71. Rendez-vous

3.9K 594 30
                                    

De retour à Paris, la première chose que j'ai réalisée est qu'il fallait que j'aie une vraie discussion avec mes parents. Bien sûr, nous étions une famille recomposée et un de ses membres avait disparu, néanmoins nous étions toujours une famille et c'est quelque chose que je ne pouvais plus ignorer.

Lorsque mon père et ma belle-mère ont compris que j'étais au courant de tout, ils ont été soulagés. Pour eux, porter ces secrets sur l'état de leur fils était aussi douloureux que de me voir sombrer dans ce deuil interminable. Ils croyaient me protéger, ils faisaient ce qu'ils pensaient être juste et cela commençait par ne pas abîmer l'image de mon grand-frère, puis me pousser à m'investir dans mon avenir quitte à ma faire intégrer une classe qui ne me convenait pas dans le but que je me concentre sur autre chose que le passé.

Seulement, moi je ne suis pas Cam : je ne veux pas passer mon temps à étudier des matières qui ne me rendent pas heureuse. Pour la première fois, j'ai tenu têtes à mes parents : je veux choisir ma propre voie, sans suivre le courant qu'on m'impose.

« Que feras-tu de ta vie ? m'a demandé mon père.

— Comment vois-tu ton avenir professionnel ? s'est inquiété ma mère.

Je me suis rendu compte que je n'avais pas encore les réponses à ces questions. Gérer ma vie au jour le jour était déjà compliqué avant, maintenant j'essaie juste de me projeter sans avoir peur de vivre sans mon frère. Le lycée propose à certains élèves des échanges avec des lycée étrangers, peut-être que c'est une option. J'ai besoin de me reconstruire, de ne pas dépendre d'autrui et de savoir quel genre de personne je suis. Je veux tester cette nouvelle liberté et l'océan de possibilité que m'offre la vie.

Mes parents sont d'accords, si je leur présente un vrai projet. J'ai peur et en même temps, je suis très enthousiasmée par l'idée d'apprendre par moi-même quelque chose de nouveau. Je pense qu'aucun rêve n'est irréalisable, après tout j'ai bien fait des vœux impossibles sur le site d'une étrange sorcière...

A propos de pomme-d'amour.com, j'ai fait un rapport à sa créatrice sur le sujet du podcast, j'ai mentionné tout ce qui m'avait manqué, histoire qu'elle développe un peu plus les fonctionnalités. J'ai ajouté des liens vers des filtres vocaux gratuits pour camoufler son identité par respect pour l'anonymat des utilsateurs, puis j'ai proposé des sites de musiques libres de droits pour agrémenter les fonds sonores, enfin j'ai ajouté des mélodies de ma compositions pour servir de plages musicales. J'étais assez fière de ces idées au moment où j'ai appuyé sur le bouton « envoyer » de mon email.

La réponse de la sorcière n'a pas tardé... Et elle dépassait toutes mes prévisions. Je me demande si je dois accepter sa proposition. Je me pose la question en rangeant ma guitare dans son étui. Depuis quelques jours, je suis assez inspirée et je chante beaucoup. Peut-être aussi parce que Jay me demande souvent de mes nouvelles depuis mon départ de chez Matthias et que j'aime lui envoyer des chansons par le biais du site par le biais duquel nous sommes devenus amis. J'en profite aussi pour envoyer des berceuses à Théo qui me manque beaucoup.

Ce soir, j'ai rendez-vous sur les quais de Seine avec toute la bande. Il est temps que je file.

🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️

En longeant les quais, je lève les yeux et j'aperçois Blanche parler avec Rob sur le pont juste au-dessus, tandis que je fais de grands signes à Théo. Le clapotis de la Seine accompagne nos retrouvailles, lorsqu'il me saute dans les bras. Je le fais tourner et nous rions jusqu'à en perdre l'équilibre. Roxanne et Matthias discutent un peu plus loin, la sorcière est avec eux.
Elle me fait un léger signe de tête pour me signifier qu'elle attend encore ma réponse à sa proposition.

« Tu en as mis du temps, la rouquine ! J'ai cru que tu ne viendrais plus. »

Une main fourrage mes cheveux sur le haut de mon crâne.

