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30. Chacun son combat (Stella)

Blanche est partie chercher Théo à l'école. Je soupire en montant vers ma chambre au deuxième étage. Je pense à mon échec au contrôle de maths et au message de mon père. Je n'ai même pas osé en parler à M. Duval... Après tout le mal qu'il s'est donné pour m'aider, j'ai l'impression de trahir tous ses efforts. Comment vais-je rattraper la situation ?

Je suis l'échec personnifié. Je rêve de quitter la classe d'élite du lycée et son programme renforcé en sciences. Je n'ambitionne pas de devenir médecin comme mon père, ni chercheur en astronomie comme Cam qui avait une passion pour le ciel et les étoiles, je voudrais juste trouver ma place. Je ne sais pas quoi faire de ma vie et pourtant j'ai bientôt dix-sept ans. C'est compliqué de se projeter et d'imaginer quel métier faire. Si je ferme les yeux, je rêve de pouvoir rencontrer plein de personnalités extraordinaires, voyager et apprendre des langues du monde entier. Mais ça ne fait pas de moi une personne avec une vocation, ou des rêves professionnels. Si on me demandait comment je me vois dans cinq ans, je ne saurai que hausser les épaules : je ne sais même pas quoi faire de moi aujourd'hui, alors dans cinq ans franchement...

Devenir adulte, c'est vraiment compliqué.

Je ne vais quand même pas me cacher chez Matthias toute ma vie. Il va falloir que j'affronte mes peurs et les démons de mon passé. Mon téléphone vibre, je le sors de ma poche et retiens mon souffle, c'est encore un texto de mon père :

« Passe au moins prendre des affaires de rechange. Aujourd'hui. »

Avec lui, c'est toujours pareil, il faut obéir sans rechigner. La pression qu'il nous met est énorme. Enfin, la pression qu'il « me » met, devrais-je dire, car Cam a réussi à s'échapper. Je pince l'arrête de mon nez : je ne veux pas penser à Cam maintenant.

« Alors, que vas-tu faire ? »

Une main sur la rampe de l'escalier, je lève la tête vers la voix qui a interrompu mes pensées. L'espace d'un instant, à cause de sa silhouette à contre-jour, j'ai l'impression d'apercevoir une forme noire à plusieurs bras. Je cligne des yeux. La sorcière ?

— Je vous demande pardon ? dis-je.

— Que vas-tu faire pour améliorer ta situation ?

Je regarde autour de moi, il n'y a que nous deux. Ai-je énoncé mes pensées à voix haute ? Est-ce qu'elle parle de quelque chose d'autre ?

— Le vœu que tu as fait sur mon site, comment ça se passe ?

— Le vœu ?

— Au moins, tu as récupéré ta voix : c'est bien, ça ! Ma tisane a fonctionné. Tu vas pouvoir agir et poster tes chansons.

— Comment savez-vous...

Elle descend les escaliers et s'arrête, juste une marche au-dessus de moi. Ses yeux noirs rencontrent les miens.

— As-tu trouvé quelqu'un pour t'écouter ?

— Oui, je hoche la tête, effectivement j'ai un abonné à mon compte.

— Un prince ? sourit la sorcière.

— Non, je secoue mon visage de droite à gauche, plutôt un pirate.

Elle se redresse et croise les bras sur sa poitrine en claquant sa langue contre son palais :

— Je n'aime pas trop les pirates, mais c'est ton choix.

— Il est très bien, je le défends. Cela me convient parfaitement.

Elle se redresse en réfléchissant :

— Je ne juge pas, chacun de nous mène son propre combat pour avancer. J'imagine que ce pirate aussi.

Elle a raison, chacun de nous se bat à son rythme pour mener sa propre vie.

— Même Jay, souffle-t-elle.

— Jay ? je m'étonne.

— Oui, un mètre quatre-vingts et quelques, brun, les yeux verts, une capacité à râler hors du commun, il va dans ton lycée. Tu vois de qui je parle ?

J'approuve d'un mouvement de tête. Pourquoi me parle-t-elle de lui ?

— Qu'est-ce que tu en penses ?

— Je pense que je ne le connais pas tant que ça, je tique, mais qu'il mène certainement aussi son propre combat.

— Parfait ! Si tu en as conscience, essaie donc de prendre cela en compte quand tu le croiseras. Il n'est pas méchant au fond, juste en lutte lui aussi. »

Elle continue son chemin et je m'efface pour la laisser passer.

Oui, nous sommes tous ainsi : à nous battre pour trouver notre place. Et moi, quand vais-je partir en quête de ma propre voie ? Mes doigts agrippent mon téléphone. Peut-être que le combat commence avec ce texto de mon père. Je vais rentrer et l'affronter dès ce soir. Mais avant, je dois retourner au lycée.

Une fois dans ma chambre, je note quelques idées dans un nouveau cahier, puis je vérifie le contenu de mon sac pour l'après-midi en prenant bien garde à avoir tous mes manuels cette fois. Cette pause m'a fait du bien. De toute façon, dès que je suis loin du lycée, je vais mieux.

Enfin remontée à bloc, je sors de la maison pour aller au lycée. Devant moi, un garçon marche en regardant le ciel. Mince... c'est Jay.

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