J'étais sous tension depuis l'apparition des anges. J'avais subi deux tentatives d'enlèvement, dont une qui remontait aux dernières vingt-quatre heures, j'avais été rouée de coups — et même si j'essayais de me convaincre du contraire, cette expérience était certainement la plus traumatisante que j'avais connue jusqu'ici — ajouté au fait que je n'avais plus aucun contact humain depuis deux semaines et que mes parents me manquaient atrocement, j'étais à deux doigts de perdre la boule. Définitivement.

J'avais donc retourné tout l'appartement jusqu'aux tiroirs de sa cuisine dans le but de comprendre un peu mieux la personnalité du propriétaire des lieux. Malheureusement je n'avais rien découvert d'intéressant, si ce n'était que sa penderie contenait plusieurs vêtements de femme dans des tailles toutes différentes et que sa bibliothèque renfermait une collection impressionnante de livres les plus dépareillés qu'il soit : BD, dictionnaires et encyclopédies de toutes sortes, ouvrages politiques, livres d'Arts, Atlas,... j'étais même tombée sur un roman à l'eau de rose qui dénotait complètement avec le personnage. Si Monsieur Sexy cachait un secret, il le gardait dans une des autres pièces de son appartement.

En même temps, quel secret pourrait-il bien garder ?

Je devenais folle, à force de me méfier de tout et de tout le monde, je n'arrivais plus à penser correctement.

Je reportai mon regard sur le roman de gare qui reposait sur le coussin à côté de moi — et qui semblait étonnamment usagé, ne pus-je m'empêcher de remarquer — et me décidai finalement à l'ouvrir. Il aurait au moins le mérite de me faire passer le temps.

— « Alice, de l'autre côté du boudoir » lis-je à haute-voix. Voilà qui s'annonce prometteur, ricanai-je.

J'étais plongée dans ma lecture depuis deux bonnes heures lorsque je sentis soudain une présence tout près de moi. Je tournai la tête vers la droite et poussai un hurlement de terreur en découvrant un visage penché sur mon épaule. Je me relevai dans un bond, le cœur battant à tout rompre.

Le livre fût aussitôt projeté en l'air dans un superbe vol plané pour atterrir tout droit dans la main de l'homme qui m'avait surprise en pleine lecture charnelle.

Keran

Sans me porter plus d'attention, il pencha la tête vers le roman qu'il avait rattrapé le plus nonchalamment du monde, comme si cela lui était parfaitement naturel, et il se mit à lire la page sur laquelle je m'étais arrêtée.

— « Aussitôt son membre se trouva de nouveau devant elle, comme par un tour de prestidigitation. Il était si gros qu'elle ne put s'empêcher de se sentir un peu intimidée devant lui comme elle l'avait été devant le ... »

— Non mais t'es malade ! le coupai-je prestement.

— Attends, le meilleur reste à venir, objecta-t-il avec enthousiasme.

— Comment se fait-il que je ne t'ai pas entendu arriver ? demandai-je en priant de toutes mes forces pour qu'il ne poursuive pas sa lecture.

L'entendre prononcer ces mots à haute voix avait eu un effet particulièrement déstabilisant. J'étais partagée entre la sensation de chaleur que j'avais ressentie dans tout mon corps au moment où sa voix rauque les avait prononcés, et le sentiment de grand embarras qui s'était emparé de moi dans le même temps. J'étais bien assez secouée comme cela, mon cœur menaçait toujours de sortir de ma poitrine sous le coup de cette soudaine apparition et je ne voulais pas ajouter à mon malaise la honte d'avoir été surprise en plein milieu d'un passage torride.

— Il faut croire que tu étais bien trop concentrée sur ta lecture pour faire attention à moi, dit-il, un sourire grandissant sur son visage.

Je ne savais plus où me mettre. Et son petit air canaille ne faisait que m'enfoncer davantage. Au moins, cet incident avait réussi à lui seul à faire retomber toute la tension de la matinée. Même s'il me faudrait certainement des jours pour oser le regarder de nouveau dans les yeux.

Je décidai de faire dévier la conversation au plus vite pour oublier l'inconfort de la situation.

— Où étais-tu passé ?

Je n'avais aucun droit de lui demander des comptes sur ses allées et venues mais je n'étais plus vraiment en mesure de réfléchir distinctement et la réponse m'intéressait réellement. Le soleil s'était couché, il avait passé sa journée dehors et je me demandai ce qu'il avait bien pu trouver à faire pendant aussi longtemps vu l'état actuel de la ville.

— Je suis allé voir un de mes contacts.

— Pourquoi ?

La question avait franchi mes lèvres avant même que je n'ai eu le temps de clairement me la formuler dans la tête. Je ne savais pas ce qu'il me prenait. J'étais curieuse de nature mais j'avais l'impression d'être une de ces petites copines inquisitrices qui vérifient chaque fait et geste de leurs compagnons jusqu'à en devenir insupportables. Que m'arrivait-il ?

— Parce qu'il connaît peut-être le moyen de te faire quitter la ville.

Je dus rester muette pendant deux bonnes minutes, essayant d'intégrer ce qu'il venait de me dire. Je cherchai le signe qu'il se fichait de moi sur son visage mais tout laissait penser qu'il était sérieux.

— Co... Comment ? bégayai-je

— Il était absent. Je n'ai donc pas pu régler tous les détails, mais j'ai obtenu un rendez-vous avec lui pour demain soir. Tu m'accompagneras, Trevor aime savoir pour qui il se mouille. Par mesure de sécurité.

Sa réponse n'en était pas vraiment une et soulevait plus d'interrogations qu'autre chose, mais s'il existait une réelle possibilité pour que je puisse me sortir de cette prison, je n'allais pas la laisser me filer sous le nez.

J'avais tout de même du mal à le croire. Je ne connaissais pas Keran, et encore moins ce Trevor, je n'avais aucune garantie sur la véracité de ses propos. De ce que j'en savais, il pouvait très bien s'agir d'un piège. Mais j'étais aux pieds du mur, dans tous les sens du terme. Je devais prendre ce risque. Accorder une dernière fois ma confiance. Qu'avais-je à perdre après tout ?

Et si je désirais en savoir plus, j'aurais tout le temps d'essayer de faire cracher le morceau à Monsieur sexy ici présent. Il me restait encore un jour pour en apprendre le plus possible avant de me jeter dans la gueule du loup et je comptais bien faire de mon mieux pour lui sortir les vers du nez.

Comme s'il pleuvait des anges (Édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant