- Vous avez fait quoi ? je crie, je ne mesure pas la portée de ma voix mais j'en ai rien à foutre.
- Jay, calme toi... on devait le faire, tente de s'expliquer Anna.
Je fais les cent pas, cherchant à réagir de la meilleure manière possible, mais je crois bien que je ne suis pas capable de faire autre chose que de leur crier dessus.
- Que je me calme ? Vous vous foutez de ma gueule ? Attendez, je vous parle d'un truc super important pour moi. J'en ai jamais parlé à personne, pas même à cette putain de psy. À personne, vous comprenez ? Vous étiez les seuls au courant et là vous racontez tout au père de mon ex ? Et vous lui dîtes en plus de tout ça, qu'elle doit se faire aider ? Mais vous blaguez j'espère ?! Elle est sur un putain lit d'hôpital parce qu'elle a voulu se suicider et vous trouvez rien de mieux que d'aller dire à son père qu'elle doit se faire aider parce qu'elle m'a porté des coups ? Vous vous rendez compte de la bombe que vous venez de lâcher ? Putain !
Je jure, encore et encore, je n'en reviens pas. Ils semblent effrayés par mon monologue, mais je n'en ai que faire. Ils n'avaient pas le droit. Il n'avaient pas le droit de parler de ce que j'ai vécu, à ma place. Ils ne pouvaient pas. Pourquoi sont-ils allés le dire, à son père en plus ? Je ne comprends pas la réaction de ces deux-là, qui étaient pourtant censés être digne de confiance. Je le pensais, c'est bien pour ça que je leur ai tout raconté. Je sais bien que je ne pouvais pas tout garder pour moi, qu'il fallait que j'en parle à quelqu'un un jour, mais jamais je n'aurais pensé devoir le faire en de telle circonstance et encore moins que le père de celle qui m'a causé tant de mal soit au courant.
Le fait qu'il pensait que notre rupture était de ma faute m'allait très bien.
Anna s'approche de moi, tentant de me calmer mais je me dégage de sa prise. Ayden quant à lui reste à bonne distance, et il fait bien. Je n'arrive pas à faire redescendre la pression.
Le père de Lola est venu me parler pour tenter de comprendre si mes meilleurs amis lui ont dit la vérité. J'ai craqué, j'ai pleuré devant lui. Je n'aurais jamais dû me montrer aussi faible, mais c'est sorti tout seul. Il ne lui en a pas fallu davantage pour comprendre que ce n'était que la vérité. J'avoue être plus que surpris qu'il n'ait pas cherché à démentir leurs dires par tous les moyens. On parle bien de sa fille quand même. Mais dans son regard j'ai senti qu'il me comprenait. Je n'ai pas osé posé la moindre question. Trop dévasté d'entendre dans sa bouche ces mots bien trop douloureux. Je ne vois plus sa mère dans les parages et je doute qu'elle soit au courant.
Nous sommes toujours dans la salle d'attente de cet hôpital, que je ne connais que trop bien. Ma tête me fait mal, j'ai l'impression qu'elle va exploser. On doit être au beau milieu de la nuit mais je ne peux pas me résoudre à partir, pas avant de l'avoir vue.
Je profite d'un moment d'assoupissement de mes amis pour me faufiler à travers les couloirs. Il faut que je trouve sa chambre, je dois lui dire adieu cette fois. Je dois lui dire que c'est terminé. Je sais que le moment est loin d'être idéal et qu'elle a tenté de mettre fin à ses jours, mais pour moi c'est la fin aussi. Elle ne doit plus jamais m'approcher, elle ne doit plus jamais entrer en contact avec moi. Je ne le supporterai plus et pour son propre bien à elle, il faut que ce soit la dernière fois aujourd'hui.
Une main me retient le bras au coin d'un couloir.
- James.
Je reconnais la voix du paternel de Lola. Des frissons me parcourent la colonne vertébrale. Je me tourne vers lui, m'arrête brusquement et je tente de soutenir son regard.
- James, écoute-moi. Je suis désolé pour tout ce que Lola t'a fait. Tes amis... Tu sais j'ai entendu ce que tu leur as dit, mais ne les blâme pas. Ils n'ont fait que ce qu'ils pensaient bien pour toi. James, oh mon petit. Je m'en veux. Tu sais, je l'ai déjà vu faire...
Il a quoi ? Attendez, qu'on me ramène sur Terre. C'est impossible, il n'a pas pu voir Lola me frapper, nous étions à chaque fois seuls. Je tente de lui demander comment c'est possible mais aucun son ne sort de ma bouche. Comme s'il avait lu dans mes pensées, il continue :
- Je n'ai jamais rien dit, je pensais avoir mal vu. Je suis rentré une fois plus tôt et tu étais en train de partir, elle t'a griffé la joue. Je n'ai pas voulu comprendre son geste, j'ai même pensé que tu le méritais...
- Jamais je n'aurais fait de mal à Lola, monsieur, j'arrive enfin à m'exprimer.
Je suis abasourdi par ses révélations, soudain je pèse une tonne et je me sens vaciller.
- Assieds-toi, me dit-il en nous asseyant par-terre. Tu sais, je connais ton histoire, je sais que la vie n'a pas été tendre avec toi.
Il fait une pause dans son récit et je tente de ravaler mes larmes.
