Chapitre 24

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Je me levai en économisant chacun de mes gestes. Mécaniquement. J'étais tel un pantin articulé. Mon cœur battait douloureusement dans ma poitrine mais je lui ordonnai de se calmer. Une nouvelle énergie enfla en moi par vague.

Froide et glaçante.

Je me contentai de fixer la porte-parole. Lisant l'atmosphère que mon mouvement instaura, Alexeï fut le premier à se lever et se placer à côté de moi, tout aussi silencieusement. Sylvain nous rejoignit, aussitôt suivi de quelques autres. Nous étions peu à nous être levés pour les fixer. Mais cela suffit pour mettre mal à l'aise les gardes. Je voyais certains crisper leurs mains sur leurs armes ou se balancer d'un pied sur l'autre. D'autres bombaient le torse, s'opposant à notre défi pacifique.

Les lèvres de Suzie s'incurvèrent vers le bas. Elle n'appréciait définitivement pas le spectacle que nous donnions. Mais nous n'avions rien fait de mal alors elle ne pouvait pas nous infliger le même traitement qu'à l'autre joueur. Je savais qu'elle pourrait inventer n'importe quelle excuse pour nous punir mais j'étais intimement convaincue que le Grand Maître n'autoriserait pas ce genre de représailles. Ce n'était pas une bonne idée de compter là-dessus et pourtant je m'y accrochai de toutes mes forces.

Le silence s'éternisait alors la femme ouvrit la bouche afin d'y mettre fin.

Asseyez-vous.

L'ordre claqua dans l'air. Nous attendîmes de longues secondes avant de nous exécuter. Pour une personne extérieure, nous avions obéi par peur mais tous les concernés, joueurs comme gardes, avaient compris un tout autre message. Si nous nous étions assis, c'était parce que nous le voulions et non pas parce qu'ils nous y avaient contraints. Je dissimulai un rictus derrière une mèche de mes cheveux. Je m'étais faite des alliés. Je continuais à fixer Suzie, le visage d'une neutralité à toute épreuve.

Et une ennemie de plus.

Un garde apporta un téléphone portable à la femme qui écouta. Son visage dissimulé par son masque blanc ne laissait rien transparaître. D'un coup, elle tourna les talons et s'en alla. Je la suivis des yeux jusqu'à sa sortie de l'enceinte. Je pris une grande inspiration tremblante. En sentant l'air entrer dans mes poumons, je compris que j'étais presque restée en apnée tout le long. Du coin des lèvres, Sylvain m'apostropha en chuchotant.

Qu'est-ce qui t'a pris ?!

Et toi alors ?!

Nous étions presque collés l'un à l'autre.

J'ai suivi le mouvement !

Alors que nous allions commencer à nous chamailler, Alexeï plaça sa main entre nos deux visages.

Si nous t'avions laissé debout toute seule, tu serais allée au pilori pour te faire fouetter. Je pense qu'ils ne t'auraient pas tué mais ils t'auraient laissé dans un sale état.

Nous nous regardâmes et j'inclinai la tête en signe de gratitude et de respect. C'était lui qui s'était levé après moi et encouragé les autres à suivre. Il avait raison, j'aurais pu le payer cher. Je me tournai vers eux et leur adressai un remerciement silencieux. Quelques-uns me le rendirent tandis que d'autres semblaient choqués par leur propre réaction. Je haussai les épaules. Je n'avais obligé personne à me suivre.

***

Suzie revint peu de temps après pour nous présenter l'épreuve suivante. Elle s'était changée et débarbouillée le visage. Sa blouse beige et son gilet brun avait été remplacée par une nouvelle blouse blanche et un gilet gris terre. Si la combinaison beige/brun avait eu un côté apaisant, celle du blanc et du gris foncé donnait lieu à une nouvelle interprétation. Plus froide et solennelle.

Arlequin et ColombineWhere stories live. Discover now