Chapitre 51

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Vingt-quatre heures plus tard, la rage qui m'habite ne m'a toujours pas quittée. Bien au contraire même, puisqu'elle n'a fait que s'intensifier. Lorsque je sors du taxi, je m'accorde un moment pour contempler son immeuble. Mon téléphone vibre dans ma poche et dans un réflexe stupide, je décroche trop rapidement. Je me mords la joue alors que la voix de ma mère grésille dans l'appareil.

— Joy, ouvre-moi, je suis devant chez toi !

— Ça me paraît compliqué, maman.

— Et pourquoi donc ? s'agace-t-elle.

— Je suis au Mexique.

— Encore ? Tu as un nouvel article à écrire ?

— Bon, je dois te laisser. Je t'appelle quand je rentre.

Je raccroche bien qu'elle continue de parler, et jette mon portable dans le fond du sac à main. Plus décidée que jamais, j'avance vers l'entrée quand, par chance, une dame âgée en sort. Je lui maintiens la porte ouverte, ce qui me permet de pénétrer dans le hall sans avoir à sonner. Je frappe à deux reprises et patiente le dos droit. Lorsque le battant s'ouvre, la surprise d'Ezequiel est visible.

— Laina ? Qu'est-ce que tu fais là ?

Je lâche un petit rire amer.

— Je viens terminer ce que j'ai commencé.

Perplexe, ses sourcils se froncent. Il passe une main dans ses cheveux et malgré moi, je le scrute de la tête aux pieds. Sa tenue est banale: un jean bleu foncé et un simple tee-shirt gris, pourtant c'est suffisant pour le rendre terriblement attirant.

— Je ne comprends pas ce que ça signifie, m'avoue-t-il, perplexe.

— Prends les clés de la voiture. Je t'attends en bas.

Je pivote sur mes talons afin de ne pas lui donner l'opportunité de répliquer, puis je redescends les marches. Une fois sur le trottoir, il pose sur moi un regard incertain, et je le conçois puisqu'il ignore tout de ma découverte. Il déverrouille les portières peu avant que je regagne la place du mort.

— Où suis-je censé nous conduire ? demande-t-il, dérouté.

Je désigne l'écran de mon portable et précise:

— Il suffit de le suivre.

Avec attention, il m'examine avant de mettre le moteur en route.

— Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas dit que tu étais de retour à Mexico ?

— J'ai pris ma décision hier soir, sur un coup de tête.

— Il s'est passé quelque chose, Laina ?

Mes doigts triturent l'ourlet de mon short en jean tandis que je ricane sèchement.

— Tu vas vite comprendre.

À mi-chemin entre l'agacement et l'incertitude, il me scrute un instant. Je lui rends son regard et observe sa réaction quand il découvre notre destination. Stoïque, il s'insère dans la circulation alors que son comportement commence à me faire douter.

Bien qu'il meurt d'envie de me questionner et moi de lui hurler dessus, le trajet est silencieux. Une fois arrivés, il se stationne le long du trottoir et se tourne vers moi.

— Tu m'expliques ce que l'on fait ici ?

— On va rendre visite à ton avocat.

Incrédule, il se fige, les doigts serrés autour de son volant.

— Qu'est-ce que tu racontes ? m'interroge-t-il d'une voix rauque.

— Mais oui, tu sais, le tout premier d'une longue série. Celui qui est arrivé trop tard à ton audience.

Ses narines se dilatent à mesure que je crache ces mots.

— Tu veux entendre quelque chose de vraiment très drôle ? ironisé-je.

— Je n'en suis pas certain, non.

Je balaye sa réponse d'un geste de la main puis continue sur ma lancée.

— Je n'avais pas atterri depuis plus de deux heures que je suis tombé sur lui, devant la prison. C'est étrange maintenant que j'y pense.

— Attends, Joy, je ne pige rien.

— Ouais, moi aussi, il m'a fallu un petit moment pour connecter les fils.

Je quitte l'habitacle, et occulte l'agitation ambiante afin de me diriger droit vers la résidence qui se dresse devant moi. L'index pressé sur l'interrupteur, Ezequiel me rejoint pour m'affronter du regard.

— Tu ne veux toujours pas me dire comment tu t'es retrouvé enfermé ?

Les épaules tendues, il ne réagit pas.

— C'est bien ce qui me semblait, soufflé-je excédée.

J'enfonce de nouveau mon doigt sur la sonnette, et lâche au passage un juron.

— Je pense qu'il n'y a personne, balance-t-il d'un ton trop posé à mon goût.

— Si tu crois que ça va m'arrêter. Allez viens, Ezequiel, on va où tout à commencé.

Il déglutit avec peine puis passe une main sur son visage pour dissimuler la peur qui commence à pointer le bout de son nez. Ses lèvres s'ouvrent, toutefois, je ne lui laisse pas le temps d'en placer une et retourne vers son véhicule.

Lorsqu'il insère la clé de contact, je lui demande avec ironie:

— Tu as besoin du GPS ou tu te souviens du chemin ?

Ses yeux sombres me fusillent sur place, cependant aujourd'hui il en faut plus pour m'impressionner. La colère qui m'habite prend le dessus sur mes autres émotions. Dévastatrice, elle piétine tout sur son passage. Ezequiel enclenche le clignotant néanmoins, au lieu d'enfoncer son pied sur l'embrayage, il ancre ses pupilles dans les miennes.

— Je n'ai eu qu'un seul avocat. Et c'était une femme.

Les poings serrés, je suis incapable de lui répondre. Pas car cette précision me surprend, mais parce que la naïveté dont j'ai fait preuve, me sidère.

FrontièreWhere stories live. Discover now