Chapitre 6 : Saphora

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— C'est ça, répondit tristement Saphora. Je lui ai proposé de prendre sa place mais elle s'obstine à refuser.

— Pour quoi faire ? Prendre la tête du clan ?

— Eh bien, oui, pourquoi ?

— Mmh, fit Yobé avec une moue dubitative. Je comprends le point de vue d'Impera. Après tout c'est ta grande sœur. Si j'avais encore mon petit frère, j'aurais fait la même chose.

Saphora ne sut quoi ajouter, contrite.

— Et puis, toi, en cheffe de clan, sans rire ?

— Pardon ?

— Déjà que les recettes sont mauvaises, autant raser le château tout de suite, ricana le soldat.

— Retire ce que tu viens de dire, gros malpoli !

Il lui chaparda son présent qu'il tenait à bout de bras mais Saphora ne s'avoua pas vaincue. Elle le fit tomber dans la neige et ils se chamaillèrent comme deux enfants en riant aux éclats. Yobé lui avait beaucoup manqué et elle espérait qu'il resterait au château encore quelques semaines. Sa présence ici égayait ses journées mornes.

**

Après avoir pris congé de son ami, Saphora se prépara pour affronter une nouvelle soirée en compagnie des Volkov. Cette fois-ci, elle ne s'encombra pas d'une robe de bal au vu du repas moins formel qui l'attendait. Elle enfila une veste mi-longue en velours brodée et un pantalon assorti de la même matière. Elle dégagea son visage en nouant deux chignons sur sa tête en laissant le reste de sa chevelure détachée, comme elle avait l'habitude de le faire.

Yobé serait avec eux ce soir, elle avait hâte de pouvoir écouter le récit de son voyage sur les Terres Sauvages. Impera s'invita de nouveau dans ses appartements, ravie de pouvoir l'importuner. Saphora remarqua qu'elle le faisait de plus en plus souvent, à l'annonce de ce mariage arrangé à venir. Était-ce sa façon de profiter une dernière fois de ces moments d'insouciance avec elle ?

— Pas de robe ce soir ? demanda-t-elle.

— Non, tu sais que je préfère me sentir plus libre que dans ces corsets qui me coupent le souffle.

— C'est plus pratique pour s'enfuir des soirées, c'est vrai, gloussa Impera.

Les deux sœurs rirent de bon cœur. Mais Saphora voyait bien qu'Impera dissimulait sa tristesse.

— Laisse-moi te faire un joli chignon, tu veux bien ? demanda-t-elle.

— Oh oui, pourquoi pas ?

Elles discutèrent de tout et de rien, jusqu'à l'heure fatidique. Lorsqu'elles se rendirent dans la salle à manger privée de leur père, il était déjà présent ainsi que Maxius, Clematys et Yobé. A côté d'eux et de leurs tenues sublimes, Saphora avait l'impression de sortir d'une étable. Ils étaient tellement élégants, droits sur leur dossier de chaise. Impera les salua chaleureusement, comme à son habitude. Elle avait toujours eu ce don de captiver son auditoire et mena les conversations avec aisance. Saphora l'admirait tant. Qu'adviendrait-il lorsqu'elle quitterait cet immense château ? Saphora réprima un soupir las. Elle laissa les convives discuter entre eux, la gorge nouée.

— Tout va bien, Saphora ?

Clematys la fit sursauter lorsqu'elle posa doucement sa main fraîche sur la sienne.

— Pardonnez-moi, sourit Saphora. J'étais perdue dans mes pensées.

Maxius la toisa de son regard froid. Elle reprit :

— Je pensais à l'avenir.

— Que comptez-vous faire, après les noces ? questionna Clematys.

Saphora ignora si sa question était un piège. Elle réfléchit un moment avant de lui donner sa réponse. Elle prit garde à prendre un ton calme et courtois.

— Je dois vous avouer que je n'en sais rien encore.

