Chapitre 10

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PDV de Bakhta Fellah

Parmi tous les marchés d'Oran, celui de la Bastille restait le plus populaire du royaume. Il y avait plein d'odeurs différentes. Je voyais des étalages aux mille et une couleur. J'entendais de la musique karkabou, un orchestre de musique de rue. Quelques marchands improvisaient des phrases, avec leur chant mélodieux, pour vendre facilement leurs produits. Ma mère voyait des poivrons tous frais. Elle demanda au marchand, cette question si populaire, dans les marchés algériens :

---- Chāl felfel ? (Combien coûte le poivron ? )

---- 140 dinars, le kilo.

140 dinars équivalent à 1 euro. Sans hésiter, ma mère répondit au vieil homme :

---- Atteneh wahed kilo. (Donnez moi un kilo)

---- Tout de suite, hadja.

Le marchand exécuta la demande de ma mère. Il mit les légumes dans une petit bassine, en plastique. Puis, il les pesa sur la balance qui tombe sur un kilo, pile. Ensuite, il donna le sachet, de poivrons rouges, à ma mère. Cette dernière paya avec sa monnaie. Après, on repartit pour acheter d'autre légumes.

Soudain, ma mère s'arrêtait, près d'un vendeur ambulant. Sur son étalage, du neh neh (menthe), tout vert, était installé sur la table, enrobée dans du papier journal :

---- Chāl neh neh ? (Combien coûte la menthe ?)

---- 703 dinars, répond le vieil homme.

Ce prix donnait 5 euros. Pour ma mère, ça restait trop chère. Poliment, elle lui déclara :

---- Ma'asalama, hadj. (Au revoir, monsieur)

---- Au revoir, madame.

Elle paia de la menthe moins chère que celui du vieil homme, dans un autre coin du marché. Nous faisions demi-tour. On passait devant un groupe de jeunes hommes qui commençaient à nous regarder, à nous siffler. Plutôt, à me complimenter. C'est la manière des hommes algériens de courtiser de simples passantes. Que des pigeons !!!!

Disons, aussi, que j'étais magnifique dans ma tenue : je portais un pull ultra branché avec un pantalon italien, motifs vercace bleus. J'ai conscience que je peux faire tomber les cœurs, des hommes, en pâmoison. Ma mère leur hurla, à la figure, cette insulte :

---- Tfou 3alikoum, hmars !!!! (Je vous crache, les ânes). Ma fille n'est plus un cœur à prendre. Elle va se marier. Allez siffler d'autres tourterelles ailleurs.

L'hachouma (La honte ! ). Les hommes-pigeons cherchaient un autre coin pour draguer de nouvelles femmes. Flirter une fille de bonne famille, devant une daronne, reste une erreur effroyable.

On passait devant une vieille dame, une SDF qui demandait de l'argent. Ma mère la regardait, hautainement, avec hypocrisie. Je m'arrêtais pour faire un sadaka (don). Je lui donnais 300 dinars (2,20 euros), de mon sac. C'est important d'aider les plus démunis, les pauvres gens qui n'ont pas la chance d'avoir un toit et de la nourriture. Les ignorer, c'est tourner le dos, à la vie. C'est haram (interdit). Il ne faut pas commettre de péchés, de fraudes. Je fais l'aumône, non pas pour moi, mais pour les autres et pour Dieu. C'est un des cinq piliers les plus important dans ma croyance. Et c'est trois fois plus important qu'un simple voyage spirituel.

Pourquoi on dit souvent que l'hospitalité, en Algérie, est si légendaire ? Grâce à l'aumône et notre savoir-faire. Nous sommes très généreux. Comme toutes les communautés, ça dépend des personnes et du caractère. Je me suis promise que, redwa (demain), je deviendrai une grande femme d'affaires. Je ferai en mon pouvoir pour protéger les plus faibles. Je souhaiterais que le pays s'améliore, de jour en jour.

Ma mère me cria à l'autre bout de la rue, du marché. Elle est pire qu'un corbeau :

---- Heya benti (Allez ma petite), ne perdons pas de temps !!!

Je la rattrapais en courant, tenant à ma main, le cabas où, il y avait tous les courses. Que c'est lourd !!! Ma daronne continua ses emplettes. Nous passons devant l’étalage des épices. Essoufflée, je questionnais ma mère :

---- Pourquoi es-tu si pressée ?

---- Dans une heure. À midi, nous avons un rendez-vous, très important, avec son altesse royal.

Ha ! Le cheikh, mon nouvel ami !!! Il n'y a pas de mots pour décrire ce bel homme. Il est si serviable et tellement généreux. C'est le seul algérien qui peut me sauver de la panade, avec cette histoire de mariage forcé. Ça promet d'être intéressant cette nouvelle rencontre. Ma mère continua de m'expliquer le concept de son nouveau rendez-vous avec sa majesté royal :

---- Il nous a donné rendez-vous, à Disco Maghreb. C'est un magasin de disques qui se trouve dans quelle avenue ?

---- À la rue Djaoudi Abdelrrahmane, près de la cathédrale de Wahran. Ce n'est pas très loin d'ici.

---- Tu es sûre que c'est là-bas ?

---- Bien sûr. Je peux t'y conduire.

---- On va demander, plutôt, à un local. Je n'ai pas confiance en toi, Bakhta. Wahran est une très grande ville. C'est tout nouveau pour nous. Je n'ai pas envie qu'on se perde dans les rues. Un vrai labyrinthe !!!!

Je boudais, un petit peu. Comme d'habitude, personne, dans la famille, ait confiance en moi. Je connais tout du royaume. J'ai tout visité que ce soit grâce à la marche et les livres. J'en ai marre !!!! Elle ne changera, jamais. Qu'elle continue à prôner sa mentalité !!! Un jour ou l'autre, sa méchanceté se retournera contre elle.

Ma daronne paia au marchand pour acheter sa collection d'épices : skenjbir (gingembre), kurkuma (safran), kemoun (cumin), ras el henout, piment doux, felfel lkhel (poivre noir)... Puis, nous regardons d'un petit garçon, âgé de onze ans, qui vendait des petites boîtes d'alumettes, en pleine rue, devant les étalages de fruits. Ça me rappelait un conte de fée danois, La Petite Fille Aux Allumettes, de Hans Christian Andersen. C'est fou ce que les livres reflètent la vie. Ma mère communicait avec ce petit ange :

---- Selem Aleïkoum, wouldi (mon garçon). Tu connais le magasin de Disco Maghreb ? Tu peux nous y conduire ?

---- Oui. Mais pour vous emmener jusqu'à là-bas, il y a un prix. 700 dinars, explique le petit.

---- Tu marchandes avec moi, wouldi ? Grogna ma mère, de sa voix violente.

---- À la Bastille de Wahran, un service, avec un pauvre marchand, se négocie, en monnaie. C'est la loi, de son altesse. Sinon pas d'escale.

---- Très bien. Bakhta, ma fille, paie le.

Je paie, à l'enfant, le prix demandé. Il nous conduisait, de ce pas, au magasin de disques, Disco Maghreb. Arrivées au lieu du rendez-vous, je vis, à l'intérieur de la boutique, le roi qui discutait avec Boualem. C'est un vrai plaisir de revoir ces sourires ainsi que ce lieu si mythique.

Musique du chapitre 10 : Djmawi Africa (Djam Zdeldel) - Hchich et pois chiche (impro)

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Bakhta ou la muse de Wahran Où les histoires vivent. Découvrez maintenant