Chapitre 9 : Maxius

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Maxius n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il ne cessait de se retourner dans ce grand lit luxueux en ressassant le dernier repas avec les Del Wyn. Sous les apparats et les sourires se cachaient des choses, des choses très étranges, sans qu'il ne puisse encore en saisir le sens.

Tout d'abord, il y avait cette ville. Il avait rapidement remarqué qu'il ne pouvait pas circuler librement en dehors de ces murs, tout comme les filles Del Wyn. La panique dans les yeux de l'émissaire avait été le premier indice. Puis, la mise en garde de la fille à la cape blanche. Et pourtant, le seigneur de Kalagas se comportait comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Alors qu'il était constamment entouré de ses conseillers, il n'abordait aucun sujet politique ou les éludait lorsqu'on le questionnait. On évoquait seulement des conflits sur les Terres Sauvages. Or, Maxius n'avait jamais eu vent de cela. Aux dernières nouvelles, les tensions s'étaient apaisées selon les informations détenues par le conseil des vampires.

Enfin, il ressassa sa journée et encore une fois, il pensa à Saphora. Cette femme ne lui inspirait pas confiance. Il le savait tout au fond de lui, pourtant, il voulait mieux la cerner afin de pouvoir la confronter aux mensonges qu'elle débitait si naturellement. S'il devait l'épouser elle ou Impera, il devrait composer avec ce trait de personnalité qui lui déplaisait. Accepter une alliance avec cette famille demeurait une belle erreur. Sans le savoir, il avait emprunté une voie sans issue dont il ne pouvait se défaire... A moins de persuader les deux parties d'annuler le contrat entre August et son père. Autant admettre que c'était peine perdue.

Maxius se leva en se frottant machinalement la gorge. Il s'assit sur l'alcôve près de sa fenêtre pour contempler la neige tomber. Soudain, il entendit quelqu'un passer près de la porte de sa chambre. Ce n'était pas un domestique, le bruit avait été presque imperceptible. Il enfila rapidement une veste légère, intrigué par ce son, plutôt reconnaissable. Au fur et à mesure qu'il arpentait les couloirs, ses soupçons se confirmèrent en humant un parfum familier. Lorsqu'il arriva à un embranchement, il avait déjà perdu sa piste. Une fenêtre ouverte où s'engouffrait le vent glacé de Vseya attira son attention. Il la referma, contrarié de s'être fait semé comme un débutant. Puis, sans crier gare, il se fit pousser brutalement contre une porte, le faisant trébucher dans une pièce sombre. Maxius se défendit contre son agresseur mais s'arrêta net lorsqu'il sentit le froid d'une lame contre sa poitrine. Le picotement brûlant sa peau le dissuada de faire un geste brusque.

De l'argent, comprit-il.

Les vampires et les lycans, particulièrement sensibles à cet alliage, en avait interdit la circulation depuis des siècles. Un des rares accords entre les deux espèces qui tenaient encore à ce jour.

— Que faites-vous ici ? s'étonna son assaillante. Vous me suivez, seigneur Volkov ?

Il secoua lentement la tête en baissant son regard vers l'arme. Saphora recula d'un pas et rengaina sa lame, écartant les pans de sa longue cape. Maxius resta interloqué une fraction de seconde en remarquant sa tenue de nuit dévoilant ses jambes. Glabres, laiteuses et surtout nues.

— J'avais soif, expliqua Saphora alors qu'il ne lui avait rien demandé. Les domestiques ont oublié de m'apporter de l'eau. Vous voulez vous joindre à moi ?

Maxius, ignorant l'endroit où se situaient les cuisines, acquiesça et la suivit. Ses cheveux lâchés semblaient luire à travers les rayons du soleil commençant faiblement à poindre. Le vampire était de plus en plus intrigué. Quel rôle jouait réellement cette femme ? A la voir comme cela avec ce visage aux traits doux, elle semblait si pure. Innocente. Joviale. Seulement, dans ses yeux, il y avait de la colère. Bien dissimulée, certes, mais une colère froide et muette. Et il y avait lu aussi de la peur lorsqu'elle avait souri poliment au comte Basarab. Maxius n'arrivait pas à la cerner. Il se demandait comment elle le regardait, lui. Le méprisait-elle ? Maxius ne cessait de l'observer, guettant chacune de ses réactions, même les plus infimes. Mais plus il gardait un œil sur elle, moins il arrivait à la suivre. Il s'installa sur la grande table de la cuisine en attendant que la jeune vampire ne finisse de fouiller dans le garde-manger.

