Chapitre 29

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Elizabeth

Nous sommes tous assis autour du comptoir de la cuisine. Mes parents sont côte à côte, Carla et moi en face. Cela fait une quinzaine de minutes qu'aucun de nous n'a ouvert la bouche. Je me sers à manger et les ignore tous comme à mon habitude. Le seul bruit que nous faisons est avec nos couverts. Ma mère lève la tête mais je garde la mienne baisser pour ne pas croiser son regard. J'ai semé la zizanie dans la villa. On dirait une téléréalité ratée.

- Est ce qu'on va enfin en discuter, demande Carla en brisant le silence.

Tout le monde se tourne vers moi. Bien sûr, ils attendent tous que je parle. Tous les problèmes viennent de moi.

- Qu'est ce que je dois dire? je demande en haussant les épaules.

- Mais enfin! Dit ce que tu as sur le cœur bon dieu!

- Je ne savais pas que tu étais croyante, dis-je ironiquement.

- Laisse Carla, elle n'a pas l'air de vouloir coopérer.

- Bah oui Carla écoute Stéphanie, elle sait mieux que tout le monde, je m'écrie.

- Tu sais ce que c'est ton problème, commence-t-elle, tu ne sais pas t'exprimer.

- Parfois je me demande si tu es vraiment ma mère, je lâche enfin.

- Je te demande pardon?

- Comment est-ce que tu peux me parler ainsi? Comment veux-tu que je t'aime si tu ne me montre aucun signe d'affection.

- Elizabeth... murmure-t-elle.

- C'était quand la dernière fois que tu m'as dit que j'étais jolie? je commence les larmes au coin des yeux. C'était quand la dernière fois qu'on a discuté sans s'engueuler? C'était quand la dernière fois que tu m'as serré dans tes bras? C'était quand la dernière fois que tu m'as cru?

Plus je répétais les phrases, plus ma voix se cassait. Cette réunion de famille a viré à un règlement de compte entre ma mère et moi. Mon père se concentre sur son dîner et ma sœur nous regarde en pleurant. Mes propres larmes ont commencé à couler. J'ai tout gardé pour moi pendant si longtemps. Je n'en peux plus, je ne tiens plus. J'essaie de réprimer mes sanglots mais je n'y arrive pas.

- C'était quand la dernière fois que tu m'as cru! je hurle en tapant mon poing sur la table.

Ma mère a porté sa main à sa bouche. Carla a sursauté, et mon père ne nous montre encore une fois aucun signe d'intérêt. Je me fais peur moi-même mais j'ai du mal à me contrôler, je suis tellement en colère contre mes parents. Je sens une main chaude se poser sur mon épaule mais je la repousse, brûlée par ce contact.

- Lâche-moi.

Je me lève, toujours en train de pleurer. J'entends la voix de ma famille me rappeler mais je ne les écoute pas. J'ai besoin de prendre l'air. De respirer. J'étouffe dans mon corps, dans ma vie, dans ma tête. J'agis comme si tout allait bien depuis tellement longtemps.
Je fonce à l'extérieur de chez moi et sonne chez Darrel. Je m'énerve sur la sonnette et appuie à répétition. Je suis désespérée et pathétique mais j'ai besoin de l'entendre. J'ai besoin de lui. Il ouvre enfin la porte et mes sanglots redoublent. Je pleure à chaudes larmes et fais sûrement une grimace affreuse.

- Lizzie?

- Tu me crois toi? Hein, tu me crois?

Il me regarde en étant déconcerté. Ses cheveux lui tombent devant les yeux. Je lui tape le torse, les larmes qui coulent le long de mon visage.

- Dis-moi que tu me crois!

- Bien sûr que je te crois.

Il m'enlace enfin. Darrel me sert fort contre son corps. Mes sanglots ne veulent plus s'arrêter. J'aurais tellement aimé qu'ils ne reviennent jamais. J'aurais aimé vivre seul avec Darrel pour l'éternité. J'aurais souhaité que le temps s'arrête.

- Viens dormir avec moi, il susurre.

Je secoue la tête.

