Prologue

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— C'est entendu, Jiang.

Le seigneur de Kalagas n'aimait pas cette proposition. Seulement, il n'avait guère le choix de s'y soumettre. Feignant un sourire poli, il leva les yeux du contrat que lui présentait le dénommé Jiang, C'était un vampire possédant un sens des affaires redoutable. D'une famille de riches marchands, il avait accompli une ascension sociale fulgurante en se mariant avec Jeva Volkov, seule héritière du clan Volkov, famille souveraine de la région de Domov. Il ne reculait devant rien pour satisfaire ses ambitions dévorantes. Cet homme était aussi rusé qu'un renard, il savait qu'il était en position de force lorsqu'il lui avait formulé cette proposition, plusieurs mois auparavant. L'économie de la région de Kalagas s'effondrait, ce n'était un secret pour aucun vampire d'Orpyr. Les conflits avec les lycans au sud n'arrangeaient rien. August avait besoin d'argent et vite. Il ne pouvait plus emprunter de l'argent à Funera, la région mère, surtout depuis le retour du roi Drimir, nettement moins conciliant que sa fille. Il était poings et pieds liés. La ruine, ou la honte. Il avait fait son choix.

— Très bien, sourit Jiang. Tu n'as plus qu'à signer, et tu auras la première partie de la dote. L'autre partie te sera versée après.

— Ta femme est d'accord avec cela ?

— Quand il s'agit d'étendre son pouvoir, toujours, répondit son interlocuteur. De mon côté, tout ira pour le mieux, je te l'assure. Et toi ?

— Tout le monde fera son devoir.

Lorsqu'il avait annoncé la nouvelle à sa famille, cela ne s'était pas aussi bien passé qu'il le prétendait. Sa fille aînée l'avait incendié et avait claqué la porte de son bureau. En revanche, sa cadette avait hoché la tête, le regardant avec toute la compassion qui la caractérisait. Elle était si douce, si gentille. Dommage qu'elle n'ait pas été concernée par tout cela car elle aurait été parfaite pour ce rôle, il en était persuadé.

August soupira, attristé. Que dirait son épouse, si elle avait été encore auprès de lui ? Elle n'aurait jamais accepté cela. Depuis sa disparition, tout allait de mal en pis. Après tout, il fallait avouer que le parcours de vie d'August avait toujours fait jaser autour de lui. Le seigneur de Kalagas était considéré comme un excentrique. Il avait osé épouser une ancienne esclave métamorphe, créant un véritable scandale à la cour royale des vampires. Il n'avait jamais fait état de cela. A l'époque, ses terres étaient prospères et riches.

Sa vie aux côtés de Taria, sa femme, avait valu tous les sacrifices. Elle lui avait donné deux beaux enfants en pleine santé. Des hybrides, des êtres très rares dans ce monde où les espèces ne se mélangeaient pas entre elles. Le risque était grand car elles auraient pu être mortelles ou simplement détenir de plus de caractéristiques métamorphes comme la capacité à se transformer en animal ou pire encore : ne pas avoir de crocs. Fort heureusement, elles disposaient principalement de caractéristiques vampiriques : la nécessité de se nourrir de sang, une certaine force et surtout, elles avaient arrêté de grandir à partir de vingt ans, comme tous les immortels. C'était là, la consolation du seigneur de Kalagas. Il était veuf et cela lui pesait, mais il resterait éternellement aux côtés de ses chers enfants.

Malheureusement, la région isolée du reste du royaume avait fini par manquer de ressources et de moyens. Puis, un conflit entre des clans de loups-garous avait pris de l'ampleur, jusqu'à menacer la paix dans la région de Kalagas. Ses frontières avaient reculé, sa fortune s'était évaporée au fur et à mesure des années jusqu'au point de non-retour.

Tel un vautour volant en cercle au-dessus de sa proie, Jiang Volkov avait attendu le moment idéal pour lui proposer un marché qu'il ne pouvait pas refuser. Acculé, il soupira avant de s'emparer du stylo posé sur son bureau en nacre. Le bruit de la mine sur la pointe fit tressauter sa mâchoire. Puis, il le tendit à son invité indésirable avec sourire contrit.

— Parfait, se réjouit Volkov. Nous nous reverrons dans quelques semaines, pour les fêtes de Phésas. Ce sera un prétexte parfait pour réunir nos clans et annoncer la nouvelle à notre communauté.

— Tout à fait, acquiesça August.

— Et nous nous reverrons pour célébrer d'heureuses fiançailles. Nos deux clans, enfin réunis ! Quel honneur.

Quelle horreur, voulut rétorquer le seigneur. Si Jiang n'était pas né Volkov, sa femme, en revanche, si. Et Kalagas savait qu'elle n'avait pas encore digéré le fait d'avoir été éconduite alors qu'à une époque lointaine, sa famille espérait unir les deux clans.

— Et si aucun de nos enfants ne s'entendent ? s'inquiéta-t-il.

— Oh, les miens n'auront pas le choix, ricana Volkov.

August tenta de garder la face et répondit d'un ton las :

— Et mes filles accompliront leur devoir.

— Eh bien, c'est parfait alors ! Tu n'as aucune inquiétude à te faire, mon ami. A bientôt.

Jiang tourna les talons en faisant voler les pans de sa longue tunique satinée et quitta le cabinet. Kalagas s'enfonça sans grâce dans son siège en soufflant de tout son saoul. Qu'ai-je fait ? se lamentait-il, plein de remords. Il se reprit. Non, il ne devait pas se laisser aller. Ses sujets avaient besoin de lui. L'avenir de la région était en jeu. Ses filles lui avaient donné leur accord. Bientôt, sa fille aînée, Impera, sera mariée à l'un des jumeaux Volkov. Il ne les avait jamais rencontrés. Il savait seulement qu'il y avait une femme et un homme. Ils travaillaient régulièrement pour le roi, étaient de sang-purs et avaient reçus un enseignement dans les plus grandes institutions. Impera n'aurait que « l'embarras du choix ». C'était le seul argument qui lui avait fait entendre raison. Tout ce qu'il espérait à présent, c'était qu'elle ferait le nécessaire pour l'avenir de sa région à laquelle elle était très attachée.

— Nous verrons bien !

Sa culpabilité s'évapora dès qu'il prononça cette phrase à voix haute. Après tout, ce n'était qu'un mariage. Une signature sur un bout de papier. Tant qu'Impera accomplissait son devoir, elle pourrait ensuite mener sa vie comme elle l'entendrait, à condition de ne provoquer aucun scandale.

Car les Volkov, souverains de la cour d'acier, ne toléreraient aucun écart de conduite, sous peine de mort.

De nacre et d'acierWhere stories live. Discover now