Partie 33-1

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(Media : Unpacking Gran - Nathan Barr)

***

Le corps d'Elemiah reposait à mes pieds.

Ses ailes, à moitié dépliées, s'étalaient derrière lui tel un papillon qu'un lépidoptérophile aurait cloué sur une planche pour compléter sa collection d'insectes rares.

Il semblait si paisible, comme endormi.

Du moins c'est l'impression qu'il me donnait si je me concentrais sur son visage et que je ne laissais pas mes yeux vagabonder plus bas vers sa gorge. Ses plumes si blanches prenaient maintenant une teinte écarlate par endroits, seule ombre au tableau dans ce décor angélique.

J'avais du mal à réaliser qu'il était mort. Que c'était moi qui l'avais tué.

Tout s'était passé si vite... j'avais été à peine consciente de mes mouvements au moment où je m'étais saisie du poignard pour le frapper. J'avais agis par pur instinct, je n'avais réfléchi à rien.

Un seul coup bref, d'une précision redoutable. Mortelle.

Cela me faisait peur avec le recul. Quelques secondes avaient suffi à me transformer en meurtrière de sang froid. Je me faisais peur.

Sur le coup, je n'avais pas réalisé toute la portée de mon geste.

Savoir que mes parents avaient assisté à cette terrible scène n'arrangeait rien.

Par la force des choses, ils avaient été amenés à constater que je n'avais plus rien de cette jeune fille douce et innocente qui les avait quittés la tête pleine de rêves pour entrer dans une école d'art renommée.

Cette époque me paraissait si loin. Je n'étais plus la même personne.

J'aurais aimé qu'ils soient fiers de moi, mais ils devaient être tellement déçus...

Pourtant ils m'avaient soutenue, lorsque j'avais fini par retrouver mes esprits, ils s'étaient empressés de venir me serrer dans leurs bras et de me montrer qu'ils étaient là, qu'ils comprenaient, qu'ils ne me jugeaient pas. Ils ne m'avaient fait aucune remarque, n'étais pas revenus sur mon geste dramatique, préférant me laisser l'espace dont j'avais besoin et ne pas me harceler des milliers de questions qui devaient pourtant les assaillir.

Ils s'étaient montrés compréhensifs, trop compréhensifs... toutefois, je ne pouvais m'empêcher de penser à quel point leur désillusion avait dû être grande.

Mais je crois que ce qui me terrifiait le plus c'était de savoir que, malgré tout, je ne parvenais pas à m'émouvoir de la mort d'Elemiah.

Pendant trop longtemps, l'ange avait été synonyme de désespoir dans mon esprit. Il était à l'origine de toutes mes souffrances. Alors, savoir qu'il ne pourrait plus me faire de mal, cela prévalait sur tout le reste.

J'avais pourtant ôté sa vie. En un battement de cil, j'avais mis fin à des années d'existence. J'avais détruit un être majestueux, une superbe créature ailée digne d'un conte de fée. Du moins il en aurait été digne si sa lâcheté et son immense vanité ne l'avaient pas corrompu au point de le rendre monstrueux.

Je me souvenais très bien de l'expression qu'il avait eue sur le coup. Lorsqu'il avait réalisé que c'était moi, celle qu'il considérait pourtant comme sa compagne, qui lui avait asséné le coup fatal. Il ne s'y attendait pas. J'étais probablement la dernière personne qu'il aurait crue capable de le détruire.

Il s'était convaincu que notre futur était lié, que quoi qu'il arrive je finirais mes jours à ses côtés. Il s'était trahi lui-même. Son arrogance avait entraîné une erreur de jugement si conséquente qu'elle l'avait mené définitivement à sa perte.

Comme s'il pleuvait des anges (Édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant