Elle semblait avoir repris un certain sang-froid en voyant Charles et les trois autres personnes arriver. Elle avait une expression terrifiante. On aurait dit qu'elle voulait les tuer, mais qu'elle se retenait. Son regard était surtout rivé sur le barbu.

Charles souffla encore une fois. C'était devenu une habitude.

- Je vais vous expliquer. Bon, par quoi commencer ? Ah, oui je sais. Avez-vous déjà vu...il semblait chercher ses mots, mais ne les trouvaient pas.

La femme asiatique, compris tout de suite sur quoi Charles hésitait.

- Alba et Eliaz, Suprême Charles.

Elle prononça ce titre honorifique d'une voix tranchante et dégoutée. Le barbu hocha la tête, sans faire attention aux émotions qui traversaient la femme. Je la connaissais elle aussi, c'était quelqu'un de proche, et d'en même temps éloignée. Pourquoi ? Mes pensées se mélangeaient.

- Oui voilà c'est ça. Avez-vous déjà vu, ne serait-ce qu'une fois, Alba et Eliaz séparés ?

Un silence se fit. Les Métamorphes cherchaient dans leurs souvenirs. Des regards s'entrecroisaient, posant des questions muettes. En réalité, toutes les personnes autour de moi semblaient perdues.

Je me sentais de plus en plus faible. J'avais du mal à suivre la conversation. Eliaz de même, il me regardait les yeux à demi-fermés, tandis que ma respiration se faisait lourde. J'avais l'impression que quelque chose se construisait lentement entre nous. Je ne sais pas quoi. Tout ce que je savais, c'est que cela me fatiguait de plus en plus. Mes muscles et mes membres m'avaient lâché, je ne pouvais plus faire un seul mouvement. Seulement avec mes yeux, et encore, c'était difficile. Ma vue était de plus en plus floue, je devais me fier à mon ouïe.

Personne ne répondit réellement à la question de Charles, pourtant il paraissait satisfait. Il semblait avoir obtenu la réponse qu'il voulait. Un non probablement.

Puis il reprit la parole, mais ce fut sans effets pour moi. Il posa d'autres questions, plusieurs, mais je n'arrivais pas à les entendre. Je ne voyais désormais, plus rien, seulement du flou, du vague. C'était dérangeant. Mon ouïe m'avait lâchée elle aussi, quel désastre.

Des taches noires apparurent en face de mes yeux, s'étalant de plus en plus, comme de l'encre. Mes paupières se fermèrent d'elles-mêmes. J'étais encore consciente.

Il ne me restait plus que le silence. Un silence de plomb, ponctué par les sensations d'Eliaz, ses émotions. Nos esprits étaient toujours connectés. Il me tenait compagnie, je lui tenais compagnie. Il n'entendait plus rien, ne voyait plus rien, ne sentait plus rien, comme moi. Et pourtant, nos consciences étaient fusionnées. Je le sentais lui, j'aurais même presque pu le toucher rien que par la pensée.

Le silence nous entourait, il devenait lourd, pesant, nos esprits s'endormais de plus en plus. Impossible de résister plus, la force qui agissait sur nous étaient imbattable, et sans-appel. Plus le temps passait, plus elle devenait forte et nous obligeait à sombrer.

Pourquoi luttais-je déjà ? Je ne sais pas. Cela semblait pourtant plaisant de s'endormir. De tomber dans une profondeur duveteuse et rassurante, Eliaz toujours près de moi.

Mais oui c'était bien, c'était une bonne idée. Fermer les yeux, c'était parfait. Il le fallait.

Non ! Il ne faut pas ! Je serais faible et je ne pourrais pas me défendre ! Pendant longtemps, très longtemps. Combien de temps ?

Me défendre contre quoi ?

La douceur m'entoura. Des bras invisible me serrèrent, une bouche, masculine et pleine, me souffla à l'oreille et me parla. Une essence, une aura. Celle d'Eliaz. Que disait-il ? Je ne comprenais pas. Il semblait avoir peur, peur de quoi ? Qu'avait-il compris, vu, entendu ? Mon cerveau était embrumé.

Laisse-moi dormir, laisse-moi juste dormir. S'il-te-plait, je le veux, j'en ai besoin.

Il me retient, pourquoi me retient-il ? Pourquoi fait-il ça ? Il m'empêche de tomber. Mais lâche prise ! Je veux tomber ! Il me retient encore, pourquoi me retient-il ? Il m'empêche de m'éloigner de lui. Mais je ne comprends pas, je ne m'éloigne pas. Je crois ? Une déchirure sensorielle se fait entendre.

On nous sépare, quelqu'un nous sépare ! Non ! Non !

Non !

Une douleur fulgurante me prend au poitrail. Mon corps entier s'embrase. Du feu coule dans chacune de mes veines. J'ai mal. J'ai mal ! J'AI MAL !

Arrêter !

Mes yeux s'ouvrent d'un coup. Je redécouvre le paysage autour de moi. C'est flou, puis devient net, c'est en mouvement. Comme si le sol même bougeait. Je vois Eliaz, des personnes le porte. Ils le transportent, l'éloigne de moi. L'emmène loin.

On me porte aussi, on m'emmène autre part. A l'opposer de lui.

Non, non, non, non.

Je ne veux pas ! J'ai mal, ça fait mal !

Des cordes invisibles bloquent mes mouvements, mais je dois bouger, je dois bouger, laissez-moi bouger. Mon corps est un rempart. Je suis un rempart. Je ne veux pas !

Je force, je fonce, je scie, je coupe ces cordes, ce mur rêche qui m'empêche de bouger. Mon esprit n'est plus que lutte.

Je m'épuise, je souffre. Eliaz aussi, il fait comme moi, ses yeux sont fixés sur les miens. La distance entre nous augmente. Je désespère, je continue.

Une corde lâche. Elle commence à se reformer. Je fonce dans la fissure, mon esprit s'évade. J'ai l'impression de retrouver la sensation de mon corps.

J'en profite, pas de temps à perdre, j'ai l'impression de mourir à petit feu, le feu me brûle. Je n'ai jamais autant souffert. C'est une douleur aussi indescriptible qu'irradiante.

Bouge, bouge, fait un mouvement, empêche ces personnes de t'éloigner de lui !

Mes muscles se contractes, mon corps est de roc. J'AI MAL.

Allez bouge, mais bouge, bon sang ! Fait quelque chose !

Le temps est long, lent, c'est une torture.

Mon ouïe parvint à capter des paroles.

- Suprême Charles vous êtes sûr que c'est une bonne idée ? Ils ont l'air d'être vraiment mal en po...

- Continuez et ne discutez pas. Il faut absolument que je vérifie cela.

- Mais vous avez-vous-même dit que si on les éloignait pendant la Fusion ils...Ajouta une autre personne.

- Arrêtez de discuter mes paroles ! Vous faites peut-être parti d'une Meute Nomade, mais vous restez sous mes ordres en tant que Suprême !

Une onde d'énergie bestiale irradiait soudainement, faisant taire quiconque voudrait parler.

Mon ouïe se brouilla à nouveau. Mais j'avais bien entendu, et bien compris. Alors on voulait intentionnellement nous séparer ? On voulait nous faire du mal ? On voulait nous voir souffrir ?

Ils n'y arriveront pas. Je suis puissante, je suis forte, Eliaz l'est aussi. Je n'allais pas me laisser marcher dessus. Me laisser mourir sans me défendre.

Je n'étais pas faible.

Un déclic résonna dans mon esprit. Mon affolement diminua, mon sang-froid réapparu. Je contrôlais ma douleur, je n'y succombais pas, même si cela me tuais à petit feu.

Et je bougeai.    


ALBAWhere stories live. Discover now