L'odyssée des Esprits

Chapitre 13 : Insomnie

L'assiette de soupe vide sur la table et les bruits d'écoulement de l'eau qui parvinrent jusqu'à ses oreilles lui rappelèrent cet instant pourtant si lointain de manière claire et limpide. C'était lors de son premier soir à l'Académie. Maître Garth l'avait présentée à la gouvernante en lui demandant de lui préparer un bain ainsi qu'un bon repas. La petite fille avait alors été emmenée dans cette petite cuisine. La gouvernante lui avait servi un potage pour ensuite partir lui préparer un bain. N'ayant jamais mangé un met aussi savoureux ou même une quelconque nourriture qui ne soit pas un déchet, la gamine avait fini son bol en quelques secondes et avait souhaité rapidement une nouvelle portion. La gouvernante n'étant pas encore de retour, elle avait tenté de se servir elle-même et était donc descendue de sa chaise pour se diriger vers la marmite posée sur le feu. Sans prendre garde, elle avait posé sa main sur le métal brûlant. Ce n'est que lorsqu'elle avait entendu un cri derrière elle, qu'elle avait cessé de remplir son bol.

La vieille gouvernante jusqu'à alors immobile s'approcha vivement alors de Shauna et se saisit vivement de sa main à l'image du souvenir en quête d'une quelconque brûlure. Elle releva la tête et observa surprise la jeune fille parce qu'elle avait vu, ou plutôt, par ce qu'elle n'avait pas vu.

— Par Undall..., dit-elle doucement. Comment est-ce possible ? Tu n'as rien.

Retirant ses mains de l'emprise de la dame, Shauna les observa intensément espérant trouver une réponse à ce mystère que ses souvenirs rappelaient à elle par ses songes. Malgré les dires de la gouvernantes, elle finit cependant par ressentir un léger pincement comme un picotement. Elle commença à se gratter espérant soulager ce désagréable sentiment mais ce dernier ne faisait que prendre de l'ampleur se mutant progressivement en une véritable douleur.

Shauna tomba à genoux. Dans ses souvenirs cela ne s'était pas passé comme ça ! Elle n'avait pas souffert ! commença-t-elle à paniquer. L'absence de réaction de la gouvernante de nouveau immobile et sourde quant aux plaintes de la jeune fille l'assura dans cette pensée. Pire encore, un sourire commença à habiller ses lèvres. Rapidement, elle sentie comme une brûlure la dévorant de l'intérieur. Elle regarda ses mains et vit d'immenses flammes en sortirent et détruire tout sur leur passage y comprit elle.

La fumée envahie rapidement la pièce et c'est avec de plus en plus de difficulté pour respirer que Shauna perdit finalement conscience. Avant de fermer les yeux cependant, elle eut l'impression d'observer une dernière fois la créature réapparut devant elle semblant presque se moquer d'elle.

C'est finalement dans son lit à l'Académie qu'elle se réveilla en sursaut, le souffle court.

Dans un dortoir voisin, Eirin n'arrivait même pas à trouver le sommeil. Même lui la rejetait. Elle se leva et décida de prendre l'air et de sortir du dortoir afin de ne pas interrompre la nuit de ses camarades.

Durant sa marche silencieuse le long des couloirs obscurs de l'Académie, elle se laissa, fatiguée et épuisée, rattraper par les sombres pensées qui la guettaient. La nuit était à présent complètement tombée et l'Académie ressemblait à une peinture. Calme et magnifique. Un espace inoccupé, gelé, sans mouvement, signe de pérennité.

Cette pérennité, pourtant animée de si bonnes intentions, n'avait pas attendu cette nuit pour recouvrir de son voile le monde : les dieux étaient immortels et chaque événement était piégé dans un cycle : le jour se levait inlassablement poursuivi éternellement par la nuit. Les oiseaux chantaient le matin suivi des hiboux une fois la nuit tombée.

Cette pérennité salutaire n'était en réalité qu'une malédiction. Les choses ne changeaient jamais et ils étaient simplement prisonniers de ce calme, de cette immobilité qui ne laissait pas la vie s'épanouir. Une volonté de contrôle sans limite, une sorte de mesure démesurée appliquée à un monde qui ne demandait qu'à s'épanouir dans une démesure mesurée.