Chapitre 32

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Elizabeth

Carla m'attend à la sortie de ma classe. J'ai passé l'après-midi à penser au match de ce soir. Darrel qui gagne et m'embrasse fougueusement en plein milieu du terrain comme dans un film. Darrel qui perd et c'est moi qui vais quand même l'embrasser fougueusement sur le terrain comme dans un film. Darrel est à égalité avec l'autre équipe et nous nous embrassons fougueusement sur le terrain comme dans un film. Toutes ses fins me vont merveilleusement bien.

- Pourquoi est-ce que tu es là? je demande intriguée.

- Quoi, je n'ai pas le droit de passer du bon temps avec ma sœur jumelle.

Carla se rapproche de moi et m'attrape le bras pour s'y coller. Je la regarde en fronçant les sourcils.

- Qu'est ce que tu veux Carla ?

- Pourquoi à chaque fois que je viens tu crois que je veux quelque chose en retour ?

- Parce que c'est le cas.

- Ça a le mérite d'être cash, elle articule.

Elle reprend contenance et se tourne toute souriante vers moi.

- On va voir le match ensemble?

- Le cheerleading dans tout ça. Tu as oublié que tu devais agiter tes pompons?

J'accompagne ma parole en agitant des pompons invisibles avant de prendre une pose grotesque. Carla me donne un coup d'épaule.

- Tu n'as qu'à le faire avec nous, elle propose.

- Mais bien sûr et pourquoi pas faire la mascotte tant que tu y es.

- Je suis sûre que ça plairait à Darrel.

- Qu'est ce que je suis censé porter, je commence petit à petit à capituler.

- Il se peut que j'ai gardé ton uniforme dans mon casier au vestiaire.

J'écarquille les yeux choquée. Pourquoi a-t-elle fait cela? J'avais pourtant été très clair, je ne reprendrais jamais ce sport. La dernière fois que je suis tombée en pleine représentation parce que je me suis emmêlée les pieds.

- Carla... je la réprimande.

- Tu connais déjà la chorégraphie, elle ne change jamais.

- Tu m'expliques où est-ce que je me placerais. Je ne suis même pas inscrite.

- Eryn s'est foulée la cheville, tu n'as qu'à prendre sa place.

Je m'apprête à répliquer mais elle pose sa main sur ma bouche. Ses yeux pétillent d'excitation.

- Comme toi et moi au bon vieux temps.

Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, elle interprète mon affaissement d'épaule comme une réponse positive et m'entraîne en courant. Nous bousculons tout le monde. Carla a le plus beau sourire que je ne n'ai jamais vu. Ses dents brillent et ses lèvres pulpeuses lui donnent un sourire éclatant. Ses pommettes sont remontées et les coins de ses yeux sont plissés. Nous n'avons vraiment rien en commun.
Elle me traîne derrière elle pour m'emmener jusqu'au vestiaire. Toutes les cheerleaders sont déjà rassemblés et se changent pour le début du match. Carla ouvre son casier en grand et me sort mon ancienne tenue. Elle n'a pas changé. Les couleurs sont toujours éclatantes. Le tissu est toujours doux et la jupe est toujours aussi courte. Carla me pousse dans une cabine et m'oblige à me changer. Je me déshabille et enfile la tenue. La jupe short me va comme à l'ancienne. Le haut moule mes petites formes. Je n'ai pas été gâtée par la nature comme Carla. Mes petits seins ont été pendant longtemps un complexe. Quand tout le monde devenait « une femme » j'étais encore une planche à pain. Mais ce n'est plus ma première préoccupation, il y a plus important dans la vie que de ne pas accepter ton corps. Puisqu'il va me suivre jusqu'à la fin de mes jours, autant l'aimer. Les chaussettes hautes remontent juste en dessous de mes genoux. J'enfile les vieilles baskets blanches usagées et sors. Carla a un hoquet de surprise et me sourit.

- Tu es jolie comme ça. Il manque juste quelque chose.

