Le soleil se couchait lentement sur la forêt Versyl et les invités, bien au chaud à l'Académie, se dirigeaient progressivement vers la cour. L'heure du bal était finalement arrivée.
Les élèves avaient été autorisés à troquer leur uniforme, bien trop strict, en des vêtements plus confortables et plus valorisants. La plupart d'entre eux arboraient ainsi des vêtements luxueux, robes ou costumes, offerts par leurs riches parents à l'occasion de cette cérémonie.
Seuls certains élèves gardaient leur uniforme, soit par faute de moyens suffisants comme pour Isaak, soit par volonté de ne pas se faire remarquer comme pour Ethan.
Eirin se dirigeait vers la grande salle, elle avait échangé son uniforme contre une longue robe à bustier. Le haut sans manche entourait gracieusement sa poitrine en dénudant ses épaules. Elle avait froid, mais peu importe, seule comptait l'image. Sa robe était d'un blanc éclatant et se voyait coudre sur son corset et sur la hauteur de sa traîne en brosse des roses d'un bleu profond.
Alors qu'elle se rapprochait des grandes portes, elle retrouva son père en grande discussion avec le seigneur Lyrayem :
— ... je suis persuadé que nous pourrons revenir sur cette décision, surtout si c'est pour rouvrir la conversation avec Naka. Cependant, il ne s'agit pas là d'une mince affaire, vous savez comme moi que votre frère ...
À l'entente des pas de sa fille, il se coupa rapidement et se retourna.
— Mais nous pourrons reprendre cette conversation plus tard. Après tout, je suis ici pour accompagner ma fille et la féliciter pour son titre. Elle pourra bientôt enfin rejoindre notre famille officiellement.
Eirin avait rarement vu son père dans un état aussi chaleureux. Depuis le début de la cérémonie, c'était comme si la personne qui se présentait comme son père n'avait plus rien à voir avec le sombre personnage qu'elle avait connu. Apparemment, il était facile de porter un masque même en dehors des frontières d'Hatraria.
— Il semblerait que votre éducation ait porté ses fruits, je vous en félicite Monseigneur Freymïr, sourit Mathieu Lyrayem, sur ce, je dois vous laisser et rejoindre la salle du bal.
— Je vous souhaite une charmante soirée seigneur Lyrayem, sourit en retour Elder.
Ce dernier s'éloigna d'un pas rapide. Alors qu'Eirin allait le suivre, son père lui attrapa le bras.
— Je suis heureux que tu aies porté la robe que je t'ai fait envoyer, il semblerait que tu aies changé d'avis depuis la cérémonie où tu as refusé de porter ta lance et de faire honneur une nouvelle fois à ta famille et à tes dieux.
— Je n'ai pas souhaité porter cette lance afin de refuser de jouer passivement le rôle de symbole ambulant.
Son père augmenta la pression sur son bras.
— C'est pourtant justement le rôle que tu dois jouer. Rappelle toi, je te laisse faire l'héroïne pour encore une mission et en retour, tu rentres et acceptes sans rechigner de rejoindre ta famille. Je pensais qu'en donnant mon accord pour que tu t'éloignes de Frey, mais en te mettant dans une école d'élite cela te permettrait de rester dans un certain cadre, et même de faire des connaissances influentes, mais, il rit doucement, un bâtard et une pauvresse ?
— Je vous l'ai déjà dit, ce n'est pas moi qui ai choisi les groupes !
— Eh bien à présent que ce groupe est destitué, j'ose espérer que ces relations "imposées" sont terminées. Tu ne voudrais pas jeter encore plus de déshonneur sur ton nom ? Dois-je te rappeler nos fondements ?
Eirin baissa les yeux et dit d'une voix basse :
— Non c'est inutile, j'ai compris. Puis-je me joindre au bal ?
Sur ces mots son père lui lâcha le bras et émit un grognement d'approbation permettant à sa fille de le quitter.
Sur cette acquisition silencieuse, Eirin fit dos à son père et se dirigea lentement vers la salle. Elle passa sa main sur l'endroit où son géniteur l'avait attrapé et chuchota quelques mots lui permettant de dissimuler les marques de doigts enfoncés dans sa chair. Elle souffla et accéléra le pas ne laissant à son père la possibilité que de voir son dos dénudé ou sur l'un de ses omoplates apparaissait la marque de la famille qui était tracé par ce qui semblait être une lame. Cette marque-là, elle le savait, elle ne pourrait jamais l'effacer.
En entrant dans la grande salle, elle remarqua que celle-ci avait une nouvelle fois était modifiée. De larges draps d'un blanc immaculé avaient remplacé les symboles de chaque maison et les bancs avaient été déplacés afin de laisser de la place à ceux qui souhaiteraient danser. Un orchestre se trouvait sur l'estrade précédemment utilisée pour le discours de maître Garth et jouait diverses musiques.
— Eh bien dis donc, c'est ce qu'il s'appelle s'habiller en circonstance.
Kristoff s'approchait d'elle et lui souriait.
— Je n'ai pas vraiment eu le choix de mes vêtements. Crois-moi si j'avais pu, j'aurais choisi ma tenue habituelle, bien plus pratique en cas de combat.
Kristoff lui sourit et lui répondit :
— Parce que tu crois ne pas être en plein combat actuellement ?
Eirin baissa les yeux.
— Toujours aussi perspicace à ce que je vois.
— Je te laisse profiter du bal dans ce cas. Je ne souhaite pas t'embêter d'avantage.
— Ne t'inquiète pas, tu es loin d'être la personne la plus embêtante de la soirée.
Sentant la fin de la conversation et sachant que la discussion n'avait jamais vraiment été le fort de Kristoff, excepté lorsqu'il avait face à lui un pichet plein d'alcool, elle le salua et s'éloigna pour tomber sur ... Ethan.
Mince, se dit-elle intérieurement.
Ce dernier lui sourit et s'approcha d'elle.
— Eirin ! Alors comment se passe ce début de soirée ?
Eirin regarda autour d'elle, mais ne vit pas son père.
— Bien et toi ?
— Ça va ? Tu as l'air stressé.
— Ne t'inquiète pas, c'est le fait de voir mes parents ...
— Ah ! Comme je te comprends ... Personnellement, je suis encore étonné que ma très chère et affectueuse belle-mère n'ait pas encore tenté de m'empoisonner, il jeta un œil à son verre, du moins pour l'instant.
Eirin sourit silencieusement, ce qui permit à Ethan de poursuivre :
— D'ailleurs, la tienne à vraiment l'air formidable.
— Comment ça ?
— J'ai entendu malgré moi ses félicitations concernant le fait que tu te sois fait de nouveaux amis.
— Ah ... oui ma mère est vraiment la gentillesse incarnée.
— Dans tous les cas, ... j'espère faire partie de ces nouveaux amis.
Eirin, qui n'écoutait pas vraiment jusque-là ce que disait Ethan, trop occupée à surveiller ses parents et à chercher Joshua du regard, fut brutalement ramenée à la réalité par ce que venait de dire Ethan.
— Ah, vraiment ?
— Et bien oui, on a eu beau échouer à la troisième épreuve, je me suis bien amusé !
— Ah et bien, merci, c'est vraiment ... gentil de ta part.
Le jeune homme haussa d'un sourcil face à la réponse de sa camarade.
— Tu sais Eirin, j'arrive facilement à reconnaître quand on ne m'écoute pas, j'y suis même largement habitué chez moi.
Il essaya alors de suivre le regard de la jeune fille et finit par comprendre ce qui était plus important qu'une discussion avec lui.
— Joshua ne s'est pas présenté depuis la fin de la cérémonie. Il doit être encore en train de se faire beau dans les dortoirs.
Voyant qu'Eirin n'avait même pas réagi à sa blague, il soupira.
— À moins que ... tu ne veux pas que ta famille te vois discuter avec moi ... ?
— Quoi ? Non ce n'est pas ...
— Si, je vois bien que c'est ça. Tu as le même regard apeurée que la plupart des gens que j'ai connu. Un regard transpirant d'une peur d'être pris sur le fait de discuter avec un bâtard. J'aurais dû m'en douter ... au final tu es la grande descendante des Freymïr. Quelle honte de parler avec un gars comme moi.
— Mais non ce n'est pas ça. Écoute, c'est un petit peu plus compliqué ...
Ethan haussa le ton :
— Et en quoi ? Qu'est-ce qui fait que tu ne puisses plus me parler ou être en ma présence depuis que tes parents sont là ?
— Ethan, je te promets de t'expliquer.
— Non c'est bon. J'ai compris tout seul. Je ne savais pas que te dire ma situation te ferais changer à ce point de comportement. Je dois te laisser et retrouver mes amis, passe une bonne soirée.
Sur ces mots, Ethan s'éloigna laissant seule Eirin. Alors que cette dernière aurait dû être soulagée de le voir s'éloigner, la mettant ainsi en sécurité vis-à-vis de son père, elle se sentie en réalité très mal. Pour être franche, elle ne s'était que rarement sentie aussi mal. Même lorsqu'elle fut blessée par Cordell la "douleur" fut toute autre. Une douleur à laquelle elle n'était pas habituée.
Au moins, le problème s'était réglé de lui-même, finit-elle par se dire. Elle se décida finalement à rejoindre d'autres invités. Si être mal accompagné était mal vu à la cours et par son père, le fait d'être seule également.
***
Cela devait faire deux bonnes heures que la jeune orpheline était venu se cacher dans cette étable. Alors qu'elle broyait du noir, la tête cachée dans ses bras, quelque chose lui toucha la tête la faisant sursauter. Elle s'aperçut rapidement qu'il s'agissait de l'un des moutons qui avait pris ses cheveux pour de la paille.
Elle poussa d'un geste vif l'animal tout en grognant. Visiblement, elle n'était désormais plus tranquille ici. Elle se releva en reniflant ce qui lui restait de larmes et en frottant son pantalon pour faire disparaître un maximum de pailles et de poussières. Puis, sans grande conviction, elle sortit de l'étable sans but précis.
C'est alors qu'une voix l'interpella et elle reconnut une silhouette blonde s'avancer vers elle. L'orpheline poussa un juron avant de se retourner et d'essuyer avec l'aide de sa manche les dernières larmes qui coulaient sur sa joue.
— Te voilà enfin ! L'interpella Kevin, Je n'arrête pas de te chercher depuis tout à l'heure.
— Qu'est-ce que tu m'veux ?
— À ton avis ? C'est l'heure du bal !
— S'ils cherchent des gens pour distribuer les boissons, tu peux leur dire d'aller se faire foutre.
— N'importe quoi, je te signale que tu fais aussi partie de l'Aca ...
— Au cas où tu n'étais pas au courant on m'a refusé le diplôme ! Il faudrait qu'en plus, j'y retourne pour qu'on se foute encore de moi ?!
— En même temps, si tu n'avais pas passé deux heures avec le bétail, personne ne viendrait se moquer de ton odeur.
— Va te faire foutre.
— Hé ! Ce n'est pas sur moi que tu dois évacuer ta colère.
— Ma colère ?! Il m'a carrément humiliée devant tout le monde. Devant tous ces putains de nobles, qui ont ri en retour ! Il avait très bien préparé son coup, c'est pour ça qu'il m'a dit de venir !
— Ne raconte pas n'importe quoi ! Maître Garth ne pensait sûrement pas à ...
— Mais bien sûr ! J'avais oublié ! "Maître Garth" est si sage ! Dans ce cas, retourne avec les autres nobles boire de sa sagesse et fous moi la paix !
— JUSTEMENT ! cria Kevin, qui se surprit lui-même d'avoir autant haussé le ton.
Ils étaient là, tous les deux dans une étable. Les moutons s'étaient éloignés d'eux, effrayés par l'animation de leur discussion excepté un courageux, ou plus bête que les autres, qui restait persuadé d'avoir trouvé une touffe d'herbe extraordinairement savoureuse parmi les cheveux de Shauna.
— Justement, reprit Kevin plus calmement, tu t'es fait humilier, tout le monde ne parle que de toi et en de mauvais termes inutile de te le cacher. Alors justement ! Montre leur qu'ils ont tort ! