— Comment s'appelle-t-elle ?

Fidèle à lui-même, il me toise, sans rien laisser paraître.

— La femme à l'origine de tout ça. Celle qui s'est retrouvée entre Luis et toi. Quel est son nom ?

Ses pupilles se noircissent à mesure que je prononce ces mots.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles, crache-t-il.

— Je crois que j'en ai une petite idée, laisse-moi deviner. Vous étiez tous les deux amoureux d'elle mais elle ne parvenait pas à choisir ? A moins que... ce soit sa décision le problème.

En apparence, il reste stoïque mais c'était sans compter sur les soubresauts de sa joue.

— Elle l'a préférée à toi et tu ne l'as pas accepté, le coup classique. Tu vas chez lui, pour avoir une discussion et les choses dégénèrent. Et dans ce cas, tu es coupable.

Je l'examine pour découvrir à quel point je m'approche de la vérité mais il faut dire qu'il ne me facilite pas les choses. Notre discussion, pour le moins animée, attire l'attention du vieil homme qui se redresse sur les coudes. Une pseudo gardienne entre de nuit dans sa cellule pour mettre en rogne son colocataire et le tout dans une langue étrangère. Si j'étais à sa place, moi aussi je serais intriguée.

— Ou alors, je continue sur ma lancée, elle le rejette pour toi seulement il ne l'entend pas de cette oreille. Il insiste, encore et encore, si bien qu'à un moment, tu vas le trouver pour lui interdire de s'approcher d'elle. Et de nouveau, la situation dérape.

— Dans tous les cas, je suis un meurtrier, non ? Alors pourquoi est-ce que tu perds ton temps, avec moi ?

— C'est une excellente question. Comme quoi, tout arrive.

Concentrés l'un sur l'autre, il me faut un moment pour me rendre compte que l'homme âgé s'est levé.

— Retourne aux Etats-Unis.

— Je ne peux pas. On m'a volé mon passeport.

Les poings serrés et les narines dilatées, il prend quelques secondes pour se calmer.

— Quand ? Comment ?

— Quelqu'un est entré dans ma chambre et l'a pris.

— Putain ! crache-t-il. Ce n'est pas une coïncidence !

— Je sais ! C'est pour cela que tu dois me parler. Si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour moi. Dès le premier jour, au moment même où j'ai mis les pieds dans cette prison, j'ai été embarquée malgré moi dans cette affaire. Et je ne peux plus faire marche arrière, même si je le voulais.

Je m'approche de lui pour ajouter d'un ton bas :

— Je t'en prie, Ezequiel, tends-moi la main.

Son hésitation est palpable, cependant le temps ne joue pas en ma faveur. Le même gardien que toute à l'heure réapparaît de l'autre côté de la grille. Dans un soupir, il la pousse puis dit avec monotonie :

— No más jugar con ella. Ella necesita ponerse a trabajar. *

— Dos minutos. Por favor.*

Dans un mouvement rapide, Ezequil fait un pas vers moi.

— Tu dois trouver le moyen de sortir d'ici sans te faire remarquer.

— D'accord.

— Je suis sérieux, c'est important.

— J'ai compris.

— S'ils savent que tu es venue, que tu m'as parlé en l'absence de caméras, ils n'hésiteront pas une seule seconde.

— Qui sont-ils ?

Pour toute réponse, il prend une profonde inspiration et je ne peux pas m'empêcher de reprendre la parole.

— Tu détiens une information qu'ils sont prêts à protéger par tous les moyens. Même si cela inclus de me tuer, pas vrai ?

— Il faut croire que tu piges vite, finalement.

La peur s'insinue en moi et même si je tente de ne rien laisser paraître, Ezequiel n'est pas dupe.

— Ça va aller, me souffle-t-il d'une voix étonnamment douce.

— C'est faux.

— Pour toi, en tout cas, tout va bien se passer.

— Je te sortirai de là.

Son rictus triste me fait sourciller.

— Tu n'as toujours pas compris, Joy ? Il n'y a qu'une façon de partir pour moi.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Ils ne prendront jamais de risque.

Mon souffle se coupe quand les mots qu'ils prononcent s'immiscent en moi. Il est condamné, peu importe qu'il soit ou non coupable. Ce qu'il sait est une menace pour je ne sais qui et s'il fait des vagues, ils viendront le tuer, ici même. Après tout, déguiser un meutre en accident, au sein d'une prison, ne doit pas être très compliqué.

— Je...

Incapable de terminer ma phrase, je me perds dans son regard sombre. Lorsque le maton approche, je ne réagis pas. Pas plus que lorsqu'il gronde un ordre en espagnol, probablement pour exiger que je me mette au travail. J'ai envie de crier que j'en ai rien à carrer de ses injonctions. Dans ma tête, comme entre ces murs, rien ne va. Mes principes s'effondrent tels des dominos, les uns après les autres. J'aimerais hurler contre Ezequiel et sa résilience, contre ce système judiciaire corrompu jusqu'à la moëlle, contre les Rios et leur argent, mais par-dessus tout, contre moi-même. Parce que ma décision est prise et qu'elle est totalement irrationnelle.

Je fais un pas vers l'homme en uniforme qui commence à s'impatienter avant de me stopper net en frôlant l'épaule d'Ezequiel.

— Que tu le veuilles ou non, toi et moi, on est dans le même pétrin. Et je ne t'abandonnerai pas.

Ses doigts s'approchent brusquement de mon bras comme pour me retenir mais au dernier moment il s'arrête. J'esquisse un sourire quand je réalise que s'il ne me touche pas c'est parce que je lui ai fait remarquer, lors de notre précédente rencontre, que cela m'agaçait.

— Si les choses se compliquent, me murmure-t-il, l'orphelinat de Saint Joseph est un bon point de départ.

Perdue, je l'observe jusqu'à ce qu'il recule et fasse un signe de tête vers la sortie.

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Traduction :

No más jugar con ella. Ella necesita ponerse a trabajar : C'est fini de jouer avec elle. Il faut qu'elle se mette au travail.

Dos minutos : Deux minutes. S'il te plaît.

FrontièreWhere stories live. Discover now