7. J'ai entendu ta voix (Stella)

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Décidemment, M. Duval est intransigeant avec les horaires et veille à ce que je me lève à temps pour ne pas sécher les cours.
Non seulement, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, rapport avec ma baignade de minuit pour sauver le voisin, mais en plus, j'ai une de ces crèves !

— Suis-je obligée d'aller au lycée ? je demande d'une voix tellement rauque qu'on dirait celle d'une femme des cavernes qui grogne pour obtenir son morceau de mammouth.

— C'est la condition si tu veux rester ici, c'est ce que j'ai promis à tes parents.

M. Duval nettoie ses lunettes avec un petit chiffon, sans ses énormes montures noires il a l'air jeune. A y regarder de plus près, il vraiment beau. Non, je déraille complètement : il 'agit de M. Duval quand même !

Une quinte de toux me secoue, cela me remet rapidement les idées en place.

— As-tu attrapé froid, Stella ?

— Non, ça va. J'ai...

Je m'interromps, je n'ai pas trop envie de lui raconter mon incursion à la limite de l'effraction chez ses voisins. J'ai eu un mal de chien à faire sécher mes vêtements... quelle idée de se baigner toute habillée. Oui, bon, devant l'urgence je n'allais pas non plus enfiler des talons et refaire mon maquillage (de toute façon je n'ai pas de maquillage ici et il aurait coulé après mon plongeon de déesse - c'est à dire ma tentative désespérée de repêcher un corps inerte d'au moins un mètre quatre-vingts dans une eau glaciale. La prochaine fois que je joue les maîtresses nageuses ce sera aux Bermudes ! Eau chaude assurée.)

— Je vais être en retard ! M. Duval, j'y vais ! Bisous Théo !

Le petit garçon ne répond pas, il est encore allongé sur le canapé avec son doudou dans les bras à regarder son dessin animé du matin. On est samedi, il profite déjà de son week-end.

Sans laisser le temps à mon hôte de répliquer, je me retrouve dans la rue.

L'allée privée est bordée de maisons cossues et descend vers une des grandes artères parisiennes. Je me demande comment un simple professeur particulier et père célibataire peut vivre ici ? On dirait une rue pour milliardaire. Quand j'ai posé la question, M. Duval a haussé les épaules en disant que les locaux appartenaient à l'entreprise pour laquelle il travaillait maintenant : la GoldMine. Depuis un an, il n'est plus professeur dans le lycée privé voisin, au lieu de quoi il jongle avec tout un tas de projets depuis la petite pièce qui lui sert de bureau. Je ne sais pas trop ce qu'il mijote, la porte est toujours fermée et je ne suis pas indiscrète au point d'aller explorer son intimité. Il m'héberge, c'est déjà beaucoup.

Cela me fait penser à ma conversion avec "Madame la Sorcière", elle a raison : je ne peux pas vivre ici gratuitement. Et si je me proposais comme baby-sitter pour Théo plusieurs soirs par semaine?

Tiens d'ailleurs, est-ce que mon podcast a du succès ? Je dégaine mon téléphone en descendant l'allée, l'œil sur l'écran que je déverrouille du pouce. Un klaxon me perce soudain les tympans : une moto manque de me renverser, je saute brusquement sur le côté. Le motard ne prend pas la peine de se retourner. Chauffard ! j'aimerais lui hurler, mais ma gorge pique trop, je passe une main sur mon cou sans calmer la douleur. La matinée s'annonce longue. En plus, j'ai maths les deux premières heures : l'horreur !

Mon appli clignote, j'ai une notification sur le réseau de la sorcière.

Quelqu'un a laissé un message privé. Une pub sûrement, je l'ouvre sans trop y croire.

Chère petite Sirène,

J'ai vu ton message dériver sur les flots d'internet.

Peut-être pourrions-nous joindre nos deux solitudes.

Peut-être pourrions-nous nous écouter l'un l'autre ?

signé : Un pirate naufragé

Je contemple ce drôle de message. Bizarrement, j'angoisse.

Bien sûr, j'ai demandé à être écoutée et je devrais me réjouir que mon vœu soit exaucé, cependant nous sommes sur internet. Il n'y a pas que de gentils petits poissons inoffensifs dans l'océan. Si ça se trouve, ce pirate est un pervers qui traque les filles, il est peut-être même fiché à la police des mœurs et moi je suis sa future proie.

Je ne répondrai pas au message.

Mon téléphone indique sept heures quarante-cinq, il me reste quinze minutes pour atteindre le lycée ! Il est temps d'utiliser mes jambes, toute sirène du net que je suis !

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