Chapitre 7 : Maxius

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La traque était un rituel auquel Maxius n'avait pas participé depuis plusieurs décennies. La dernière remontait à son adolescence, à l'époque où il se contentait d'observer les seigneurs d'Orpyr chasser les mortels pour assouvir leurs besoins cruels. Au moins, la région de Kalagas conservait les traditions en ayant adapté la loi à leur loisir. D'après les explications du seigneur Del Wyn, ils pratiquaient la chasse plusieurs fois par an pour purger leurs forêts des créatures maléfiques qui s'y étaient invitées. August leur indiqua qu'une manticore avait été aperçue dans les environs.

Ils se dirigèrent vers les écuries pour choisir leurs montures qui les conduiraient jusqu'à la lisière de la forêt. Maxius opta pour son destrier et chevaucha aux côtés de Saphora qui n'avait pas cessé de bavarder sans répit avec Clematys et Impera. Deux conseillers d'August et deux autres nobles vampires les attendaient dans une clairière. August fit les présentations, le sagace baron Verdion, connu pour son expertise en faune magique, et dame Seraphine, une tacticienne au service des Del Wyn. Deux autres nobles vampires, le duc Odolff, en charge de la cavalerie de Kalagas, et dame Elenia, siègeant au sein du conseil de Vseya, les attendaient également. Après ces présentations, August expliqua le déroulement de la soirée. Au lever du jour, le valet les accompagnant sonnerait du cor pour annoncer la fin de la chasse. Le dénommé Yobé insista pour faire équipe avec August, lançant des regards froids, presque hostiles.

Le valet leur demanda de se positionner en ligne avant le premier coup de cor. Saphora se pencha vers lui pour lui murmurer :

— J'espère que vous êtes efficace, seigneur Volkov. Lorsque le signal sera donné, nous devrons être les premiers à atteindre la forêt.

Maxius hocha la tête en essayant de ne pas grimacer à l'odeur entêtante de lavande qui se dégageait de ses cheveux. Il se redressa pour saisir plus fermement ses rennes. Le valet souffla dans le cor et les dix chevaux galopèrent à travers l'immense clairière. Saphora prit la tête de la course, précédée par le seigneur Volkov qui ne la lâchait pas d'une semelle. À l'orée de la forêt, ils bondirent de leurs selles avec une grâce féline, s'enfonçant les premiers dans le sous-bois dense. La forêt du domaine de Kalagas était un lieu mystérieux et dense, imprégné d'une ancienne magie. Les arbres centenaires formaient un abri boisé dense qui filtrait la lumière de la lune. Au bout de plusieurs minutes de course, ils ralentirent pour commencer à traquer leur proie. Maxius scruta attentivement tout autour de lui. Son odorat n'était pas le plus aiguisé d'Orpyr. Toutefois, il percevait comme une faible odeur de putréfaction, caractéristique de la manticore. Saphora devant lui se tourna pour lui dire :

— Passez devant, seigneur Volkov. Avec vos yeux de Sang-Pur, vous verrez mieux que moi dans toute cette végétation.

Face à son air interrogateur, elle ajouta en tapotant le bout de ses oreilles pointues :

— Je vous rappelle que je suis une hybride. Vos réflexes sont probablement plus aiguisés que les miens.

Maxius acquiesça et prit la tête de la marche. Ses yeux s'habituèrent rapidement à l'obscurité et regardaient partout, sans réussir à localiser la créature. La piste refroidissait, tandis que Saphora à côté de lui discutait de la pluie et du beau temps, au grand dam du vampire.

— ... et donc ? C'est vrai que vous avez beaucoup combattu ? Avant votre venue, on m'a beaucoup relaté vos exploits.

Nouveau hochement de tête et un faible grognement. Saphora tapa dans ses mains :

— Oh ! s'exclama-t-elle, ravie. Vous avez l'air d'un chasseur aguerri, j'en étais sûre. Chasseur et guerrier, votre vie a dû être passionnante.

Passionnant n'était pas le mot exact que Maxius utiliserait. Il était le bras armé de son père, celui que l'on envoyait lorsque le dialogue était rompu. On venait le trouver pour des tâches qui ne nécessitaient pas de grandes conversations ou on l'envoyait combattre sous une bannière en cas de conflits pour servir les intérêts de sa famille. Mais il n'allait et il ne pouvait pas l'expliquer à la fille d'August qui ne cessait de babiller pour combler le silence entre eux. Qu'avaient-ils tous à jacasser sans arrêt dans cette région ? Il ne s'entendait même plus réfléchir. Au bout d'un moment, il n'y tint plus et parvint à souffler un :

— Chhhhh.

— Pardon ? rétorqua Saphora, froissée. Vous me dites « chut » ? Ce n'est pas très poli, ça !

Maxius lui lança un regard sévère et posa son index sur ses lèvres pour l'intimer au silence. Par chance, la jeune vampire finit par comprendre. Il s'empara de son arc et encocha une flèche, tous ses sens en alerte. Saphora dégaina la courte épée attachée à sa taille. Cette fois, Maxius en était certain : un faible bruissement à quelques pas trahissait la présence de leur proie. Les deux vampires avancèrent prudemment et se cachèrent derrière un arbuste recouvert de neige. Un animal émergea des fourrés, faisant crisser ses pattes sur le sol blanc. Une bourrasque agita leur cachette, les obligeants à se rapprocher l'un de l'autre. Maxius gardait son attention focalisée sur la créature mais celle-ci lui tournait le dos. Il banda son arc dans un geste précis et silencieux et pointa sa flèche dans sa direction. Puis, au moment de libérer la corde, un « crac » sonore fit fuir sa proie.

Incrédule, Maxius jeta un regard incendiaire à Saphora qui se couvrit la bouche :

— Oups, fit-elle innocemment.

Elle semblait loin d'être désolée pour cette maladresse. Il secoua la tête de désapprobation avant de s'élancer à la poursuite de la créature. Le vampire, trop distrait par la présence de Saphora, n'avait pas pu identifier l'animal. Il était rapide et n'avait même pas essayé de les attaquer. Maxius continua de le traquer à toute vitesse, précédé de son insouciante coéquipière. Elle le héla plusieurs fois mais il l'ignora, trop concentré dans sa tâche. Fort heureusement, il retrouva l'animal au pied d'une butte. Il avait le champ libre pour l'abattre et il ne perdit pas de temps pour pointer son arc en direction de sa proie. Au moment de tirer, il fut poussé avec force par Saphora qui cria :

— Non, ne faites pas ça, je vous en prie !

Satisfait de connaître enfin la vérité, il la toisa en arquant un sourcil, dans l'attente d'explications.

— Je ... Je déteste la chasse, avoua Saphora. Cette créature n'est pas une manticore mais un goram. Il est vrai que de dos, la ressemblance entre les deux espèces est frappante. C'est un animal pacifique qui vit en meute, il a dû se perdre. Ne le tuez pas, s'il-vous-plaît.

Cette femme était vraiment étrange. Elle savait beaucoup plus de choses qu'elle le prétendait. Elle mentait, souriait sans exprimer de joie, et feignait d'être une ingénue. Et les gens autour d'eux lui prêtaient si peu d'attention qu'ils avalaient ses couleuvres sans broncher. Pour la première fois, Maxius entendait vraiment le son de sa voix. Il haussa les épaules et rangea son arme.

— Que diriez-vous de traquer le goram pour lui permettre de rejoindre son troupeau ? suggéra Saphora. Ainsi, il ne sera plus importuné.

L'idée ne l'enchantait guère. Cependant, céder à l'un de ses caprices permettrait peut-être de créer des liens avec cette étrange vampire aux oreilles pointues. Il soupira avant de capituler. Sans crier gare, Saphora trépigna et lui attrapa prestement la main en déclarant :

— Parfait ! Alors suivez-moi et ne traînons pas avant l'aube !

Maxius courut pendant des heures, ses doigts accrochés à ceux de Saphora. Se rendait-elle compte de sa poigne de fer ? Sûrement pas, au vu de son air amusé qui donnait à son visage un aspect plus naturel. A l'abri des regards de la cour de nacre, elle paraissait être une toute autre femme. Après tout, les vampires étaient comme cela, des créatures versatiles qui changeaient en fonction de la personne en face d'elles. Mais quelque chose l'interpellait chez cette jeune vampire. Il ne parvenait pas à se défaire de la curieuse impression qu'elle dégageait. Et s'il devait se fier à son instinct, ce n'était pas une impression positive.

Et puis, il fallait dire que ce contact inattendun'arrangea en rien le tumulte de ses pensées.


De nacre et d'acierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant