L'odyssée des Esprits

Chapitre 39 : Le bras droit qui poignarda de sa main gauche

La pièce était silencieuse et la tension palpable. Le roi faisait face aux deux individus, dont une jeune intruse, et tentait de donner un minimum de sens à la situation. Il renouvela son interrogatoire en quête de réponses :

— Que se passe-t-il ici ? Doeron ? Que veut dire ceci ?

Personne ne réagit à l'appel du roi et tous restèrent figés, n'osant faire le moindre mouvement.

— Doeron ! rappela le roi, peux-tu enfin m'expliquer ?

Kevin se souvint alors qu'il se présentait sous la forme du seigneur Doeron et tenta une réponse dans le but de sauver les meubles :

— Mon roi, j'ai entendu des bruits au sein de votre appartement et avec l'aide de Shau ... De cette jeune personne, nous avons tenté d'en trouver l'origine.

Il releva son regard vers le roi et poursuivit d'une voix basse :

— Dans le but d'assurer votre protection bien sûr.

Shauna regarda successivement tour à tour le roi puis son bras droit, ne comprenant pas du tout ce qu'il se passait. Pourquoi Doeron prenait-il sa défense ? Pourquoi allait-il jusqu'à mentir à son roi ? Elle fit taire cet amas de questions et décida d'entrer dans son jeu voyant là une sortie de secours.

— Euh oui Monseigneur ! Euh non ! Votre majesté ! Quelque chose est rentrée par votre balcon. Ne connaissant pas ses intentions, nous avons voulu agir sans prévenir et risquer d'inquiéter le château ! Tout est sous contrôle à présent, comme vous pouvez le voir. Nous gérons parfaitement la situation et vous pouvez retournez vous couchez sans vous faire de bile. On gère !

Si Kevin n'avait pas actuellement les mains en train de retenir l'étagère, il se serait tapé le front de dépit à l'entente des paroles de sa camarade, qui visiblement ne savait toujours pas comment s'adresser à un monarque.

Shauna se tourna alors vers lui et l'aida à soulever cette bibliothèque qu'elle avait, l'instant d'avant, renversée sur lui. Pendant qu'il relevait l'étagère à l'aide de sa camarade, Kevin chuchota hors des oreilles du roi :

— Qu'est-ce que tu fous-là ?

Shauna sursauta presque quand elle entendit ces mots. Évidemment, bien qu'elle ignore pourquoi il l'avait défendu, il allait lui aussi vouloir des explications. Elle ne pensait cependant pas qu'il les demanderait de cette manière.

Elle lui répondit alors aussi à voix basse.

— Je suis ici car je ... m'inquiétais pour le roi. Nous avons vu une personne entrer dans cette pièce par le balcon, alors je l'ai suivi, croyant que c'était un probable danger.

Kevin fit un geste pour faire taire Shauna et se retourna vers le roi.

— Monseigneur, tout est sous contrôle ! Si je puis me permettre, j'aimerais profiter de cette accalmie pour m'entretenir avec vous de sujets de la plus haute importance concernant la gestion de la cité.

Le souverain regarda ce qu'il pensait être son ministre puis se détendit pour finalement lui présenter un sourire.

— Bien entendu. Allons dans mon bureau.

Il regarda Shauna d'un ton l'invitant à s'éclipser afin de permettre à son conseiller de lui donner les informations confidentielles attendues.

La jeune apprentie ne savait que faire. Elle ne comprenait aucunement pourquoi le bras droit du roi l'avait ainsi protégé, alors que c'était lui-même qui avait formellement interdit à ses camarades d'armes et à elle de chercher à voir le roi. De plus, elle était entrée ici par effraction, et elle savait bien que son excuse d'agresseur était complètement ridicule. N'ayant guère le choix, face à la demande du monarque, et aucune idée pour rester, Shauna dépassa les deux nobles afin de se diriger vers la sortie.

Tandis qu'elle réfléchissait à un moyen d'écouter la conversation, elle entendit soudain le ministre tousser fortement. Elle se retourna alors vers lui, inquiète de cette soudaine et curieuse quinte de toux grasse.

— Vous allez bien ? s'inquiéta aussi le roi en voyant son conseiller se tenir la gorge comme s'il s'étouffait.

Kevin ne parvenait absolument pas à répondre. D'un coup, il avait senti un terrible mal de crâne ainsi qu'une sensation d'étouffement. Il finit par comprendre que c'était la potion qui ne faisait plus son effet. Le jeune homme chercha alors à prendre ses jambes à son coup pour disparaître de la vue du souverain avant qu'il reprenne son apparence initiale. Malheureusement, n'arrivant plus à respirer, il tomba au sol. Tous ses membres se tendirent pendant quelques instants, puis toute douleur disparue. Kevin regarda alors ses mains et remarqua qu'il avait de nouveau la peau lisse. Il comprit qu'il avait retrouvé son apparence et son amie fut là pour le confirmer.

— Kevin ? s'écria alors l'orpheline plus que surprise.

— Mais qu'est-ce que ... ? Qui êtes-vous ? Gard ... !

— Non, votre majesté !

Kevin s'était rapidement relevé et avait interrompu le roi.

— N'ayez crainte ! On doit à tout prix vous parler d'une chose urgente ! Cela concerne votre traité ! Laissez-nous vous expliquer !

Le roi ne prit pas garde aux paroles des jeunes gens et tenta de se diriger vers la porte de son appartement. Il fut cependant stoppé par Kevin qui posa sa main sur le mur, barrant de par son bras le chemin qui séparait le roi de la porte de ses appartements.

— Écartez-vous, Kevin Galaad insinua froidement le monarque. Votre père devrait avoir honte de voir son fils commettre de tels actes.

— Votre majesté, nous devons vraiment vous parler.

— En vous introduisant dans mes appartements ? Alors que je suis alité ?

Kevin, le cœur battant, savait qu'à présent, il ne pouvait que forcer le roi à l'écouter. Au point où il en était, plus aucun retour en arrière n'était à présent possible. Il tenta ainsi d'aborder directement le sujet principal, celui qui les avait amenait dans cette galère.

— C'est concernant le traité, annonça Kevin.

— Quel traité ? s'impatienta le roi. Vos paroles non aucun sens !

— Le traité acceptant votre mise sous tutelle par le Conseil ! haussa soudainement le ton le jeune homme.

Le souverain s'immobilisa à l'entente du nom de l'organisation.

— Le Conseil ? Mais de quel traité parlez-vous ?

Kevin et Shauna se regardèrent silencieusement, comprenant que la mission dans laquelle ils s'étaient lancés se révélait en réalité bien plus complexe que prévue.

Le jeune homme leva ses deux mains en évidence et s'adressa d'un ton se voulant le plus calme possible au roi :

— Nous sommes deux paladins.

— Vous venez de l'Académie ? l'interrompit le roi d'un ton interrogateur.

— Exactement, nous sommes ici à la demande d'Aldane dans le cadre de la régulation d'un traité accordant au Conseil la tutelle de votre cité.

Comprenant finalement ce que tentait vainement d'annoncer Kevin depuis maintenant plusieurs minutes, le roi regarda à côté de lui, vit un fauteuil et décida de s'y asseoir se prenant le visage avec ses mains. Il semblait totalement désemparé vis-à-vis de l'annonce des deux paladins alors qu'il était censé en être l'instigateur.

Kevin et Shauna échangèrent un nouveau regard, tentant de comprendre comment le souverain d'Aldane lui-même ne pouvait pas être au courant d'un accord aussi important pour son pays.

— Qui ?

La voix du roi s'éleva faiblement, mais suffisamment pour interrompre les deux jeunes gens qui durent rapporter leur attention sur le monarque qui à présent les regardait, un air de dépit habillant ses yeux fatigué entourés de lourds cernes.

Kevin comprenant le sens de la question répondit rapidement au monarque.

— C'est Doeron, votre ministre qui nous a accueillis.

— Ancien ministre. Si seulement j'avais eu connaissance d'une telle décision ... d'une telle erreur.

— Alors, vous n'étiez pas au courant, lui demanda finalement Kevin, après avoir longuement hésité, à satisfaire sa curiosité.

