Chapitre 1 : Maxius

Start from the beginning
                                    

Les jumeaux s'inclinèrent légèrement pour le saluer. L'émissaire se tourna vers ensuite vers lui.

— Je vous en prie ! Vous êtes Maxius, c'est ça ? articula-t-il avec exagération. Votre père nous a avertis pour votre ... Euh disons ... Enfin, vous voyez.

Comme c'est étonnant, grinça Maxius. Son père ne manquait jamais de rappeler son infirmité à tout le monde. Bien sûr, ce n'était pas dans un but malveillant. Cependant, Maxius n'avait pas besoin d'être traité comme un enfant sur lequel on aurait estampillé la mention « muet » sur son front. Agacé, il observa froidement l'homme en face de lui accomplir de grands gestes comme s'il s'adressait à une créature unicellulaire.

Dis à cet idiot d'arrêter d'agiter ses mains comme ça, sinon je les lui coupe, dit-il en pensée à sa sœur. Il ne pouvait peut-être plus parler, mais il était parfaitement en mesure d'entendre cet imbécile.

— Qu'essayez-vous de faire ? demanda sèchement Clematys. Il n'est pas sourd, vous savez. Ni idiot.

— Je suis désolé, se morfondit son interlocuteur. Je... Allons au palais de nacre, le seigneur Del Wyn attend votre arrivée avec impatience.

Maxius pinça les lèvres pour s'empêcher de rire. Sa sœur avait un don pour regarder les gens avec un tel mépris. Elle adorait inspirer la crainte et n'en avait rien à faire de ce que l'on pouvait penser d'elle. Il l'admirait pour cela. Bien qu'ils soient des jumeaux, leurs personnalités étaient opposées l'une est de l'autre. Maxius était perçu comme une personne froide, il accomplissait son devoir et l'échec ne faisait pas partie de son vocabulaire. Quant à Clematys, son caractère de feu lui avait valu bien des ennuis. Elle n'hésitait jamais à dire ce qu'elle pensait au grand dam de leur mère. Elle n'avait jamais adhéré à l'étiquette du code de conduite de la cour des vampires. C'était l'une des premières femmes à avoir eu le commandement de plusieurs factions vampiriques grâce à sa persévérance et son talent de meneuse d'hommes. Elle était respectée de tous.

Le dignitaire les fit monter dans une somptueuse limousine blanche et se remit à parler sans relâche. Maxius constata que sa sœur faisait de son mieux pour ne pas lui administrer un coup de tête pour le faire cesser de jacasser. Il détourna son attention pour regarder par la fenêtre, captivé par la neige commençant à se déposer sur les toits des bâtiments à l'architecture complexe, mêlant des colonnades et des statues. Les façades étaient propres, lisses. Trop lisses. Rien à voir avec Rörk. Il vit des enfants, des mortels, engager une bataille de boules de neige et pouvait entendre leurs rires emplis de joie et d'insouciance. Alors qu'il recommençait à écouter le discours ennuyeux de son hôte, un cri lointain lui parvint. Il regarda le dignitaire en posant son doigt sur sa bouche pour lui imposer le silence.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Clematys

Des cris d'enfants, expliqua Maxius. Dis-leur de se garer, je vais aller voir. Ce n'est peut-être rien. Reste donc avec « monsieur le moulin à paroles ».

Pourtant, ce hurlement n'avait rien de joyeux. Il avait pu ressentir à travers celui-ci la terreur d'une potentielle victime.

— Arrêtez-vous, ordonna Clematys. Mon frère doit aller vérifier quelque chose.

— Mais ... Seigneur Volkov, vous ne pensez pas à sortir du véhicule ? Je peux envoyer mes hommes, ne vous mettez pas inutilement en danger, protesta l'émissaire.

En guise de réponse, Maxius lui jeta un regard en biais, puis sortit du véhicule. Un autre cri le fit se hâter dans sa direction. Au détour d'une ruelle, il retrouva l'un des enfants aperçus quelques minutes plus tôt. Le malheureux se débattait dans les bras d'un individu. Lorsque son regard se tourna vers lui, Maxius comprit qu'il avait affaire à un Transformé : un ancien mortel, mordu par un vampire, et ayant subi une mutation. Et vu l'expression folle dans ses yeux rouges vifs et la salive coulant de sa bouche, il possédait une puissance phénoménale au vu de sa récente transformation.

Merde.

Maxius n'avait pas d'arme sur lui, un corps à corps allait être inévitable.

Mais alors qu'il comptait secourir l'enfant, un tourbillon blanc surgi du ciel et fondit sur le Transformé. Surpris, la créature lâcha sa petite victime qui alla se terrer dans un recoin de la voie sans issue. Une voix féminine ordonna à l'enfant de se cacher les yeux. Puis, elle se tourna vers le Transformé et ils s'engagèrent dans un combat. La mystérieuse sauveuse le maîtrisa rapidement grâce à une technique de combat efficace.

Maxius resta bouche-bée en regardant l'agresseur se faire décapiter sous ses yeux. Son corps sans vie s'effondra, puis se dispersa en cendres. Après sa funeste besogne, l'inconnue se tourna vers lui. Elle était plutôt petite, engloutie dans sa longue cape en fourrure blanche tâchée de sang. Maxius ne pouvait pas en voir davantage car son visage se cachait derrière un masque argenté.

Une mortelle ?

Le pouls qu'il percevait sembler confirmer sa supposition.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle. Si vous êtes venu pour chasser illégalement sur ce territoire, sachez que vous n'êtes pas au bon endroit !

Maxius la toisa, autant amusé qu'intrigué qu'on lui parle ainsi. Il ne pouvait déceler aucune expression de son visage et son ton hostile n'indiquait rien de particulier. Elle ne devait avoir aucune idée de son identité. Voyant qu'elle n'obtiendrait aucune réponse, la jeune femme maugréa en rengainant sa courte épée.

— Parlez-vous le langage commun au moins ?

Maxius hocha la tête.

— Venez-vous des Terres Sauvages ?

Cette fois-ci, il la secoua.

— Très bien, soupira-t-elle. Alors ne restez pas ici et allez-vous-en. Les rues ne sont pas sûres en ce moment, des Transformés affluent de plus en plus dans le coin.

Cela expliquait pourquoi l'émissaire avait semblé peu enclin à arrêter sa course. Nouveau silence. Maxius s'approcha d'elle avec l'intention de lui indiquer qu'elle ne courait aucun danger avec lui. Malheureusement, sa main fut durement repoussée par la tueuse en cape. Elle dégaina aussitôt une dague.

— N'approchez pas ! cria-t-elle en reculant. De quel droit vous permettez-vous de me toucher ?

Maxius laissa retomber son bras. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti la frustration de ne pas pouvoir dire à voix haute ce qu'il pensait. Comment mimer « je ne suis pas dangereux » ? C'était comme s'il parlait une autre langue. Une autre langue que lui-seul comprenait, exception faite de Clematys.

Je ne te ferai pas de mal. Je ne suis pas un monstre. Ces deux phrases jaillirent dans son esprit, le ramenant à l'époque où les autres jeunes vampires le rejetaient à cause de sa différence. Le vampire muet dont on ne pouvait sonder l'esprit. Qui n'avait pas pu guérir de sa blessure. Qui aurait dû mourir dans cette forêt, lui aussi. Il soupira, avant de faire demi-tour. Il n'allait pas se fatiguer à expliquer tout cela à une inconnue. Alors qu'il repartait tranquillement de la ruelle, il entendit cette dernière lui dire :

— Je n'ai pas dit que vous étiez un monstre. Ne touchez pas les gens que vous ne connaissez pas, c'est tout.

Le temps se figea autour de Maxius. Il se retourna vivement, les yeux hagards, mais la femme avait déjà disparu. Elle m'a entendu. Où-es-tu ? appela-t-il. Reviens ! Il grimpa à la hâte la façade d'une vieille bâtisse en pierre pour la retrouver. Il se rua comme un fou sur les toits, dans l'espoir de l'apercevoir au loin. Néanmoins, il constata qu'elle s'était littéralement volatilisée. Maxius pesta, il ne retrouverait pas sa trace de sitôt dans cette tempête de neige. Déçu et contrarié, il redescendit dans l'impasse.

Quelles étaient les chances de tomber sur une autre personne capable de l'entendre comme Clematys ?

Un objet attira son attention, brillant dans la neige. Il ramassa un bijou, une boucle d'oreille en nacre, à première vue de bonne facture, simple et élégante. Il la rangea dans la poche de sa longue veste en velours, réajusta le col jusqu'à son menton et repartit de la ruelle, perdu dans ses pensées.

Quelqu'un l'avait entendu. Il avait vécu plus de deux cents ans dans sa propre tête, parcouru les mondes et les contrées d'Orpyr, sans trouver une personne en mesure de discuter avec lui. D'entendre la voix qu'il avait perdue, une nuit d'hiver comme celle-ci.

Et ce quelqu'un avait disparu avant qu'il ne puisse connaître son prénom.

De nacre et d'acierWhere stories live. Discover now