables, l'humidité dégouline sur les murs tandis que la peur flotte dans les airs autour de moi. Mon instinct de survie me hurle de faire demi-tour.

La police est là, tu ne sers à rien. Prends tes jambes à ton cou, et va te cacher sous tes couettes.

Je refuse de céder à la peur, de plier face à ces monstres, alors je continue d'avancer. Le spectacle qui se déroule sous mes yeux devrait me réjouir. Menotté, comme ses deux petits copains, Miguel perd de sa splendeur. Autour d'eux, les officiers s'activent : les ordres fusent, les gestes sont précipités alors que l'effroi qu'ils ressentent fait tendre leurs muscles. Et même si leurs intentions sont nobles, une évidence me saute aux yeux : les jeunes femmes retenues prisonnières sont terrifiées. Je me précipite vers celle attachée à l'extrémité, avec qui j'ai échangé quelques mots la fois précédente. Les larmes qui s'accumulent sous ses paupières doivent lui brouiller la vue, et ses membres tremblent de façon continue.

— Tu n'as plus à avoir peur, murmuré-je.

Elle sursaute, se tord au bout de ses chaînes avant de m'apercevoir.

— Je... commence-t-elle, incertaine.

Sa phrase se perd sur ses lèvres à l'instant où le treuil mécanique est activé. À l'autre bout de la pièce, un policier s'active pour les faire descendre. Quand ses pieds frôlent le sol, je me précipite vers elle.

— Tu parles anglais ?

— Un peu, m'avoue-t-elle du bout des lèvres.

Un hurlement déchire mes tympans, par réflexe je tressaille en me protégeant les oreilles. Toutes les têtes se tournent vers la plus jeune des captives suspendues par les bras. Âgée de quinze ou seize ans, elle se débat comme une possédée. L'homme en fonction qui se tient en face d'elle s'immobilise, perdu.

— Dis-leur qu'on vient les aider, imploré-je d'une voix basse.

L'adolescente à mes côtés, secoue la tête.

— Elles ne me croiront pas.

— Pourquoi ?

— Les jeux de rôles, m'apprend-elle avec une résignation qui me sidère, et les uniformes faisaient partie de notre apprentissage.

Incapable de détourner le regard, je ne parviens pas à formuler une phrase cohérente.

Je suis tellement désolée qu'un tel déversement de haine existe.

J'ignore si ça vient du fatalisme que je lis dans ses pupilles, ou des cris qui m'empêchent de raisonner, cependant je cède à mes pulsions.

— Stop ! m'écrié-je. ¡Deténganse! ( Arrêtez tout )

J'accoure vers Ezequiel, resté près de l'entrée. Comme déconnecté, il m'observe sans laisser apparaître la moindre émotion.

— Elles ont peur, ils les effraient ! m'exclamé-je, dans la précipitation. On est trop nombreux, trop bruyant, trop brutaux. Il faut qu'ils sortent. Ezequiel ! Tu m'entends ?

Pour toute réaction, ses sourcils se froncent.

— Qu'est-ce qui se passe ? demandé-je, déroutée.

Ce lieu est l'antre du diable, et après avoir découvert un tel spectacle, nos âmes seront marquées à vie. Pourtant, j'ai l'intime conviction qu'il y a autre chose. J'ouvre la bouche, prête à le questionner, toutefois il me prend de court.

— Ouais, lâche-t-il d'un ton sec. Tu as raison.

D'un pas déterminé, il se dirige vers le responsable de l'opération, afin de lui aboyer dessus. Dans la seconde qui suit, les hommes décampent en amenant avec eux les trois monstres menottés. Et si je ne leur accorde pas la moindre attention, c'est parce que mon regard reste bloqué sur les poings qu'Ezequiel serre avec férocité.

FrontièreTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang