Chapitre 26 : Une brebis parmi les loups

Start from the beginning
                                    

Parcourant la salle, la nouvelle venue essayait tant bien que mal d'ignorer les multiples regards posés sur elle. Son objectif principal était d'éviter celui de Maître Garth. Si leur regard se croisait, elle savait très bien qu'elle ne pourrait pas s'empêcher de créer un nouveau scandale.

Ne faisant guère attention aux chuchotements, elle se dirigea, suivit par Lyze, vers Kevin en grande discussion avec Isaak près du buffet. Ce dernier regarda Shauna, un éclat d'amusement dans son regard et finit par annoncer :

— C'est ce qu'on appelle faire des miracles ! Quand Kevin m'a dit que Lyze te transformait en une personne présentable, je ne l'ai pas cru !

Shauna jeta un œil agacé sur son camarade toujours vêtu de son uniforme de cérémonie.

— Vas te faire voir Isaak, je pourrais dire la même chose pour toi.

— Allez avoue-le ... cet uniforme de cérémonie me sied à merveille !

Lyze, de plus en plus tendue, fit cesser le début des chamailleries qui naissaient entre les deux comparses afin de proposer à Shauna une solution à son problème qui semblait étrangement plus lui peser qu'à elle.

— Peut-être que ... tu pourrais aller voir Maître Garth et essayer de lui parler de ...

— Laisse tomber Lyze, coupa Shauna, il est hors de question que je parle au vieux dorénavant, sinon je vais le tuer.

Les chuchotements prirent une nouvelle ampleur. Certains tintés d'amusement, d'autres d'une sourde et sombre colère. Le jeu de l'aristocratie était surtout basé sur l'humiliation. La source de pouvoir de cette technocratie était leur l'influence et cette dernière reposait entièrement sur l'image qu'avait la société de chaque individu. De cette façon, si les meurtres et les assassinats étaient courants, l'humiliation publique l'était encore plus et parfois bien plus cruelle.

Nombres de jeunes aristocrates avaient été envoyés pour des raisons de santé ou autre au monastère suite à certains événements qui les avait entachées à jamais. Même dans ces jeux, les femmes sortaient rarement gagnantes et avaient une fâcheuse tendance à voir leur réputation facilement remise en cause. Pourtant, parmi la haute société, certaines figures féminines s'en sortaient radicalement bien, soit parce qu'elles parvenaient à se faire discrètes, comme Rahel Freymïr, soit parce qu'elles revendiquaient avec conviction leur force et leur capacité à nuire comme c'était le cas pour la grande prêtresse d'Ethias qui avait par ailleurs refusée de venir comme à son habitude.

Eirin n'arrivait pas à croire que Shauna pouvait à ce point intéresser les nobles de la cours. Pourtant, elle avait réussi là un coup de maître : celui d'attirer tous les regards sur elle.

Eirin prit deux verres de vin lorsqu'un serviteur passa près d'elle et sourit. Certes, Shauna avait réussi un exploit qui ne tarderait pas à se retourner contre elle et à précipiter sa fin. L'aristocratie adorait et détestait à la fois deux choses : les surprises et les grandes tragédies et Shauna était parvenue à réunir les deux à la fois.

Alors qu'elle se rapprochait du groupement autour de Shauna, Eirin entendit quelques bribes de conversation qui était loin de lui être adressées.

— Pensez-vous, une orpheline ...

— Vous ne me l'auriez pas dit que je l'aurais deviné Mon Cher ...

— Pourtant elle porte une magnifique robe, sûrement d'un créateur Hatrai.

— Ha ha ha ! Mon Cher Ami, il y a porter des vêtements et sublimer des vêtements et c'est loin d'être la même chose ! Une pauvre reste une pauvre et ce n'est pas un déguisement, d'aussi bonne qualité soit-il, qui changera sa nature !

— Vous devez avoir raison Ma Chère ...