Elle s'approche, me met dos à elle et prend une partie de mes cheveux dans sa main. Elle me les attache en demi queue et m'accroche un nœud avec les mêmes couleurs que l'uniforme.

- Maintenant tu es parfaite.

Je m'approche du seul miroir des vestiaires et m'observe choquée. On dirait moi mais avant. J'ai un mouvement de recul. Mes cheveux roux sont atroces. Ils sont fins et légèrement bouclés. Carla qui s'est changé entre-temps se place à mes côtés. Ses yeux s'écarquillent.

- Il faut qu'on fasse une photo.

Avant que je ne puisse répliquer, elle sort son téléphone et prend de nombreux clichés. Je ne fais même pas l'effort de sourire encore sous le choc de mon reflet. Toutes les autres nous rejoignent et nous faisons des photos de groupes. Tout le monde ici semble superficielle.

Nous restons encore un peu dans les vestiaires à discuter. Personnellement je me mure dans le silence pour les entendre parler. Je ne me sens pas particulièrement à ma place. Les sujets de discussion tourne en rond, qui a le meilleur copain, qui a les meilleures notes, qui a la meilleure famille, qui a la meilleure maison, qui a les meilleures anecdotes de soirées... Je ne comprends pas pourquoi la vie devrait être sans arrêt une compétition. Ça devrait être du partage, comme Darrel et moi. Même quand je ne veux pas penser à lui, il persiste à se frayer un chemin dans mon cerveau.

Je relève la tête quand je vois toutes les cheerleaders se lever et sortir des vestiaires. Je les suis et m'installe juste devant les gradins. Les places habituelles pour les pom pom girls afin d'encourager les joueurs. Il y a beaucoup de personnes ce soir. Je ne savais pas que ce match était si important. Ou alors c'est l'ambiance normale mais j'ai tellement l'habitude de ne pas y aller que je ne sais pas. Carla me fourre des pompons dans les mains. Quand toutes les autres les agitent, je laisse mes bras le long de mon corps me demandant encore comment j'en ai pu arriver là. 

Darrel est juste devant l'entrée du vestiaire. Il est avec ses coéquipiers qui attendent impatiemment de commencer. Quand nos regards se croisent, il refuse de le lâcher. Darrel me regarde de haut en bas, la bouche légèrement ouverte. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut me voir comme cela. Je lui renvoie son sourire éclatant. La musique se met alors à crier.

- En place les filles, dit Carla d'une voix héroïquement chiante.

Je trottine et me place sur le côté gauche. Wow, il y a vraiment du monde. Je ne m'attendais pas à ce qu'il y ait autant de paires d'yeux rivés sur nous. Sur moi. Mes pieds commencent à fuir tout seul mais le démarrage de la musique m'en empêche. Je n'ai plus le choix, il va falloir que j'assure.

Mes bras et mes jambes s'agitent tout seul. Je tente de suivre tant bien que mal ma sœur qui ne fait que gesticuler. Il est vrai que la chorégraphie n'a pas changé, mais je ne vais pas m'en plaindre. Un premier groupe tout à droite est en train de se placer. Deux autres filles s'approchent de moi et me font les gros yeux.

- Lizzie, ton pied dans sur ma main.

- Je vous demande pardon? je demande pétrifiée.

- Eryn est voltigeuse.

- Non mais vous vous fichez de ma gueule! Je n'ai jamais été voltigeuse.

- Tu es la plus légère de nous toute, articule Chloé. Alors maintenant tu montes.

Avant que je puisse répliquer, je suis projetée en l'air. En me tournant j'essaie de reproduire la figure. Je dois simplement lever les bras et rapprocher mon pied droit de mon genou gauche. Ça a l'air si simple mais je tremble entièrement. J'élève mon pied mais j'ai énormément de mal à tenir. Je vais tomber. Littéralement, je le sens. Mon corps est projeté en arrière.


Plus cliché tu meursWhere stories live. Discover now