- Je le sais aujourd'hui, tu t'es inquiété pour elle, même à des dizaines de kilomètres d'ici. Tu es venu et je ne pourrai jamais te remercier comme il se doit. Tu as sauvé la vie de ma fille, malgré tout ce qui a pu se passer entre vous.
- Lola était tout ce que j'avais à une époque.
Je ne comprends pas d'où me vient cette confiance que j'accorde soudain à cet homme dont les yeux se teintent de tristesse et de compassion, et je me laisse porter dans cette discussion qui me paraît presque être dans un de mes rêve.
- Lola... Elle a fait pareil à Diego, me dit-il sans me regarder dans les yeux cette fois.
- Diego et elle... ? Ils sont restés longtemps ensemble ? je demande prudemment, comme pour comprendre toute l'étendue de la situation.
- Oui, enfin non. Peu de temps après que tu l'ait quitté... enfin après que vous soyez séparés, elle nous l'a présenté. Il était son ami, mais rapidement j'ai compris qu'ils sont devenus plus que ça. Lola ne voulait pas m'écouter quand je l'interdisais de dormir avec lui. Elle est devenue ingérable depuis que tu es parti.
- Nous n'étions déjà plus ensemble avant que je ne déménage...
- Oui... Enfin, ce que je voulais dire c'est que je crois qu'elle faisait la même chose à Diego.
Diego... Merde, c'était mon meilleur ami et c'est avec lui qu'elle était en train de coucher le jour de son anniversaire quand je les ai découvert. Non, je ne peux pas dire ça à son père. Les confidences oui, mais pas trop non plus.
- Mais comment pouvez-vous le savoir ? dis-je d'une voix hésitante et encore faible.
- Je réalise aujourd'hui les traces de griffure sur son visage, comme la tienne ici, dit-il en approchant son doigt de ma joue.
Je garde encore aujourd'hui des cicatrices de ma relation avec elle, je pensais qu'elles n'étaient plus tellement visibles, mais apparemment elles le sont encore.
- James, ils ne sont plus ensemble aujourd'hui mais j'ai bien peur qu'elle lui ait fait subir la même chose...
- Oh mon Dieu...
C'est tout ce que j'arrive à articuler.
- James, si tu veux porter plainte, je ne t'en voudrais pas. Tu as le droit. Je prends conscience ce soir que Lola a besoin de se faire aider. Tes amis m'ont expliqué beaucoup de choses. Ils m'ont aussi montré les messages...
- Quels messages ?
Je tâte la poche de mon pantalon. Mon portable. Il n'y est plus et je suis sûre qu'un des deux me la pris lorsque je dormais dans la salle d'attente.
- Au vue de ce que j'ai pu lire, je dirais que Lola a développé des troubles addictifs à ton encontre et elle possède clairement des troubles du comportement. Ce qu'elle t'a fait n'est en rien normal, Jay. Ce n'est pas ta faute. J'ai cru comprendre que tu te sentais coupable de ce qu'elle a fait ce soir.
Je reste sans voix face à tant de lucidité dans son analyse et je réalise alors que le père de Lola n'est en rien comme elle a pu me le décrire auparavant. Elle disait de lui qu'il était autoritaire, borné, sans aucune ouverture d'esprit et obsédé par le droit chemin. Je prends conscience qu'il est tout sauf fermé d'esprit. Elle ne me la jamais décrit comme quelqu'un de compréhensif.
- Je suppose que tu te demandes pourquoi je ne prends pas la défense de Lola. Eh bien, James, en quinze ans d'expérience en tant que psychothérapeute je peux te dire que j'en ai vu passer des patients. Elle possède tous les caractéristiques d'un trouble comportemental. Elle est et restera ma petite fille, mais après ce soir, plus rien ne sera pareil...
- Elle m'a dit que vous étiez dentiste.
Voilà la seule phrase qui sort de ma bouche, alors que j'aurais mille questions à lui poser. Je comprends maintenant pourquoi il est si attentionné et à l'écoute. Tout se bouscule dans ma tête.
- James, je te demanderai de ne pas aller la voir. Ça ne résoudra rien. Elle n'en sera que plus perturbée. Je te promets en revanche qu'elle ne fera plus de mal à personne. Je vais faire de mon mieux pour qu'elle soit accompagnée. Bien sûr, ce sera par un collègue, mais je connais des personnes merveilleuses qui feront des miracles avec Lola.
Il esquisse un faible sourire et je ne peux m'empêcher de lui avouer le fond de ma pensée :
- Lola a tellement de chance de vous avoir.
Des larmes coulent le long de mon visage, je les essuie et me lève. Je dois retrouver Ayden et Anna, nous devons partir d'ici et vite. Il faut que je m'éloigne au plus vite de cet endroit, au plus loin d'elle. Je ne veux plus jamais avoir à faire à elle. Je ne me relèverai pas.
Le père de Lola se relève à son tour et me prend dans ses bras. Il glisse une carte dans la poche arrière de mon jeans et chuchote :
- Si tu as besoin un jour de parler, n'hésites pas. Si tu as besoin de prendre de ses nouvelles un jour, n'hésites pas. Et surtout, sois heureux James. Prends soin de toi.
Je m'éloigne, déboussolé par tant de gentillesse en lui. Je prends la carte et découvre qu'il s'appelle Charly et non Pierre comme mon ex me l'avait fait croire. Décidément, je crois qu'il faut qu'elle se fasse aider, putain !