Chapitre 15

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Cinq jours. C'était le temps écoulé depuis le retour de Marie. Et toujours aucune amélioration. Elle ne parlait pas et ne réagissait pas. Elle n'avait exprimé aucune émotion, ni colère, ni tristesse. Elle était en état de choc sévère. Antoine se démenait pour obtenir ne serait-ce qu'un simple clignement d'œil qui aurait signifié qu'elle était de nouveau parmi nous. Sans succès. Elle passait ses journées le regard dans le vide et ne bougeait que pour soulager ses instincts primaires.

Le puissant filet d'eau de la douche frappa le sommet de mon crâne et se mit à couler le long de mon corps. Même si l'eau était froide, se doucher seule et autant de fois que je le souhaitais était un luxe que je savourais pleinement. Les douches collectives n'étaient vraiment pas ma tasse de thé. Je baissai la tête pour enlever le reste du savon et mes pensées revinrent m'assaillir de toutes parts. A chaque fois que je regardais Marie et que je ne constatais aucun changement, une boule de peur se formait dans mon ventre et l'émotion me prenait à la gorge. Je ne cessais de me demander ce qu'elle avait vécu pour transformer une personne solaire en l'ombre de ce qu'elle était. J'avais retourné les évènements dans ma tête et je ne voulais pas croire que ce malentendu avec les dés soit la cause de cette histoire. Malheureusement, je ne pouvais pas faire d'autres hypothèses tant que Marie ne se décidait pas à nous raconter ce qu'il s'était passé. Je savais que je ne voulais pas vivre ce qu'elle avait vécu. Même pas pour tout l'or du monde. Je rejoignis Antoine sur son lit tout en essorant mes cheveux. Ils avaient bien poussé depuis que j'étais ici. Il se décala pour éviter de recevoir des gouttes d'eau glacée.

Elle n'a pas bougé depuis ce matin.

Antoine interrompit le cours de mes pensées en se penchant dans ma direction. Je voyais bien que la situation le chagrinait autant qu'à moi. Mine de rien cette situation avait eu un effet surprenant. Antoine et moi évitions de nous prendre la tête et il s'était même installé un semblant de camaraderie. Furtivement, je laissais quelques gouttes d'eau glisser le long de ma main et atterrir sur sa cuisse pour former une œuvre d'art abstrait. Camaraderie ne signifiait pas que je n'avais plus le droit de l'embêter.

On verra si elle réagit quand ils vont nous changer de cellule.

Un masque blanc avait fait irruption dans l'infirmerie le matin même pour nous annoncer que nous déménagions. Nous allions rester ensemble, selon le souhait de Marie. Je croisai les doigts pour qu'elle revienne à elle. Je regardai l'horloge accrochée au mur.

17h43.

Ils n'allaient pas tarder à venir nous chercher. A peine cette réflexion traversa mon esprit qu'ils entrèrent.

Numéro 192, 318 et 1130. Vous connaissez la chanson. On se lève et les mains sur la tête.

Je regardai Marie s'exécuter. Au moins, elle réagissait aux ordres, c'était déjà ça. Antoine s'appuya sur ses cuisses pour se lever. Surpris, il fixa la tâche mouillée sur le tissu de son pantalon, puis il me regarda interloqué. Je lui rendis son regard, mimant la surprise. Il plissa des yeux suspicieux mais je tentai de lui faire croire que je n'y étais pour rien. Ne sachant que penser, il préféra hausser les épaules et passer à autre chose.

Antoine : 6, Estelle : 4.

Les gardes nous placèrent à la file indienne et nous guidèrent jusqu'à notre nouvelle cellule. Ils fermèrent la porte directement après nous avoir fait entrer et s'en allèrent sans un mot. La pièce était moins spacieuse que l'infirmerie et plus sombre. Le néon accroché au plafond diffusait une lumière jaune artificielle. Deux lits superposés se faisaient face et dans le fond se trouvaient les sanitaires à peine dissimulés par un bas muret. Une fenêtre carrée, trop petite pour qu'un être humain passe par là, faisait entrer de l'air extérieur. Antoine se dirigea vers elle et prit une grande inspiration.

Arlequin et ColombineWhere stories live. Discover now