ALLIANCE (既婚)

14

Notes :

- le texte en italique est en japonais.

- les définitions des mots marqués d'un astérisque (*) se trouvent dans la section commentaire correspondant au paragraphe.

Bonne lecture !

<既婚>

Luka

Shiiro était louche. A nouveau. Mais cette fois-ci, il ne semblait pas vouloir lui parler avant de se carapater. C'était plutôt l'inverse : il fuyait Luka dès que ce dernier l'approchait. C'était bizarre et vraiment anormal. Il devrait encore une fois lui tirer les vers du nez. Mais il n'avait pas le temps : son livre venait de sortir en librairie. Luka aimait et détestait à la fois la période de publication d'un livre. Il était content de voir le résultat de son travail dans les librairies, dans les mains des passants. Il aimait avoir leur retour, même négatif sur son travail. Même ceux-là étaient constructif tant qu'ils n'étaient pas méchant sans raison. Le problème était qu'on le sollicitait énormément et cela devenait très vite fatiguant pour lui qui aimait sa tranquillité. Mais c'était le lot du métier qu'il avait choisi. Il n'en était pas moins exsangue à la fin de la journée, semblable à une baleine échouée sur le canapé. C'est dans cette position que Shiiro le découvrait le samedi soir alors qu'il rentrait à une heure pas si tardive vu son habitude. Luka avait juste pris une douche et s'était écroulé sur le canapé, son téléphone en silencieux pour ne pas être dérangé dans son projet de ne rien faire du tout. Il avait besoin de concentration pour procrastiner. A son opposé, Shiiro était éblouissant dans sa tenue de travail : un pantalon noir qui épousait ses formes, une chemise blanche luxueuse dont les boutons étaient défaits jusqu'à mis torse et les manches relevées sur ses avant-bras musclés et veinés. Il tenait à la main sa veste et sa cravate.

- « Ça va ? » Demandait-il, le front plissé par une ride inquiète.

- « Au poil.

- Tu as besoin de quelque chose ?

- De gras et de vacances très loin. » Baragouinait-il en se tortillant comme une langouste afin de se redresser en position assise.

- « Prends ma carte et commande ce que tu veux, je vais prendre une douche.

- Tu... Tu vas manger avec moi ?

- Oui, à part si ça te dérange.

- N-Non... Je suis juste surpris... » Shiiro détournait le regard, jouant avec la veste qu'il avait en main. « Il y a un problème ?

- Aucun. » Répondait le japonais bien trop rapidement pour ne pas être louche.

- « Shiiro ?

- Rien de grave, je te le promets. Je vais prendre ma douche. » S'enfuyait-il à nouveau.

- « Je te ferais cracher le morceau Shiiro Ebinuma. » Disait Luka plus pour lui-même que pour l'animal en fuite.

L'écrivain ne savait pas ce qu'aimait Shiiro, mais il se doutait de l'appétence de ce dernier pour la gastronomie japonaise. Il décidait alors de commander un assortiment de plats japonais à base de riz mais également de toutes les viandes frites existantes à San Francisco. Il allégeait ainsi le porte-monnaie de son époux de presque quatre cents dollars. A peine une baguette de pain dans la fortune des Ebinuma estimée à plusieurs millions de dollars américains. Shiiro, qui avait retrouvé son masque imperturbable, le rejoignait dans le salon peu avant l'arrivée du livreur. Il avait enfilé un pantalon de lin beige ainsi qu'un polo de la même couleur. Même en tenue détente il faisait bien habiller. En même temps, la comparaison ne pouvait être que positif pour lui quand on voyait l'état déplorable du vieux survêtement de Luka ainsi que de son sweat recouvert de peinture. Le Beau et le Clochard. Le japonais l'aidait à récupérer la totalité de la commande auprès du livreur. Luka s'entêtait à ne pas le regarder pour voir le sourire rieur qui tordait le visage de Shiiro à la vue de l'énorme commande. Il sentait son amusement à travers les fibres de son corps. Ils installèrent le buffet royal sur l'îlot central de la cuisine, s'installant chacun sur une chaise de bar face à face. Au début, ils mangèrent sans échanger un mot mais Luka n'oubliait pas qu'il avait une mission : faire parler Shiiro. Et il était buté.