Arlequin et Colombine

Chapitre 46

A l'annonce de leur victoire, l'allégresse s'afficha sur les visages de Marie et d'Antoine. Au contraire, les condamnés s'effondrèrent. Ils avaient cru en leur victoire jusqu'au bout.

Les résultats des votes affichés montraient que les spectateurs avaient été indécis. Tout ne se jouait qu'à quelques voix. Le Grand Maître fit signe aux gardes d'immobiliser les perdants qui se retrouvèrent, en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, les mains attachées dans le dos. Le Grand Maître fit signe aux gagnants de s'écarter des perdants.

Éloignant le micro de lui, il s'adressa aux joueurs. Je me penchai en avant pour essayer de lire sur les lèvres mais ce fut à peine si j'arrivais à les distinguer. Je me concentrai sur leurs expressions et ce que je voyais n'augurait rien de bon. Le visage de Marie était frappé par la stupeur, Antoine fronçait les sourcils et la jeune funambuliste avait une mine fermée.

Il se passe quelque chose là...

Ma voisine avait elle aussi remarqué que ce n'était pas fini. Un mélange de peur et d'appréhension me tordait les tripes. Qu'avait bien pu réserver le Grand Maître aux gagnants ? L'attente fut de courte durée puisqu'il se tourna vers le public.

Je vous demande à tous de patienter quelques instants. Le spectacle n'est pas encore terminé.

Les projecteurs s'éteignirent et nous fûmes plongés dans le noir. Des bruits de déplacements d'objets résonnèrent dans l'enceinte. De nombreux pas de va-et-vient se firent entendre. Ma voisine me chuchota à l'oreille qu'ils devaient être en train d'installer une plateforme. L'angoisse se fit plus forte. Puis, des cris de détresse me firent sursauter. Les lumières se rallumèrent et je dus cligner des yeux pour me réhabituer à la clarté. Devant nous se dressait maintenant six poteaux de terre s'élevant d'amas de bois et brindilles à leurs pieds.

Ma voisine eut une inspiration étouffée.

Les perdants avaient été attachés aux poteaux. Les larmes coulaient sur les joues des joueurs. Ils se débattaient tous, tirant sur leurs liens pour les défaire mais c'était à peine si les cordes se détendaient. Je tournai les yeux pour regarder mes amis et remarquai immédiatement une table disposée devant eux où brillaient des couteaux aux lames étincelantes. Le Grand Maître s'avança pour s'adresser à la foule.

Les joueurs que vous avez décidé de ne pas sauver vont être exécutés sous vos yeux par, vous l'aurez deviné, immolation par le feu. Je peux vous assurer que cette mort est lente et douloureuse puisque vos condamnés mourront rôtis plutôt que brulés.

Un goût âcre envahit ma bouche pendant qu'un sourire impitoyable étirait les lèvres du Grand Maître. Il pivota sur ses talons pour se tourner vers les gagnants.

Néanmoins, leurs souffrances pourront être abrégées si les joueurs que vous avez sauvés prennent les choses en main.

Il fit un signe de la main pour leur montrer les couteaux sur la table puis, d'un autre mouvement, demanda à un garde d'enflammer les bûchers. L'odeur de bois en train de brûler ne se fit pas attendre et les premières fumées firent leur apparition. Les flammes se propagèrent plus vite d'un train lancé à toute vitesse. Les spectateurs mourraient d'envie d'intervenir pour stopper cette torture mais les gardes les gardaient à distance de la piste en branquant sans vergogne leurs armes.

Je gardais mon attention braquée sur les gagnants. Ils s'étaient rapprochés des couteaux mais aucun ne s'en était saisi. Un mélange d'émotions passaient sur leurs visages pendant qu'ils argumentaient. Les premières toux d'asphyxie leur firent comme un électrochoc. Le cracheur de feu prit un des couteaux, le soupesa avant de se tourner vers les condamnés. Ces derniers luttaient pour avaler des goulées d'air non-saturé par les émanations. Le public commençait à les haranguer pour qu'ils abrègent les souffrances des pauvres perdants.