- Je ne peux pas.

- Viens dormir avec moi, il répète. Mon lit est froid sans toi.

- Mes parents sont sur mon dos, je ne peux pas prendre le risque.

Darrel approche sa tête de mon épaule et la pose. Il tourne son nez vers mon cou et me sens. Je rigole légèrement.

- Est ce que tu viens de me sentir?

- Oui, j'en avais envie.

- Je dois sentir le désespoir.

- Non, tu sens la fleur.

Mes larmes arrêtent de couler. J'ouvre la bouche légèrement ahuris. Ses cheveux me chatouillent. Il frotte son nez dans mon cou.

- J'ai envie de t'embrasser, il murmure.

- T'es toujours pas redescendu ou quoi? je ris.

- J'ai envie de t'embrasser, il répète sur le même ton.

- Darrel, c'est vraiment pas le bon moment.

- Je sais.

Il se redresse et me regarde droit dans les yeux. Il a les mains enfoncés dans les poches de son gilet mais son sourire chaleureux enlève cet air nonchalant.
Nous nous asseyons sur son porche. Il colle son épaule et sa jambe aux miennes. Darrel attrape ma main et commence à jouer avec. Je n'aurais jamais cru craquer en face de lui. En face de quiconque même. J'ai passé un an à pleurer seule dans ma chambre. C'est dur de se montrer et de se mettre à nu, mais qu'est ce que ça fait du bien de ne pas être jugée et épiée en permanence.

- Alors, comment ça c'est passé, il commence doucement.

- Tu sais la routine, je réplique sur la rigolade. Mes parents se demandent à partir de quel moment ils ont foiré leur éducation.

Darrel rigole légèrement avec moi. Je lève la tête et sent l'air frais du soir. Ça fait du bien de ne plus penser à rien.

- Je suis content que tu me parles, il murmure incertain.

- Je suis désolée, je commence, si je t'ai paru froide et distante je ne voulais juste pas parler de ça... je dis en montrant ma maison. Ma famille est un vrai carnage.

- Tu as vu ma mère, je pense qu'on est quitte. Finis les moments embarrassants.

Darrel change ma main de position et me la serre. Même dans le noir, je peux voir sa bouche d'oreille briller. Je tends la main vers celle-ci.

- Ça te va super bien. On dirait Aron piper !

- Qui?

- Un acteur espagnol, inculte.

Je baisse les yeux vers les siens. Nos visages sont si proches. Un petit mouvement et nous aurons ce qu'on souhaite depuis ce matin. Je m'avance légèrement pour frôler ses lèvres.

- Elizabeth reviens immédiatement!

La voix de ma mère me fait sursauter. Je me recule de Darrel et colle ma tête à son épaule.

- Bon ça sera pas pour ce soir.

Darrel grogne d'exaspération.

- T'as vraiment une sale manie de dire tout ce que tu penses hein?

- Tu n'aimes pas?

- Tu plaisantes, j'adore ça.

Il prend mon menton dans ses mains mais râle en entendant la voix tonitruante venant de ma maison.

- Elizabeth! hurle ma mère.

- Le devoir m'appelle. Bonne nuit.

- Bonne nuit Lizzie.

Darrel se penche et dépose un léger baiser sur ma joue. Il rentre chez lui et je fais de même.

Ça doit faire deux heures que je suis allongée dans mon lit mais que le sommeil ne vient pas. Je fixe mon plafond. Mes parents sont encore dans le salon et il hurle à la mort. Je fais tout pour ne pas les entendre mais leurs voix se frayent un chemin dans mon cerveau. Ils se reprochent de ne pas s'occuper correctement de moi. Ma mère se demande même si elle ne devrait pas m'emmener dans un pensionnat, histoire d'éloigner les problèmes. Mon père, lui, la laisse parler dans le vide. Il réplique quelques phrases de temps en temps mais ça ne va pas plus loin. Encore une fois, il fait la sourde oreille.
J'aimerais tellement qu'ils m'écoutent tous ne serait-ce qu'une fois.

Plus cliché tu meursWhere stories live. Discover now