Chapitre 26

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L'obscurité. Le noir complet.

Voilà où j'étais.

Je ne sentais pas mon corps.

En avais-je encore un ?

Telle était la question. J'aurais pu sourire. Aurais pu. Ne pouvais pas. Mon esprit était comme englué.

Pourquoi étais-je comme ça ? Que m'était-il arrivé ?

Le début d'une vision germa dans mon esprit.

Mais une douleur stridente me frappa de plein fouet m'arrachant un cri de souffrance.

Je n'arrivais pas à me souvenir. La vision s'effaça aussi vite qu'elle était apparue.

Allez Conscience ! Réveille-toi !

J'avais mal, tellement mal... J'étais à l'agonie. Cela aurait pu être risible, vu que je ne sentais pas mon corps. Aurait pu. Ce n'était pas drôle.

C'était trop et je sombrai dans une inconscience tranquille.

Là, au moins, je n'avais plus mal.

***

Je suivais un garde. Je l'avais reconnu. C'était le bleu. Avec mon bras en écharpe, je ne devais pas représenter une grande menace à leurs yeux puisqu'il était le seul à me raccompagner dans ma cellule.

Prenait-on les nouveaux au sérieux dans cette organisation ?

C'était l'occasion de tester ma théorie. J'accélérai le pas pour qu'il sente ma proche présence dans son dos. Il se crispa et les muscles de sa nuque se figèrent. Il me prêtait bien plus attention qu'auparavant mais il ne discuta pas de ma proximité. Je tentai encore un peu ma chance et me plaçai non pas derrière lui mais à ses côtés.

Petit message subliminal : j'étais son égale.

Il me lança des œillades discrètes, ne sachant trop comment réagir. Je brisai le silence en adoptant directement le tutoiement.

Ça fait longtemps que tu es garde ?

Ne posez pas de question.

Parce que ton visage m'est inconnu.

Il ne répondit pas alors je continuai sur ma lancée.

Moi, ça doit faire plusieurs mois que je suis arrivée. Tu t'appelles comment ? Tu t'es fait des amis ? C'est difficile de se faire des amis par ici, tu ne trouves pas ?

Je continuai ce monologue pendant de longues minutes en l'assaillant de questions en tout genre. En jouant la carte de l'ingénue amicale et de la conversation futile, j'espérai lui faire baisser sa garde. Et effectivement, au fur et à mesure, je le sentais se détendre à mes côtés. Nous nous arrêtâmes devant la porte de la cellule. Il ne l'ouvrit pas immédiatement et je lui jetai un regard interrogateur que j'espérai innocent.

Romain.

Je dissimulais ma réussite du mieux que je le pus. Donner son nom, c'était s'attacher. Même inconsciemment. Le Grand Maître, les porte-paroles, les gardes et même le médecin ne s'adressaient jamais par nos prénoms et uniquement par nos numéros de joueurs. J'avais compris que c'était une façon de nous déshumaniser, de nous traiter comme de la marchandise. Qu'il me donne le sien était déjà une infime victoire. Je plaquai un doux sourire sur mes lèvres.

Estelle.

Puis j'entrai.

***

Arlequin et ColombineWhere stories live. Discover now