Chapitre 45

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Des cris s'élevèrent de la foule. Certains, par réflexe, voulurent apporter leur aide en escaladant les différentes rangées de sièges. Les gardes firent rasseoir avec brusquerie ceux qui sortaient de leur place. Les esprits s'échauffèrent. Les gardes, sans manières, se mirent à menacer de leurs armes les différents réfractaires.

Je restai bien calée sur mon siège, ne faisant pas de vagues. L'un des joueurs à côté de moi commençait à s'énerver avec l'un des gardes. Ce dernier ne fit pas dans la dentelle et le repoussa. Le joueur, ne comprenant visiblement pas la situation dans laquelle il était, se releva en plaçant ses poings au niveau du visage, prêt à se battre. Je m'écartai de lui, empiétant sur l'espace vital de ma voisine. Le garde n'était pas né de la dernière pluie et à peine le joueur sur ses appuis, il lui assena un violent coup de crosse dans la mâchoire, l'assommant aussitôt.

Le garde fit signe à un de ses comparses pour évacuer le résistant sous les regards silencieux de tous les joueurs de mon secteur. Je savais d'instinct que ce joueur serait un des prochains condamnés du Grand Maître. Mon regard se porta alors sur les trapézistes tombés au sol. Le sol avait absorbé le bruit de leur chute, néanmoins le spectacle restait macabre. Leurs gémissements de douleur se faisaient faiblement entendre malgré la musique du numéro qui tournait en boucle. La femme, écrasée par l'homme, s'était évanouie peu de temps après la chute, quant à ce dernier, l'une de ses jambes formait un angle peu naturel. Une équipe médicale avait immédiatement été amenée sur les lieux. Je reconnus les cheveux châtains de mon médecin privilégié Hippocrate.

Il dégagea l'homme après avoir pris soin d'immobiliser sa jambe cassée et de vérifier qu'il n'avait pas d'autres traumatismes. Son équipe se précipita ensuite sur la femme qui avait l'air en moins bon état. Les différents médecins tournaient autour d'elle, semblant se préoccuper de sa cage thoracique. Hippocrate passa les doigts le long des côtes. Alarmé, il saisit un appareil afin de la faire respirer et le donna à l'un de ses assistants. Avec l'énergie du désespoir, il croisa ses mains sur la poitrine de la joueuse et massa pour faire repartir le cœur. De longues minutes plus tard, il signifia à son équipe que c'était fini.

La femme venait de succomber à ses blessures.

Hippocrate se leva avec gravité, fit évacuer l'homme blessé sur un brancard et, quand il passa à côté du Grand Maître, lui fit son rapport. La sortie de la femme, sanglée dans un sac mortuaire, se fit sous les regards scrutateurs des spectateurs qui avaient été calmés par les gardes. Le Grand Maître resta silencieux encore quelques instants avant de s'avancer sur la piste pour rejoindre le troisième trapéziste, descendu de son perchoir, et miraculeusement indemne. Il lui glissa quelques mots à l'oreille. Le pauvre homme, choqué par ce qui venait de se passer, tressaillit. Il prit une inspiration tremblante tandis qu'il s'avançait vers nous et que les dernières couleurs de son visage s'évanouissaient.

Puis, il salua.

Un silence troublant lui répondit. Mon cœur se serra en le voyant aussi démuni mais je réprimai la pitié que je ressentais à son égard. Je pensais avant tout à mes amis. Contre toute attente, un des spectateurs se leva et se mit à applaudir. Il fut rejoint par un autre à l'autre bout des gradins, puis un autre et ainsi de suite. Le trapéziste fut ému aux larmes devant la standing ovation. Ma voisine et moi-même échangeâmes un regard consterné par tant de ferveur. Ni elle, ni moi ne nous étions levés. D'un mouvement circulaire, je remarquai que très peu de spectateurs étaient restés assis. Par curiosité, je cherchai des yeux Nina et Alexeï. Lui était resté les fesses vissées à son siège, le visage dur, tandis que Nina criait des hourras. Le trapéziste finit par tourner les talons et par quitter la scène.

La musique du numéro cessa enfin et ce fut au tour du Grand Maître de se placer devant les gradins. A nouveau le micro filaire descendit du plafond pour qu'il puisse s'adresser à nous. Un nouvel air jovial s'inscrivit sur ses traits.

Arlequin et ColombineOnde as histórias ganham vida. Descobre agora