26. Couler (Stella)

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J'ai trop parlé avec Blanche et maintenant je suis en retard. Je cours dans le lycée alors que la deuxième sonnerie retentit, je passe devant le gymnase en travaux, bifurque sur la droite et fonce tout au fond d'un long couloir vers la salle de cours. A peine, suis-je entrée que la prof annonce un contrôle-surprise. C'est bien ma veine !

Essoufflée et un peu paniquée, je m'assieds sur ma table à côté de la fenêtre et sors une copie double ainsi que ma trousse, mon téléphone tombe de mon sac au même moment dans un bruit sec. Je le ramasse pour voir s'il n'est pas cassé et frotte l'écran qui s'allume aussitôt, un texto non-lu apparaît. Mes yeux ne peuvent esquiver le texte qui s'affiche : « Rentre à la maison immédiatement ! Papa. »

Ma gorge se serre et je panique.

Non... je ne veux pas rentrer. Ne me fais pas ça.

« Stella, éteignez votre téléphone, me sermonne la prof depuis son estrade. Pas de tricherie durant le test, les instructions sont au tableau, vous avez quinze minutes à partir de maintenant. »

J'obéis et me rassieds aussi vite que possible. Dans mon esprit c'est tout blanc. Non... ne me demandez pas de revenir. Je ne veux pas. Est-ce que mon père a parlé au proviseur ?

J'ai beau essayer de me concentrer sur le tableau, les consignes se mettent à tanguer si intensément que j'en ai mal au cœur. Les chiffres se mettent à onduler, les X et leurs amis Y tremblent en petite vaguelettes. Mon cerveau refuse d'analyser.

Les sons diffus de la salle de classe, des stylos sur le papier, deviennent oppressants, puis étouffés. C'est comme avoir la tête sous l'eau. Mon corps se crispe, mes pensées lourdes m'entraînent vers le fond de ma conscience. L'air me manque. Je m'enfonce douloureusement dans une panique sourde. Et puis soudain : le silence total.

Tout est blanc dans mon esprit. Chut. Ne plus bouger. Ne plus penser. Faire l'étoile. Faire la morte.

Je suis tout en bas de mon moral, tout au fond de moi-même. J'ai peur : si je n'arrivais plus à remonter ? Mais remonter pour quoi ? Là-haut, c'est bien pire. On m'attend. Et ce qu'on attend de moi, je ne peux pas le donner.

Finalement, je resterai bien ici. En apnée. Entre deux eaux, entre deux mondes. Je ne sais pas nager dans les profondeurs mais je ne sais pas non plus marcher sur le fil d'une vie que j'ai du mal à accepter. Je suis entre rêve et réalité, je suis la créature de l'entre deux. Le monstre marin fascinant que l'on ne peut ni définir ni comprendre. Je suis à la marge et pour toujours.

Dans ma main, mon stylo est pesant et je m'y cramponne. Pourquoi avais-je un stylo ? Ah oui... le devoir... le devoir de bien faire. Le devoir de réussite scolaire. Le devoir de maths, je crois. Ou celui de chimie ? Je fixe mon stylo-plume faire une tache d'encre bleue sur le blanc de ma feuille. Je cligne des yeux. Des remous se font autour de moi, on s'agite. Je lève les yeux de ma feuille.

« Fin de l'examen, posez vos crayons, je ramasse », ordonne le professeur.

Je n'ai rien écrit. Rien.

Devant ma copie vide, la prof soupire puis hausse les épaules. Je sens son mépris courroucé. Oui, je sais : pour vous je suis stupide.

***

Quand ma conscience reprend enfin le dessus, je suis allongée dans le gymnase en travaux. Comment ai-je dérivé jusqu'ici ?

Aucune idée.

Ma respiration est hiératique, j'ai si chaud que je suis en nage. Que vais-je dire à M. Duval ? Que me veut mon père ? Me faire des reproches, encore ?

Je me couvre le visage d'un bras et pleure doucement, sans bruit. Je vous en supplie. Si quelqu'un a pitié, quelque part dans cet univers, dites-lui de me parler. Je n'en peux plus de me sentir si mal. Seule, je n'y arriverai pas... S'il vous plaît... S'il vous plaît... si la magie existe et si les vœux se réalisent, j'ai besoin d'aide.

« Qu'est-ce que tu fiches encore ici, toi ? Tu sèches ?"

Je soulève mon bras. Deux yeux verts brillent au-dessus des miens.

Le noyé-sauvé s'assied sur les gradins à proximité de moi, je me redresse dans la poussière. Pas question de rester couchée quand il me dévisage ainsi.

« Je t'ai manqué et tu me cherchais ? Personne ne résiste à mon charme, j'en conviens, plaisante-t-il.

Il fouille dans la poche de son cuir et en sort un paquet de mouchoirs en papier qu'il me jette. Je l'attrape au vol.

— Comme je te l'ai expliqué la dernière fois, jeune fille, ceci est mon domaine. J'apprécierai que tu respectes mon intimité.

Je le regarde de biais. Si c'est lui que le destin m'envoie, je ne suis pas sûre d'apprécier.

— Et bien sûr, quand je parle d'"intimité", continue-t-il, je parle de ma sieste.

Je soupire et m'apprête à quitter les lieux.

— Attends, gamine ! Avant de partir, j'ai un truc à te donner, il fouille sa poche.

— Je n'en veux pas, garde ton truc pour celles à qui ton soi-disant charme fait de l'effet. » je lui relance son paquet de mouchoirs, je ne veux rien lui devoir.

Et je pars, le laissant en plan dans son antre. Les requins, très peu pour moi. Je dois trouver un moyen de m'en sortir par moi-même. Où vais-je trouver le courage d'affronter ma peine ?

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Ce n'est pas aujourd'hui que Jay va réussir à lui rendre son carnet 🤣

La suite est postée ! Bonne lecture ❤️

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