Chapitre 8

651 55 57
                                    

Pdv Levi

Le courier est chargé ce matin. Les lettres arrivent de partout. Les obsèques ont lieu la semaine prochaine. Les gens nous écrivent pour nous dire si ils seront présents ou pas, nous expliquant en long en large et en travers à quel point ils étaient proches de Pixis, et donc à quel point il faut qu'ils soient bien placés pendant la cérémonie. Parfois, glissé dans l'enveloppe, un billet sert d'argument. Je garde tous les billets pour les mettre dans la caisse commune du conseil, c'est une tradition qui dure depuis que Hanji a pris la tête du conseil. Tout l'argent destiné à nous corrompre doit rejoindre la caisse commune. À la fin de l'année, on s'offre en général un luxueux repas dans le restaurant le plus cher de la capitale. Cette pratique me fait beaucoup rire, donc j'y participe. Malgré tout, si certains ne mettent que quelques pièces de cuivre ou de bronze, certains vont jusqu'à mettre une pièce d'argent, voire d'or ! On se demande jusqu'où les gens sont prêts à aller pour un peu de visibilité ou de reconnaissance auprès de la cour.

Je passe une journée entière à éplucher les lettres les unes après les autres, à les faire parvenir à Hanji pour qu'elle organise les évènements, et à rire des stratagèmes tous plus originaux et ingénieux les uns que les autres que les gens utilisent pour se donner de l'importance.

Alors que je commence à voir le bout de cette longue pile de missives, j'aperçois, perdue au milieu des autres, une enveloppe à la teinte bleutée caractéristique. Je la sors et la pose sur un coin de mon bureau, à l'écart. Je la lirai en dernier.

Enfin ! J'ai fini ! J'envoie un dernier serviteur apporter les couriers triés chez Dame Hanji. Je jette un œil à l'horloge qui orne mon bureau : 22h32. Je m'étire longuement, détendant les muscles de mon dos. Enfin, je me tourne vers la seule lettre qui occupe encore le bureau. Je prends l'enveloppe bleue, et attrape mon découpe papier. Je l'ouvre soigneusement, et en sort une lettre, rédigée sur ces feuilles à la texture si particulière. En effet, les Church ont pour habitude d'écrire toutes leurs lettres sur des feuilles de papyrus. C'est une plante que l'on trouve beaucoup dans le sud du pays, où les Church demeurent.

La lettre commence comme suit :

Madame, Monsieur,

Nous vous confirmons notre venue au château à l'occasion des funérailles de notre défunt souverain. Nous passerons une semaine au château. Nous espérons que tout se déroulera bien. Viendrons mon épouse et moi même, ainsi que mes deux fils. Nous vous adressons nos plus sincères condoléances,

Bien à vous,

Lord Church.

Je replie le papier et le remet dans son enveloppe, déçu. C'est alors que je remarque que l'enveloppe contient en réalité une deuxième lettre. Celle ci est pliée beaucoup plus finement, et est glissée dans le fond de l'enveloppe. Je la déplie, et, immédiatement, je reconnais l'écriture. Je la reconnaîtrais entre mille. Je laisse un sourire envahir mon visage.

Mon cher ami,

Je me doute que c'est toi qui t'occupe de ce genre de courier, puisque, comme tu le dis si bien, toute la sale besogne est pour toi. Comme tu viens probablement de l'apprendre, mes parents et moi nous rendons au palais pour les funérailles, et nous y resterons une semaine entière. Je pense que nous aurons le temps de nous voir. J'ai terriblement hâte de te retrouver. J'espère arriver à te faire un peu oublier les tracas du palais quand je serai là.

En attendant, je m'impatiente dans notre manoir. Tout est tellement terne quand tu n'es pas là pour te plaindre.

Avec toute mon amitié,

Farlan.

Je repose la lettre sur le bureau. Mon sourire n'a pas quitté mon visage, et j'entends mon cœur battre fortement à mes oreilles. Cela fait si longtemps que je n'ai pas vu Farlan, nos correspondances écrites ne me suffisaient plus. La perspective de le voir me remplit de joie. Il est, pour ainsi dire, mon seul véritable ami. Nous nous connaissons depuis l'adolescence. Nous suivions des cours ensemble à l'académie de lettres. Bien que nous suivions des cursus différents, nous avions cours de science politique en commun. Nos premiers échanges étaient pour le moins agités, pour ne pas dire belliqueux, mais nous avons fini par nous entendre. En effet, étant de nature assez solitaire, il n'était pas rare que je sois la cible de moqueries, voire de harcèlement. C'était pendant ma deuxième année, alors que des troisième années essayaient de me dérober le peu de pièces de bronze que j'avais alors sur moi, qu'il est intervenu, faisant fuir mes agresseurs. Je lui en étais reconnaissant, et nous avons donc pris le temps de faire plus ample connaissance.

Et de fil en aiguille, nous sommes devenus inséparables. Néanmoins, une fois nos diplômes en poche, nous avons chacun dû partir de notre côté. Lui a dû suivre son père pour gérer les terres du sud, et moi je me suis lancé en politique. Étant chacun très occupé et très éloigné géographiquement de l'autre, les occasions de nous voir étaient assez rares. Néanmoins, le lien fort nous unissant n'a jamais faibli. Malgré tout, cela va faire un an que nous ne nous sommes pas vus. Je suppose qu'il a changé, mais de ce que je lis dans ses lettres, il ne semble pas avoir changé en mal.

J'ai un léger pincement au cœur. Et si il avait vraiment changé ? Non, impossible. Il restera toujours le Farlan que je connaissais, le Farlan gentil, tendre et plein d'humour qu'il a toujours été.

Je sors une boîte d'un de mes tiroirs, ainsi qu'une petite clé que je détache d'un de mes bracelets. J'ouvre la boîte dans laquelle je range la lettre avant de la refermer soigneusement et de la ranger à sa place d'origine. La clé reprend sa place à mon poignet. Cette boîte contient toutes les lettres que Farlan m'a envoyé. Je la garde précieusement.

Je reste encore quelques minutes face à mon bureau, installé confortablement dans mon fauteuil, profitant de la douce chaleur qui a envahi ma poitrine. J'aime cette sensation, bien que je me refuse à mettre des mots dessus. Elle est simplement douce et plaisante. Elle appaise mon esprit. Je finis par me lever, le sourire toujours aux lèvres, pour aller me coucher. La semaine prochaine sera diablement chargée, je ferais bien de me reposer en avance. Je me laisse glisser dans le sommeil, emporté par la douce chaleur qui occupe toujours ma cage thoracique. Tellement hâte de te revoir....

Le Royaume d'Eldia  {Ereri}Where stories live. Discover now