— J'aime votre franchise, seigneuresse. Je crois que si j'avais eu le choix, j'aurais aimé être une artiste.

— Ah oui ? s'étonna-t-elle. Avez-vous un domaine de prédilection ? Dessin, chant ... ?

Elle imaginait mal Clematys jouant les troubadours. Décidément, les Volkov semblaient plein de surprise.

— La musique, en général, sourit Clematys. Sans vouloir me vanter, je suis une excellente joueuse de guzheng.

— Oh ! s'exclama Saphora, ravie. C'est vrai que vous avez dû avoir d'excellents enseignements à Pormorh. Cela doit être magnifique à entendre.

— C'est le cas. Et vous, pratiquez-vous un instrument ?

— Je m'essaie au piano depuis peu, répondit Saphora. Mais je suis meilleure danseuse que musicienne.

Saphora se tourna vers Maxius.

— Et vous, seigneur Volkov ?

Surpris qu'on s'adresse à lui, il s'éclaircit la gorge comme s'il allait lui répondre à haute voix. Toutefois, il se contenta de poser lentement son verre et plaça ses mains devant lui en faisant mine de pianoter.

— Oh ! s'exclama avec entrain Saphora. Vous êtes donc pianiste. Je suis sûre que vous êtes d'un niveau largement supérieur au mien.

— Sans vouloir vous offenser, c'est possible, gloussa Clematys. Nous nous entraînons depuis l'enfance à toute sorte de disciplines.

— C'est fascinant, dit Impera. Je n'y entends rien en art. Je suis plutôt bonne cavalière et j'aime les sciences. Une vraie terre à terre. J'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur, Clematys.

Les deux femmes s'esclaffèrent ensemble. August sembla enchanté de l'entente entre elles. Il se leva pour annoncer la suite de la soirée.

— Puisque que nous parlons équitation, allons dans mes écuries pour y choisir un cheval pour la balade ! Nous irons ensuite du côté de la forêt pour y chasser. Il semblerait qu'une créature rôde sur le domaine et je pensais que vous seriez intéressés pour y participer. Qu'en dites-vous ?

— Il y aura un prix ? demanda Clematys avec un rictus amusé.

— Oh, oh ! Je vois que j'ai affaire à une joueuse, s'enthousiasma August. Pourquoi pas ? J'adore les défis. Nous avons l'habitude de chasser par groupe de deux alors nous pouvons fonctionner par équipe. Le premier qui abat le monstre aura gagné.

— C'est entendu ! Formons les équipes dès maintenant, proposa Clematys. Impera, si vous êtes bonne cavalière, je suis sûre que nous pourrions former un bon tandem.

Bien sûr, grinça intérieurement Saphora. Si les deux femmes se mettaient ensemble, elle se retrouvait coincée avec Maxius. Elle pourrait choisir Yobé, or, cela serait considéré comme grossier. Saphora fit donc le choix que l'on attendait d'elle. Elle fixa Maxius, jusqu'à temps qu'il ne lève le regard vers elle. Sur le ton de la complicité, elle chuchota :

— Je suppose que nous allons devoir faire équipe, vous et moi.

Le vampire se contenta de pincer les lèvres. Qu'est-ce que cela pouvait bien dire ? Saphora se retint de lever les yeux au ciel et lui adressa un sourire poli. Retenez votre joie, seigneur Volkov. Cela n'allait pas être une mince affaire de s'associer avec cet homme. Il ne n'était pas en mesure de parler, certes, mais il pouvait au moins faire un effort pour communiquer ou au moins faire semblant de passer un bon moment en leur compagnie.

Ce ne serait pas avec ce partenaire inexpressif et lent qu'elle allait gagner la chasse et bénéficier d'une faveur de son père. Elle n'allait pas rater une occasion de lui demander de quitter Vseya, même s'il s'évertuait à refuser d'office.

De nacre et d'acierWhere stories live. Discover now