— J'avais dit, il y a des mois déjà à Doeron que j'étais formellement opposé à rejoindre le Conseil, répondit le monarque.

Shauna s'approcha brusquement de quelques pas et, ne tenant plus, demanda au roi :

— Comment ça vous n'en saviez rien ? Vous êtes le roi, non ? Ce n'est pas vous qui gérez votre cité et tout le bazar politique ?

Le souverain porta un regard interrogateur vers la jeune fille.

— Rappelez-moi, vous êtes Paladin vous aussi ?

— Vous ne répondez pas à ma question, répliqua Shauna souhaitant esquiver l'interrogation qui lui était à présent décernée.

Heureusement pour elle, le Roi ne sembla pas se soucier de son identité plus longtemps et reporta son attention sur sa propre situation cherchant la réponse la plus adéquate.

Interprétant cela comme une autorisation, la jeune fille qui n'était pas accoutumée aux règles de courtoisie et de la manière de se comporter envers un roi, s'assit sur le fauteuil juste en face de lui sans même demander de permission. Elle regarda le monarque dans les yeux et prit une posture laissant deviner qu'elle attendait une réponse.

— Depuis des mois, je suis atteint d'une maladie incurable qui m'oblige à rester dans mes appartements pour des raisons de potentielle contagion du reste de mon peuple, dit lentement le roi.

Il se stoppa dans son explication, prit d'une soudaine quinte de toux.

— J'ai donc confié la direction de la cité à Doeron en qui j'ai toute ma confiance ou plutôt en qui j'avais toute confiance.

— Mais alors, ce type vous a trompé ! le coupa alors Shauna. Vous devez à tout prix parler avec ceux de la Résistance et leur expliquer que vous avez dupé !

— La résistance ?

Le roi s'immobilisa quelques instants puis prit une mine attristé.

— Durant les dernières semaines qui ont suivis, des personnes ont tenté d'entrer par effraction ici et Doeron m'a assuré qu'il s'agissait d'attaque du Conseil du fait de notre refus. Ce devait finalement être le contraire. C'était des personnes, des membres de mon peuple qui se sont sentis trahis.

— Il faut que vous vous leviez ! Il faut tout de suite aller leur parler !

— Bon sang Shauna ! l'interpella alors son jeune ami blond. On ne donne pas des ordres à un roi !

— Roi ou pas, il faut qu'il se bouge les fesses, car c'est la guerre civile dans sa cité !

— Et on ne parle pas avec un langage de poissonnier quand on s'adresse à un noble !

— Pourtant tu as l'habitude que je te parle comme si tu étais un cabillaud !

— Qu ... quoi ?! C'est quoi un cabillaud ?

— Un cabillaud ! Une morue si tu préfères !

— Ah oui ? Comme toi ?

— Jeunes gens, ça suffit !

Le roi venait de stopper la dispute des adolescents d'une voix forte, qui se révéla être bien plus efficace que celle de Maître Garth.

— Ce que vous dites est plus que difficile à croire, mais pourtant ... Pourtant, cela coïncide avec pas mal de choses, dont le renvoi soudain de certains de mes capitaines qui étaient pourtant de fidèles soldats. De plus, Kevin Galaad, votre père, est un homme honnête et juste, je doute que son fils soit un menteur doublé d'un conspirateur.

— Qu'allez-vous donc faire ? lui demanda alors Kevin, qui ne semblait visiblement pas très à l'aise que le monarque lui parle de son père.

— Je vais faire comme le dit votre sœur d'arme.

Le roi se leva du fauteuil comme pour accompagner ses paroles.

— Conduisez-moi là où se trouve cette fameuse Résistance. Il faut que je parle à mon peuple.

— Je doute que cela soit une bonne idée, votre majesté. Dans votre état, je pense que cela n'est même pas possible.

Les deux jeunes gens ainsi que le roi se tournèrent vers la voix accompagnant une personne qui venait d'entrer dans la pièce. Tous furent surpris en découvrant qu'il ne s'agissait de personne d'autre que le ministre Doeron lui-même, leur jetant un regard plein de haine.