Chapitre 27

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Mon esprit s'était apaisé en même temps que le retour de la vraie personnalité de Marie. Antoine et moi avions écouté son récit sans ciller. Nous avions habilement masqué nos expressions quand elle nous avait annoncé que les joueurs avaient voté pour son exécution. Elle nous avait confié, par la suite, que suite au contrecoup du jeu, elle n'avait plus conscience d'être physiquement présente. Ce qui expliquait son manque de réaction avec nous durant les semaines qui avaient suivi. Un des médecins l'avait accompagné pour qu'elle revienne à elle. Avec brio.

Je l'observais du coin de l'œil en train de discuter avec animation avec Antoine. En quatre jours, elle était redevenue elle-même. Ou presque. Il lui arrivait d'avoir des phases d'absence mais elles étaient de plus en plus courtes et éloignées. Je m'étais fait la réflexion que dans ces moments-là, elle était assez effrayante avec son regard plongé dans le vide. Antoine s'était moqué de moi quand je lui avais fait part de mon ressenti, Marie s'était joint au rire et je m'étais excusée auprès d'elle. Elle m'avait adressé un doux sourire teinté de tristesse. Mine de rien, j'avais dû la blesser.

Le lendemain, notre porte se teinta de vert. L'un de nous avait été sélectionné pour participer à un nouveau jeu. Nous échangeâmes des regards entendus. Cette fois nous avions parié à l'unanimité sur Antoine. Un garde ouvrit la porte et annonça le malchanceux.

Mains croisées sur la tête, exécution.

L'incompréhension était totale. Marie se leva sans gestes brusques et demanda poliment à qui il s'adressait.

Vous trois, 1130, 275 et 318.

Antoine et moi nous levâmes. Le choc marquait nos traits. Nous allions participer au même jeu. Le récit de Marie sur son jeu me revint en mémoire et je priai, à qui voulait m'entendre, que ce ne soit pas un comme celui-là.

***

Nous avions pris le car pour que tous les joueurs soient déplacés. A vue de nez, nous devions être une trentaine. Un des cars était parti sous nos yeux avant que le nôtre mette les voiles. Je me forçai à respirer calmement. Quand nous étions aussi nombreux dans un jeu, il y avait beaucoup de perdants. J'entrevoyais Marie assise à côté de moi dans le car. Son visage était fermé et concentré. Je me penchai légèrement pour jeter un coup d'œil vers Antoine. Il abordait la même expression, à l'exception près qu'il adressait des petits sourires timides aux autres joueurs, essayant de les charmer.

« Regardez comme je suis inoffensif ».

Je me retins de lever les yeux au ciel. A force de se côtoyer, j'avais appris à déceler ses véritables intentions malgré son jeu d'acteur.

Concentration pour ma voisine et opération séduction pour lui.

Je fermai brièvement les yeux pour me focaliser sur ma propre respiration. Je me répétai que j'allais y arriver, quel que soit le jeu. En boucle, comme un mantra. Quand je descendis du bus, j'étais d'un calme olympien. Les gardes nous invitèrent à rejoindre la première quinzaine de personnes. D'un accord tacite, Antoine, Marie et moi nous placèrent loin les uns des autres. Si l'on devinait trop aisément que nous nous connaissions, nous pourrions être pris pour cible. Dans le pire des cas.

Tiens mais c'est ma croqueuse !

Je me figeai. Non pas elle ! Nina s'avança d'une démarche souple et assurée vers moi, un mince sourire narquois sur les lèvres. J'étouffai le gémissement plaintif qui montait dans ma gorge en la voyant. En cet instant, je ressentais des émotions contradictoires. J'étais mi-amusée et mi-méfiante. Mon instinct me hurlait de me méfier d'elle, qu'elle était redoutable si elle s'avérait être une ennemie mais d'un autre côté, elle pourrait être un avantage de poids en tant qu'alliée. Je finis par opter pour un visage neutre quand elle se planta en face de moi. Elle balança sa longue tresse par-dessus son épaule.

Arlequin et ColombineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant