Chapitre 14

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Je fus soulagée, en retournant à l'infirmerie, de revoir Marie et Antoine. Marie m'adressa un sourire chaleureux et même Antoine esquissa une grimace de bienvenue. Ils s'étaient assis par terre pour jouer aux dés. Aux dés ?

Attendez, comment vous avez eu ça ?

Demande à Marie.

Antoine me dit cela d'une voix monotone mais je remarquai qu'il luttait pour ne pas rire. La commissure de ses lèvres le trahissait. Je me tournai vers elle pour qu'elle m'explique et je fus surprise de la voir embarrassée.

Tu te souviens quand j'ai dit qu'il fallait être prudent avec le Grand Maître ?

J'acquiesçais vivement.

Je n'ai pas vraiment suivi mon propre conseil.

J'attendais qu'elle développe en croisant les bras sur ma poitrine. Alors qu'elle hésitait à poursuivre, c'est Antoine qui répondit à sa place, hilare.

Elle lui a dit qu'elle s'ennuyait ici.

Les bras m'en tombèrent.

Hein ? Mais c'est-

Suicidaire ?

Marie se tordait les doigts et baissa les yeux, gênée.

Et qu'est-ce qu'il s'est passé ?

En fait, ça m'a juste échappé. J'ai dit qu'il y avait quand même peu de distractions entre les épreuves. C'était vraiment un commentaire pour moi et moi seule.

Elle leva les mains en l'air dans un mélange d'exaspération et de choc.

Il m'a demandé si c'était mon souhait et je lui ai répondu que non. C'est juste qu'à la fin de notre entretien, les gardes allaient m'emmener et il leur a demandé de patienter. J'ai cru que c'était fini pour moi, je vous jure. Et puis, il est revenu avec cinq dés pour « briser la monotonie de l'attente » a-t-il dit.

Je me retins de rire. Je sentais bien que Marie était mortifiée. Même si cela s'était bien fini, elle avait eu peur. Et il y avait de quoi, le Grand Maître était intimidant. Les gens poussés par une émotion extrême pouvaient être irrationnels, le temps de reprendre leurs esprits. Je m'installai à leurs côtés et la rassurai en passant maladroitement une main dans son dos.

Tout est bien qui finit bien comme on dit. Et maintenant, grâce à la boulette de Marie, on peut s'occuper !

Marie fusilla Antoine des yeux. Il pointa son doigt vers elle tout en riant aux éclats. Marie n'hésita pas une seconde plus et lui sauta dessus. Elle essaya de lui mettre de petites claques alors qu'Antoine continuait à la taquiner. Une émotion que je n'avais pas ressenti depuis des lustres fit son apparition en les regardant se chamailler. Un mélange de colère, de peur et de tristesse. C'était de la jalousie tout simplement. Leur complicité me pinça le cœur.

Même si Marie et moi avions traversé une épreuve en binôme, c'était il y avait plusieurs semaines. De plus, je n'avais pas été de la meilleure des compagnies. Ces deux-là s'étaient connus durant une épreuve commune, et ensuite, ils s'étaient associés sur le dernier jeu. Je ne me voilais pas la face, je n'avais été qu'une pièce rapportée dans cette épreuve. Les liens qu'ils avaient noués dès lors étaient sûrement plus forts que ceux que j'avais avec Marie. Et je ne parlais même pas du lien inexistant entre Antoine et moi.

Marie remarqua ma soudaine morosité et me demanda ce qui me posait problème. Elle avait réussi à immobiliser Antoine avec une clé de bras. Il se dégagea habilement pour reprendre son souffle. Je lui répondis que tout allait pour le mieux, que j'avais juste faim. Je me forçai même à sourire. Marie ne fit aucun autre commentaire. Je les relançai.

Arlequin et ColombineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant