58. Glaces (Stella)

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Quelle belle journée ! Je porte ma main en visière pour contempler le ciel depuis les marches du lycée. Les cours sont enfin finis et je n'ai pas eu de soucis, en soit c'est une victoire.

Je n'ai pas vu Jay depuis qu'il est parti avec Roxanne hier soir, je me demande vraiment pourquoi elle provoquait M. Duval comme ça.

Je rallume mon téléphone. Sur le site de la sorcière, je constate une notification de Blanche : une photo d'elle en compagnie de mon prof préféré prise en matinée.

Quand je pense à la tête de Blanche lorsqu'elle a été invitée à leur gala, c'était trop marrant et en même temps bizarre. Je pensais qu'elle allait refuser mais au vu de ce post, j'en conclus qu'elle va aller à cette soirée. Je me gratte la joue, dubitative. Ce n'est pas du tout le genre de M. Duval de jouer au prince charmant lors d'un bal, je me demande ce qu'il est en train de fomenter. C'est difficile de savoir ce qu'il pense et pourquoi il agit ainsi. Jusqu'à très récemment, j'ignorais même que Roxanne et lui étaient amis d'enfance, j'ignore pourquoi Rob et Jay lui en veulent et j'ai pourtant tellement confiance en lui...

Au fond, que sais-je vraiment de Matthias Duval ? Malgré le soleil chauffant mes joues, j'ai l'impression que mes souvenirs de notre rencontre me rattrapent.

Le gouttes de pluie tombaient drues en martelant mon petit parapluie noir, couvrant mon chagrin de leurs rebonds bruyants. Mon imperméable me protégeait à peine de l'orage, ma main enserrait jusqu'à la douleur le manche du parapluie qui me servait de dernier rempart. Je ne voulais pas voir cette tombe, je fixais le bout de mes chaussures et la flaque qui se formait tout autour de moi. J'étais comme vissée dans l'allée de ce minuscule cimetière, le souffle cours, les larmes au bord des yeux, la gorge serrée par la rage et le regret.

Pourquoi Cam était-il tombé du toit de son lycée ? Le mot suicide circulait sur les lèvres de quelques inconnus, la mère de Cam parlait pudiquement d'accident, mon père la soutenait comme il pouvait. Je n'avais pas eu la possibilité d'aimer ce frère assez longtemps pour le sauver, je ne savais même pas de quoi j'aurais pu le sauver. J'étais juste là, inutile et gauche, perdue dans ma tristesse et cela m'insupportait. J'étais sa famille, mais je ne l'avais été que provisoirement. J'étais sa sœur mais pas assez pour qu'il me parle de ce qui avait pu le tracasser.

Au fond, je lui en voulais. Je lui en voulais de m'avoir laissée toute seule. D'avoir déchiré mon cœur fragile en me quittant. Et je me détestais de penser à moi dans cet instant, alors que sa mère restait digne, tandis que je m'enfonçais dans ma tristesse. Je me trouvais indigne et illégitime dans mon deuil face à celles et ceux qui avaient vécu plus longtemps à ses côtés, été sa vraie famille, ses amis de longue date. Pourtant, rien n'y faisait : j'étais inconsolable et en colère.

Le cortège s'était retiré des lieux, j'étais restée seule, toujours incapable du moindre mouvement, incapable du moindre mot. Le son de la pluie couvrait par intermittence mes pensée et me tenait compagnie.

« Vous devriez vous abriter, mademoiselle »

A ces paroles, j'avais levé la tête pour sortir de mes pensées. Un homme en costume et long manteau noir se tenait devant moi. Ses cheveux noirs dégoulinaient sur son front et la buée de ses lunettes ne me permettait pas de distinguer son regard.

Devant mon mutisme, il avait souri doucement et m'avait fait un geste de la main pour le suivre. J'étais trop bouleversé pour avoir l'énergie de me rebeller, je l'avais suivi sous un auvent à proximité. Il m'avait pris le parapluie des mains pour le secouer et en évacuer l'eau, lui-même n'en avait pas et il était trempé jusqu'aux os pourtant c'est pour moi qu'il semblait soucieux. Etait-ce un cousin de la famille ? Puis il me l'avait rendu. L'espace d'un instant, j'ai aperçu le bleu de ses yeux quand il avait enlevé ses lunettes pour les essuyer, mais la buée était réapparue aussitôt qu'il les avait replacées sur son nez. Pleurait-il aussi ? J'avais détourné le regard par respect pour son chagrin et parce que j'étais moi-même à deux doigts de m'effondrer.

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