Prologue : Sous une nuit enneigée

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Emmitouflée dans quelques misérables haillons, une petite fille, les cheveux courts et le visage blême, mendiait depuis des heures dans le froid. L'hiver était particulièrement rude cette année-là et les gens pressaient le pas pour profiter de la chaleur de leur foyer. Voir une gamine supplier pour de la nourriture ne leur provoquait pas la moindre empathie. En vérité, c'était chose de plus en plus courante. Les orphelinats accueillaient plus qu'ils ne le pouvaient. Alors, dès qu'un petit avait appris à marcher, on le jetait dehors pour libérer de la place. Les citadins n'appréciaient pas les enfants des rues. Ils les considéraient comme de petits voleurs, condamnés à vivre de larcins et de misère.

La tête dans les bras, la jeune fille tentait de se couvrir comme elle le pouvait du froid qui se faisait de plus en plus mordant. Elle se recroquevilla pour protéger ses pieds gelés, abrités sous une simple paire de chaussures trouées faites de vieux cuir d'où ses orteils dépassaient.

Un souffle glacé s'échappa de ses lèvres gercées quand elle releva la tête en quête d'un moyen de se réchauffer. Elle aperçut au loin, au sommet d'une falaise escarpée, l'immense Académie des Paladins. Durant un court instant, les pensées de la petite fille l'amenèrent à s'imaginer au chaud parmi les soldats pour déguster un immense festin à l'issue d'un long entraînement. Un bruyant gémissement provenant des tréfonds de son estomac lui rappela la douloureuse réalité.

Un lourd craquement attira son attention et lui fit tourner la tête. Une charrette, dont les roues se cognaient contre les pavés qui ornaient la grande rue de la ville, s'approchait doucement.

Lentement, une effluve de pain frais se faufila jusqu'à ses narines. L'enfant ignorait si cette odeur provenait réellement de la charrette ou s'il s'agissait du fruit de son imagination, mais une chose était sûre : cela avait attisé sa faim. Et telle une créature absurde grossissant à mesure de l'absence de nourriture, ce besoin la dévorait littéralement de l'intérieur, s'accaparait lentement son esprit et ne cessait de lui répéter un unique ordre en boucle : manger. Guidée par cet appel de plus en plus oppressant, elle se leva, non sans difficulté, et se précipita pour s'emparer d'un peu de nourriture. Pourtant, à peine eut-elle l'occasion de se saisir de quelques morceaux que le propriétaire s'en aperçut et se mit à lui hurler dessus.

Les cris du marchand avertirent un garde. Ce dernier prit en chasse la petite, qui, les bras enserrant le peu de nourriture qu'elle était parvenue à voler, tenta de prendre la fuite. Le soldat, passait de toute évidence bien trop de temps à la taverne et avait du mal à rattraper l'enfant. Alors que la fille espérait lui échapper, son pied glissa sur un pavé gelé. Le garde l'attrapa et lui asséna quelques coups de pied tout en la traitant de vaurienne. Satisfait, il lui cracha dessus, reprit les trois pains et s'éloigna.

Le visage contre le sol et endolori par le froid, la piètre voleuse passa sa main sur ses côtes, puis se retourna de sorte à regarder le ciel. De fins flocons de neige tombaient de nouveau et commençaient déjà à recouvrir son visage. La totalité de ses muscles la tiraillaient et le moindre mouvement était devenu une épreuve. Pourtant, elle le savait, si elle voulait survivre, elle devait se relever ou un linceul d'un blanc glacé ne tarderait pas à se déposer sur son frêle corps pour l'enterrer.

Après être restée allongée quelques minutes, elle prit une profonde inspiration et s'arma du peu de courage qui lui restait pour se remettre en position assise. Elle tenta de se lever, mais ses jambes blessées et engourdies par le froid refusèrent de lui obéir.

Avec les blessures infligées par le garde, elle ne pouvait plus courir pour tenter de voler quoi que ce soit et se contenta de presser ses mains sur son ventre, pour tenter désespérément de faire taire les grognements de son estomac, et d'oublier la faim qui l'accablait.

Brisant la mélodie langoureuse que jouait malgré elle ce besoin, des pas, dont le bruit était presque imperceptible avec la neige, s'approchèrent et l'ombre d'un inconnu la recouvrit. Le nouveau venu s'accroupit à sa hauteur et arbora un visage se voulant souriant et chaleureux. D'abord méfiante, la petite fille fut stupéfaite quand l'homme lui tendit une pomme.

Elle ne le savait pas encore, mais ce jour-là, sa vie allait changer.

L'odyssée des EspritsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant