TWELVE - M.

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Voici maintenant plus d'une semaine qu'Ellya ne venait plus au travail.

Soupirant de découragement, je commençai à classer les différents papiers qu'elle recevait par la poste par ordre de date et de compagnie. Parce qu'Ellya était plutôt ambitieuse, travaillant en coopération avec plusieurs autres entreprises à la fois pour les livraisons des matériaux et des robes ainsi que les services des designers.

Cela faisait plus de huit heures que j'étais au boulot, mais ça m'était égal. Pour moi, rendre service à ma meilleure amie pour qu'elle se décoince et oublie sa récente déception amoureuse était bien plus important.

Au risque de sacrifier toute ma vie pour elle.

Carrément.

Pourquoi ? Parce qu'elle m'avait donné une partie de la sienne en retour.

Tout en mettant des trombones sur les piles de papier pour les garder en place, je replongeai dans mes souvenirs.

Cinq ans plus tôt, alors qu'Ellya venait tout juste de prendre le relais à l'entreprise de son père après sa mort, nous nous sommes rencontrées. 

Travaillant à l'époque dans un club, je n'avais aucun contrôle sur moi, mon corps, ce que l'on faisait avec.

Je bossais au Vine, un bar de danseuses au Massachussetts. Mon père alcoolique au chômage et ma mère décédée avec un frère encore au lycée, il fallait que je fasse quelque chose pour rapporter du pain à la maison et payer ses études... Au moins à lui. Ayant moi-même quitté l'école à dix-sept ans, je n'étais pas le meilleur exemple pour mon frère, mais j'essayais... Du mieux que je le pouvais.

C'était pour cela que j'étais plutôt habituée à l'ambiance qui régnait dans ces endroits. Et également pourquoi j'avais pensé que ce serait peut-être l'endroit qui conviendrait mieux à Ellya pour céder un peu à Daniel. Malgré tous les mauvais souvenirs qui étaient ressurgis cette nuit-là et que je cachais sous des conneries et des sourires, je l'avais fait. Je le lui devais.

Alors pendant plus de trois ans de ma vie, j'avais menti à mon père jour après jour, soir après soir en lui assurant que j'allais encore à l'école et que l'argent que je déposais secrètement dans son compte était l'argent d'un boulot que je pratiquais dans un restaurant. J'aurais pu aller travailler dans un restaurant, mais les revenus qui en découleraient ne seraient pas suffisants pour nous trois.

Pour vivre au Massachussetts, il fallait, d'abord, ne pas savoir vivre.

Se faire respecter était l'essentiel. Et puis le reste, un jeu d'enfant. Peu importe le boulot, vivre était déjà un exploit pour la caste des démunis.

Danser pendant des heures devant des célibataires ou des hommes mariés en manque, à me faire transpercer par leurs regards pleins d'envie, c'était ce que je faisais six jours sur sept. Me faire aguicheuse alors que je voulais tout simplement vomir, dégoutée par ce que je faisais, c'était la base de mes journées. Faire des services spéciaux pour les clients en collant un faux sourire sur mon visage pour tenter de cacher mon corps meurtri, habituée. 

Jusqu'au jour où j'avais aperçu Ellya, assise à une table avec d'autres personnes qui riaient aux éclats, complètement non-intéressée par l'homme qui puait la richesse – et mon employeur de surcroit - et qui tentait, sans doute, de se la faire. Nos regards s'étaient croisés une seconde, et il avait suffi de cette seconde pour que toute la douleur qu'elle tentait de cacher sous une carapace d'indifférence me percute de plein fouet.

J'avais cessé de danser en voyant la main de l'homme s'égarer sous sa robe pendant qu'elle réprimait une grimace de dégout. Entretemps, la foule amassée sous l'estrade avait commencé à protester sous le regard étonné de la femme que je ne connaissais pas alors lorsque je m'étais dirigée vers la table, d'un pas déterminé. 

LOVE(LESS) - TOME 2Where stories live. Discover now