« Jay, tu vas me faire des nœuds ! Je t'ai déjà dit que les cheveux bouclés c'est difficile à coiffer !

J'esquive en feintant sur le côté, je fais la moue et il rit.

Le rire de Jay est une des choses les plus incroyables que je connaisse. C'est un rire franc et chaleureux qui s'installe en moi comme rayon de soleil et qui y reste longtemps pour me réchauffer lorsque j'y pense.

— Tu me chantes une nouvelle chanson ?

— Nan ! je boude avant de partir en courant pour me cacher derrière Roxanne.

Théo nous aperçoit et nous suit en essayant d'attraper Jay. Je le rassure :

— Jay et moi sommes amis, dis-je.

Théo défie Jay d'un regard :

— T'es sûre ? Papa dit que les amis de mes amis sont ses amis, alors lui, il pointe du doigt Jay, c'est aussi mon copain ?

— Si tu veux, je confirme.

Jay croise les bras et bombe le torse, Théo ne se démonte pas :

— Si t'es mon copain, tu me prêtes ton scooter ? Faut prêter ses jouets, c'est Blanche qui l'a dit !

— Ce n'est pas une mini-moto, Jay se pince l'arête du nez, c'est une...

— ...Vespa ! je crie avec Théo à l'unisson et nous partons en fou rire.

Le petit garçon me tire par la manche et je m'agenouille :

— Mais oublie pas, me murmure Théo à l'oreille, moi aussi je suis ton copain et pour toujours, puis il tire la langue à Jay et part en courant vers son père. Papa, je peux faire un tour en Vespa ?

— J'ai la nette impression de m'être fait arnaquer, ronchonne Jay.

— A peine, je rigole.

— Et toi ? Où dois-je t'emmener pour te faire plaisir ?

Je réfléchis en regardant la lune juste au-dessus de nous.

— A la mer, je propose. Allons voir la mer, ou peut-être une île pour faire nos adieux à une sirène et un pirate, afin de regagner ensuite la terre ferme et y construire notre avenir.

Il approuve d'un mouvement de tête et se place à mes côtés, nos mains se frôlent.

Jay a prévu de faire médecine après son baccalauréat. Il veut aider d'autres jeunes comme Cam et soigner les gens. Moi, je ne sais pas encore. Mon avenir n'est pas encore défini et cela le rend aussi incertain qu'excitant. C'est un océan de possibilités à découvrir.

« Est-ce que tu pourrais m'y emmener dans une année ? je demande.

— Pourquoi pas cet été ?

— Je vais partir Jay.

Nos mains serrées l'une dans l'autre sont chaudes et ce contact me maquera mais c'est ma première décision et j'y tiens.

— La sorcière me propose de faire un stage pour elle cet été. C'est à New York, j'ajoute.

— New York, cet été ? répète-t-il, abasourdi.

— Et j'y resterai pour l'année scolaire, jusqu'à l'obtention de mon bac. Jusqu'ici j'ai été une ombre dans ma propre vie, et j'ai été très seule. Maintenant j'ai des amis et je m'en réjouis, mais je veux savoir ce que je peux faire en étant indépendante et en choisissant mes études. Cela n'est peut-être pas facile à saisir mais je passe d'une solitude subie à un besoin de m'assumer pleinement.

— Une année, c'est si long... soupire-t-il. Je ne suis pas sûr de tenir aussi longtemps... sans toi, complète-t-il tout bas.

— Jay donnons-nous rendez-vous à la mer, dans un an. Nous serons plus forts et plus adultes, j'en suis sûre. Nos sentiments actuels sont encore teintés de ceux que nous avons pour Cam, je ne veux pas qu'on reste ensemble juste pour se soutenir comme deux oisillons effrayés de sortir de leur nid, je veux qu'on s'épanouisse en ayant appris à voler au grand large.

Alors Jay se tourne vers moi et me tend la main comme pour sceller un pacte :

— On se retrouvera dans un an, la rouquine !

— Dans un an ! 

🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️🧜‍♀️
Prochain et dernier chapitre déjà posté !

Mermaid OnlineWhere stories live. Discover now