8. Rencontre (Jay)

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Une fois ma moto garée devant le lycée, je retire mon casque. Mon rétroviseur me renvoie ma tête des mauvais jours. Je ne suis pas du matin en général mais là c'est pire que tout : je suis d'humeur massacrante. Saleté de vieille sorcière, je me frotte le front. Je ne pourrai plus voir de noisettes en peinture sans penser à cette folle qui s'en sert de projectiles.

La soirée avec mon meilleur ami Rob devait me détendre, mais si cette tarée est dans les parages, je ne donne pas cher de ma réaction. Elle renifle chaque fois qu'elle me voit avec une fille et me regarde de haut quand je discute avec Roxanne, elle me cherche ou quoi ? Et puis son nouveau projet de site internet avec ses avatars tordus, franchement c'est bizarre. De toute façon tout est étrange avec elle. Elle m'irrite carrément. Si elle n'était pas la marraine de Roxanne, je la jetterais dehors sans ménagement chaque fois qu'elle s'invite chez nous.

Je souffle bruyamment et m'engouffre dans le lycée, encore une matinée de cours à supporter. J'ai promis à Roxanne de ne rater aucun cours cette année. Je n'ai pas besoin de refaire le programme, j'ai beau être redoublant je connais mon affaire. Je soupire, il faut que j'évite de penser à l'an dernier... Trop de mauvais souvenirs s'accumulent. J'ai décidé de changer d'établissement à cause de tout ce qu'il s'est passé. Rob, lui a carrément décroché. Il fait une année blanche, comme si on pouvait repartir à zéro. C'est nous les zéros dans cette sombre histoire. Une fois que j'aurai mon bac, je ferai tout pour me racheter, je consacrerai ma vie à ça.

J'enfonce avec rage mes poings au fond de mes poches. Je dois penser à autre chose. Je rase les murs décrépis du lycée, en saluant quelques élèves au passage, sans m'attarder. Pas envie de faire la causette.

Bon sang, qu'est-ce qu'il est vieux cet établissement, il y a même toute une partie en réfection, je frôle les rubans de plastique de la zone de travaux barrant un couloir condamné. Le plancher est couvert de poussière, des sacs de plâtre s'entassent à côté d'outils et de pots de peinture, mais les ouvriers ne travaillent pas ce matin. Rien à voir avec mon ancienne école où tout était refait à neuf, c'était tellement luxueux que cela me semblait irréel. On avait même une piscine sur le toit, un gymnase dernier cri et chaque élève venait avec son propre ordinateur portable. Ici, j'ai ressorti mes cahiers et stylos, mon écriture est tellement ignoble que j'arrive à peine à me relire. Peu importe, j'obtiens mon bac et je me casse ! Le plus important est que cela me permet de ne plus croiser mes anciens « camarades » de l'an dernier et puis ici, pas d'uniforme ni de cravate réglementaire, j'apprécie carrément.

Un groupe de filles de première me dévore du regard alors que je passe à côté, je rentre la tête dans mes épaules, comme une tortue dans sa carapace. Je me trimballe une drôle de réputation depuis mon arrivée, je pensais que ça mettrait tout le monde à distance et, même si c'est un peu le cas, j'en fascine certaines : hors de question de devenir leur fantasme d'adolescentes immatures. Je trace jusqu'à ma salle, m'installe au fond, près de la fenêtre.

Le délégué entre brusquement avec son sourire de crocodile postulant pour une pub de dentifrice, soit il s'est fait refaire tout le dentier, soit il a une bonne nouvelle. Il nous annonce que prof est absent, on a une heure devant nous.

Je tape un poing sur ma table, je me suis levé pour rien ! Cela m'énerve !

Je chope mon sac et file sans demander mon reste, pas question de moisir ici. J'ai la flemme de rentrer à la maison pour une petite heure, je vais finalement faire une petite sieste. Avant qu'on ne me voie, je me faufile dans la zone de travaux, fonce au bout du couloir poussiéreux et débouche dans une vaste salle. Je vais bien y trouver un coin pour dormir un peu, non ?

L'idée me semble prometteuse : cette salle est un ancien gymnase du début du siècle dernier, en haut des gradins, sous la verrière de fer forgé, je découvre un sac de vieux ballons et même une pile de matelas de gym. Ils n'attendent que moi. Je m'allonge, la matinée ne sera pas si pourrie. Je ferme les yeux, au calme. Tout s'arrange finalement.

Du moins, c'est ce que jepensais avant d'être dérangé au bout de vingt minutes par un truc qui renifleen bas de gradin. Un fantôme roux avec un rhume, ça existe ?

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