Eirin accéléra le pas et finit par atteindre son but. Elle attira l'attention de Lyze, et lui tendit le deuxième verre de vin en sa possession :

— Je tiens à te féliciter Lyze, je ne savais pas que tu avais de si belles pièces en ta possession ! Elle va vraiment à ravir à Shauna, dit-elle dans un sourire.

Lyze rougit et sourit innocemment :

— C'est vraiment gentil, Eirin ! Ces pièces m'ont été offertes par ma mère, elle a de meilleurs goûts que moi.

— Tu sais, tu ne devrais pas te sous-estimer comme ça Lyze, je connais peu de personnes qui ont un goût aussi sûr que le tien et je tenais tout simplement à t'en féliciter !

La jeune Lyze rougissait de plus en plus face aux compliments que lui attribuait l'héritière Freymir. Shauna qui les écoutait tout en grignotant des petits gâteaux, fronça les sourcils. Elle avait passé pas mal de temps dernièrement avec Eirin, et dans ses souvenirs, elle n'était pas aussi amicale, ni aussi bavarde. Elle était surtout très avare en compliments ! Et là, la voir aussi gentille et chaleureuse, non, c'était trop étrange. Agacée, l'orpheline coupa court à la conversation :

— C'est l'alcool qui te rend aussi aimable ?

Eirin rit à la remarque de son ancienne camarade :

— Ah ah ! Tu sais Shauna, il ne faut pas croire que les gens se réduisent seulement à ton regard !

Elle se tourna légèrement de sorte à faire totalement face à sa nouvelle interlocutrice.

— Regarde-toi par exemple, tu t'es fait humilier et tous les nobles ne parlaient que de toi et en de mauvais termes, tu t'en doutes. Pourtant, tu leur as prouvé avec ce retour dans cette robe somptueuse que leur regard sur toi était erroné.

Elle but une gorgée de son verre et poursuivit :

— Et même là encore, ils peuvent largement se tromper sur ton compte, après tout ton talent à « enflammer » et émerveiller l'assistance n'est plus à prouver pour moi.

Surprise de la réponse d'Eirin, l'orpheline haussa un sourcil :

— Vous les nobles, vous êtes vraiment bizarres. Je croyais que rien ne pouvait vous contenter, mais en fait, un joli morceau de tissu et le tour est joué.

Vraiment, Shauna ne comprenait pas du tout cette logique. Rien ne servait à s'entraîner pour se surpasser. Avec les riches, porter une belle tenue suffisait amplement.

— Remarque, c'est vraiment ça en fait. Tu n'as jamais adressé la parole à Lyze, ou très rarement, et maintenant qu'elle a des belles robes, c'est bon ça devient ta meilleure amie. Il en faut vraiment peu pour vous contenter.

— Je dois admettre que le temps m'a manqué durant mes études à l'Académie, Eirin réajusta légèrement sa coiffure, gênée, j'étais légèrement ... non totalement et bien trop préoccupée par les études, sorte de souci héréditaire. Cependant, cela ne signifie pas que je ne m'intéresse à personne. Dis-moi Shauna, tu trouves ridicule de se rapprocher sur une conversation à propos de tissus ? Pourtant, je ne doute pas de ta connaissance des conflits internes d'Hatriaria grâce aux cours de Maître Panel. Ces guerres prirent fin grâce au théâtre. Un sujet en commun, aussi futile peut-il te paraître, peut donc avoir des conséquences pacificatrices extraordinaires. C'est d'ailleurs bientôt la commémoration du traité d'unification des parcelles de ce pays et du grand festival.

— Un festival éblouissant. Hélas, au vu des circonstances actuelles, de moins en moins de personnes croient en la durée de ces traités.

Les trois jeunes filles sursautèrent, n'ayant pas remarqué l'arrivé de cette nouvelle personne qui s'était incrustée dans cette discussion plus que tendue.

L'odyssée des EspritsWhere stories live. Discover now