— Je n'ai pas de sang humain et frais en réserve, déplora Saphora. La livraison ne se fera pas avant quelques heures.

Elle se servit un grand verre d'eau puis ouvrit un autre placard où s'échappa une fumée glacée. Puis, elle ajouta des glaçons dans sa boisson. Elle but sans aucune grâce et s'épongea le coin des lèvres. Puis, se rappelant soudainement des convenances, elle lui tendit le verre :

— Vous en voulez ? J'allais vous proposer un verre d'hydromel mais vous ne semblez pas aimer l'alcool. Pourquoi ?

Parce que ça fait mal, voulut répondre Maxius. Il se contenta de lui adresser une moue dégout. Saphora pouffa de rire. Il ne sut pas comment l'interpréter : moquerie ou un semblant de sincérité de sa part ?

— Je préfère le vin, ajouta-t-elle en prenant place en face de lui. Nous n'en cultivons pas ici, mais j'en ai déjà goûté, il y a très longtemps. Au moins, Impera ne vous trouvera jamais soûl dans une taverne des environs. Vous semblez n'avoir aucun vice, seigneur Volkov.

Sa remarque sonnait d'une étrange façon. Elle continua :

— Je pense que c'est vous qui allez devoir vous marier avec elle, seigneur. Si nos parents veulent perpétrer la lignée des Volkov et celle des Del Wyn, il serait plus avisé de marier un homme et une femme, plutôt que deux femmes. N'y voyez aucun jugement de ma part, je me base sur la logique des membres du conseil de Kalagas. C'est tellement dommage... Clematys semble apprécier sincèrement ma sœur. Cependant, je suis convaincue que mon père, en plus de nous sauver de la ruine, cherche à prolonger notre lignée, au cas où il lui arrive quelque chose. Enfin, ce ne sont que des suppositions.

Maxius haussa les épaules. Finalement, la fille d'August avait tiré les mêmes conclusions que lui. Mais se marier à Impera... Ou à n'importe quelle autre femme n'ayant pas émis ce souhait, non, il ne le voulait pas. Il ne voulait pas de ce type d'union, que cela soit avec elle ou sa grande sœur.

Le vampire n'avait jamais réellement songé à l'idée de tomber amoureux. Il n'avait eu que l'exemple de ses parents, qui passaient leur temps à se chamailler : l'une Volkov de naissance et d'un caractère de feu, son père né Mei de Pormorh, d'un tempérament réfléchi dissimulant une force d'esprit implacable. Dans l'ensemble, cela devait ressembler à de l'amour, c'était le seul modèle qu'il avait pu observer durant des années. Cependant, Maxius n'en avait pas la certitude car il ne s'était jamais attaché de cette façon à quelqu'un. Il avait porté de l'affection, il avait désiré, mais il n'avait jamais aimé comme on pouvait le décrire dans les vieux livres à l'eau de rose dont sa sœur raffolait.

Il reporta son attention sur Saphora. Il voulut lui demander ce qu'elle pensait de tout cela. Mais même s'il avait pu le lui dire à voix haute, il supposa qu'elle se serait contenter de l'un de ses sourires factices. Ils se contemplèrent dans un silence apaisant. C'était la première fois qu'il ne ressentit pas de malaise entre eux.

Saphora. Saphora. Saphora, pensa-t-il tout haut. Quelle femme intrigante.

Elle cligna des yeux. Puis elle lui sourit, franchement.

— J'ai l'impression que vous essayez de me parler, quand vous me regardez ainsi, monseigneur. Vous auriez dû prendre votre calepin avec vous, nous aurions pu refaire le monde, le temps d'une soirée. Je suis certaine que vous avez de nombreuses choses à raconter.

Elle ne croyait pas si bien dire. Maxius se leva lorsqu'elle sembla prendre congé. La jeune vampire lui adressa une petite révérence. Maxius s'inclina légèrement à son tour.

— Reposez-vous bien, seigneur Volkov.

Il resta un moment debout au milieu des cuisines, plongé dans ses pensées. Lorsque les domestiques commencèrent à circuler dans les couloirs de service, Maxius s'éclipsa, non sans subtiliser un pot de miel avant de quitter les lieux. A force de rester ici, il ne savait plus s'il souffrait de sa cicatrice à la gorge ou s'il était constamment assoiffé à cause de cet environnement qu'il ne connaissait pas. Il regagna sa suite avec encore plus de questions que lors de son arrivée dans cette mystérieuse région glacée.

De nacre et d'acierWhere stories live. Discover now