Arlequin et Colombine

Chapitre 30

Ce que vous avancez là peut avoir d'importantes conséquences, en avez-vous conscience ?

Le Grand Maître s'était levé avec autorité. Elle déglutit avec difficulté sous le regard perçant de l'homme. Elle essaya de parler mais, trop intimidée, préféra acquiescer. Il s'avança de quelques pas vers l'équipe des poules avant de lui demander de s'expliquer.

Avec les filles, nous gardions la prison. Un des joueurs de l'équipe des vipères a libéré les prisonniers alors qu'il était lui-même enfermé.

Si tel était le cas, ce serait contraire aux règles. Qui était-ce ?

Son ton n'admettait aucun mensonge. Elle n'avait pas d'autre choix que de dénoncer Francis. Elle hésita un court instant avant de le pointer du doigt. Francis n'attendit pas qu'on le somme de venir. Sylvain et Benoît se levèrent pour lui tendre la main afin de l'aider à se lever. Son visage était serein.

A quelques mètres de lui, les joueurs des équipes adverses le jaugeaient du regard. L'anticipation d'une potentielle sanction à venir faisait briller de jubilation les yeux de certains. Le Grand Maître lui fit signe d'avancer vers lui. Je connaissais ce geste. C'était celui qui ne souffrait d'aucune contestation. Francis obéit, le pas léger. J'échangeais un regard avec Lucille. Qu'allait-il dire pour sa défense ? Serions-nous prises à parti ?

Je n'ai aucunement triché.

Son affirmation trancha dans le silence oppressant et attentif qui s'était installé. Le juge des renards lui demanda de s'expliquer plus longuement. Francis posa une main sur sa poitrine et entreprit de dévoiler notre astuce.

Je me suis avancé vers le camp, gardé par ses dames, en leur expliquant que j'avais été attrapé. Et j'ai profité de leur incrédulité pour libérer mes compagnes de prison et étant libre cela n'a pas été difficile. Elles ne se sont pas assurées de la véracité de mes propos.

Il finit son plaidoyer les mains devant lui, en s'inclinant doucement vers les femmes en bleu.

Je ne suis pas navré d'avoir usé de ce tour de passe-passe pour gagner des points.

Le visage de la femme qui avait prit la parole devint rouge d'embarras. Benoît ne dissimula pas son reniflement moqueur. Le Grand Maître, lui-même, ne cacha pas ses lèvres qui s'incurvèrent légèrement vers le haut. La femme serra les poings de colère.

Comment pouvez-vous être sûrs qu'il ne vous baratine pas ?!

Le Grand Maître se redressa et s'avança rapidement, en deux enjambées, vers elle. Les gardes tout autour se tendirent. Il s'arrêta à quelques pas d'elle. Elle se força à relever la tête pour maintenir le contact visuel avec lui. Contact qu'elle ne tint que quelques secondes avant de baisser les yeux. Il se pencha jusqu'à son oreille. Il n'élèva pas la voix, néanmoins ce qu'il dit résonna dans la pièce où la tension était palpable.

Me croyez-vous stupide au point de ne pas surveiller ce qu'il se passe durant mes jeux ?

Elle n'en menait pas large et jetait des coups d'œil désespérés vers les membres de son équipe qui se détournèrent. Bonjour le travail d'équipe. Il resta encore un moment dans cette position, la mettant de plus en plus mal à l'aise.

Respirez.

Le conseil saugrenu parvint à la déstabiliser encore plus. Il se redressa et demanda d'une voix forte à ce qu'on lui passe les images afin de vérifier les dires de Francis. La femme au masque de velours manipula quelques boutons sur son poste et afficha les images suivant les mouvements de Francis depuis le début de partie. Elle passa le film en accéléré. C'était étrange de se voir sur l'écran géant des poules. Mais surtout, le nombre et la qualité des images m'indiquèrent qu'il devait y avoir une ribambelle de caméras planquées sur le terrain. Dans le calme régnant, nous pûmes tous assister au bluff enfantin de Francis. L'équipe des poules se renfrogna au complet. Je ne pus retenir un reniflement dédaigneux. C'était encore plus pitoyable de les voir se faire avoir en replay.