Arlequin et Colombine

Chapitre 36

Je, quoi ?

Je vous demande pardon ?

Le Grand Maître m'adressa un regard par en dessous qui voulait dire « tu m'as bien entendu, pourquoi je me répéterai ». Je déglutis tout en jetant un coup d'œil rapide à la caméra. Mezzetin nous avait conseillé de rester nous-même mais sans pour autant nous précipiter. Je pris une inspiration et regardais droit dans les yeux d'Arlequin. Je tentai une pirouette.

J'ai déjà gagné des jeux, donc des joueurs qui ont perdu par ma faute sont bel et bien morts.

Cassandre eut un petit sursaut exaspéré mais je concentrai uniquement mon attention sur le Grand Maître. Il lâcha un rire étouffé.

Au temps pour moi. Laisse-moi te préciser la question.

Il posa son menton sur la paume de sa main, m'observant de biais.

Si, dans le plus grand des hasards, durant un jeu, tu devais tuer quelqu'un pour sortir, le ferais-tu ? Ne répond pas tout de suite. Ta réponse pourrait avoir de drôles de conséquences.

Conséquences ? Drôles en plus ? Je serrai les poings sur mes cuisses. Si je répondais par l'affirmative, allait-il m'amener quelqu'un en me donnant l'ordre de l'abattre pour tester la véracité de ma réponse ?

C'est une question difficile...

Les épaules du Grand Maître s'affaissèrent légèrement et il se pencha en arrière sur le dossier de la chaise.

Je chercherais un autre moyen pour m'en sortir mais je pourrais le faire.

Tu pourrais tuer de sang-froid un être humain ?

J'hésitais fortement. Dans mon imagination, je vis défiler une scène me mettant en avant, un couteau à la main, un corps à mes pieds, des yeux vitreux, une plaie béante sanguinolente et les doigts poisseux de sang chaud. Je retins la brûlure de dégoût qui me montait à la gorge. Je sentais que ma réponse avait son importance.

Oui.

Il me fixa encore de longues secondes avant de se repencher au-dessus de la table. J'avais éveillé son intérêt.

Je ferais donc particulièrement attention à ta liste de meurtres à l'avenir. Après tout, je dois déjà la mettre à jour.

Je me crispai involontairement. Comment ça, la mettre à jour ? Il saisit un des dossiers devant lui, l'ouvrit et lu.

Tu as tué un joueur en te battant contre lui.

Qui ?

Je maintins une expression neutre. Je savais que la caméra ne manquerait pas d'enregistrer chacun de mes mouvements. J'essayai de me rappeler contre qui je m'étais battue au cours des dernières épreuves.

Il y avait eu ce gars qui avait voulu me voler mon badge avec la complicité d'Antoine. Je m'attendais à sentir la morsure de la colère envers ce dernier mais rien. Il semblerait que je lui avais définitivement pardonné sa trahison. J'avais assommé l'homme avec une pierre. L'avais-je tué sur le coup ? Je ne m'étais pas arrêtée pour vérifier son état. J'avais affronté Nina également mais, aux dernières nouvelles, elle était bien vivante. Je m'étais battue contre-

Joueuse 166, Zoé.

Un choc électrique me traversa de part en part et j'écarquillai légèrement les yeux. Un sourire en coin, il se mit à me décrire ses dernières respirations jusqu'à son décès dans les moindres détails. Je sentais les couleurs disparaître de mon visage à mesure qu'il parlait. Puis le froid vint envahir mes extrémités, remonta le long de mes membres, gagnant du terrain à chacune de mes inspirations. Ce froid mordant laissait derrière lui des vagues de douleur.