51. Nos secrets (Stella)

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Je cours comme je peux, mais je suis si fatiguée et bouleversée que je me suis fait rattrapée par Théo qui s'est jeté sur ma jambe et s'y est enroulé comme un serpent, en mode surexcité :

"Stella-tu-viens-depêche-toi-c'est-urgent-on-va-manger-des-glaces-et-faut-faire-vite-sinon-apres-c'est-le-dîner-donc-ce-sera-trop-tard-Blanche-elle-a-dit.

— Ah... dis-je, sonnée. Si Blanche l'a dit.

— Oui, elle a dit et Blanche elle ment jamais !

Il me tire la main façon locomotive et je le suis, complètement perdue et paniquée.

— Je vous invite ! se réjouit Rob. Il y a un glacier près de...

— Non, je paierai ma glace et celle de Théo et Stella, insiste Blanche.

Blanche n'est pas du genre à accepter les cadeaux, elle est super fière mine de rien. Pourtant, je sais qu'elle galère un peu côté argent, c'est pour ça qu'elle bosse pour Matthias.

— Vous avez qu'à payer une chacun, propose Théo. Comme ça, moi j'en mange deux. DEUX, c'est bien ! Ou quatre, quatre c'est comme mon âge. C'est bien aussi quatre, il montre ses doigts pour prouver qu'il peut compter. Mais et-demi aussi c'est bien. Parce que je suis un grand.

Théo lève un cinquième doigt mais il ne sait pas comment mettre le "demi", il est bien embêté. On part en fou rire et ça me fait du bien. L'espace d'un bref instant, je panique moins.

— Je paye ma glace et celle de Stella, j'ai perdu un pari dernièrement, intervient Jay.

Je me fige. Gouttes de sueur froide dans le dos. Le pari : souvenir de notre course vers le lycée, transformée en discussion à bâton rompu.

— Il me semble que tu as perdu aussi un deuxième pari lié à un certain slam, s'amuse Blanche. Tu lui dois aussi deux minutes.

Cauchemar ! Je m'en serai bien passé de ces deux minutes avec lui.

— Si Stella veut pas sa glace, elle peut me la donner,

— C'est quoi ce gamin : un ventre sur pattes ? râle Jay.

— Toi, t'es un méchant !

— Bah, alors pas de glace !

— T'es trop méchaaaaaaant, de grosses larmes se forment au coin des yeux de Théo.

— Mais je n'ai rien dit !

Blanche s'interpose et fait un geste du menton à Jay pour lui dire de se tenir à l'écart. Il recule, comme s'il était puni.

Rob lui donne un coup de coude dans le bras et Jay se ferme comme une huître. Nous partons vers les quais de Seine. Un camion de glace noir est garé à proximité.
Nous faisons la queue tandis que Blanche essaie d'expliquer à Théo que deux boules ça suffit parce que cinq sur un cornet, ça va tomber et puis c'est trop. Rob lui sourit patiemment et moi j'essaie de disparaître de la vue de Jay... comment faire ? Je repère les lieux, si je prenais une artère passante, je pourrais disparaître dans la foule ou bien...

— T'en penses quoi ? dit Jay.
— Quoi ?
— Comme parfum ?

Jay me parle mais pour le moment aucun de nous ne regarde l'autre. C'est trop tôt.

— Je ne sais pas trop... je réponds.

Et je ne sais ni ce que je dois dire ni si je parle bien de glace.
Nous avançons en silence vers le camion, je fixe le bout de mes chaussures. Gêne absolue.

— Cornet simple ou double ? il insiste.
— Je ne sais pas...
— Mais enfin, tu veux une glace ou pas ?
— Fais pas comme si la situation était normale, Jay ! C'est compliqué.
— Vanille ou fraise ? Chocolat ou...
— Je n'en sais rien ! je m'énerve.

— Vous consommez ou pas ? demande la femme dans le camion. Moi, j'ai d'autres choses à faire après. Je ne peux pas rester ici indéfiniment. J'ai encore des haricots à filer à Jack pour sa vache et des citrouilles à faire pousser pour le bal d'automne, sans compter que si vous m'énerver, je vous balance mes noisettes, d'ailleurs où sont mes dernières noisettes ?

— La sorcière ! je mexclame.

Madame La Sorcière ! elle me corrige. Un peu de respect.

— La vieille... murmure Jay. Bon sang, mais... mais... que faites-vous ici ?

— Oui, alors côté respect avec toi, Grincheux, on n'ira pas loin.

— Grincheux ? Jay s'étouffe presque. Vous vous êtes donné le mot ou bien ?

Il se tourne vers Blanche, mais elle est en pleine discussion avec Rob tandis que Théo dévore sa glace trois boules (il a bien négocié).

— Pas de respect : pas de glace ! Salut !
Et aussitôt, elle pose sur le comptoir un panneau : stock épuisé. Bonne soirée !

— C'est quoi cette attitude, vous êtes mauvaise commerçante, réplique Jay.

— Mes glaces se méritent, Ciao !

— On peut négocier ? je tente pour calmer le jeu.

— Ah, tiens... maintenant tu veux bien parler ? la sorcière croise ses bras sur sa poitrine. Moi j'attends encore tes chansons sur mon site, t'en es où ?

— Quel site ? s'étonne Jay. Ne me dites-pas que vous l'avez aussi embrigadée sur pomme-d'amour.com ?

— On peut en reparler plus tard ? je supplie.

— Ah... il ne sait pas... Madame La Sorcière se gratte le menton.

— Savoir quoi ? Jay se tourne vers moi et pour la première fois depuis le parc, nos yeux se rencontrent.

Je l'attrape par le bras et le tire loin du camion à glace.

Il va falloir qu'on parle.
Jay me suis sans faire d'histoire et je prends mon courage à deux mains.

— Jay, il faut que je te dise certaines choses. C'est pas facile et je ne sais pas par où commencer. En plus, j'ai plein de questions et...

— Ok ! il croise les bras. Pose tes questions et je pose les miennes. On va bien finir par y arriver.

— Je ne sais pas par où commencer...

— On pourrait commencer par des choses faciles, suggère-t-il. Moi aussi, je panique un peu, là.

— Ok, je hoche la tête. Une question facile, d'accord... Alors je commence....

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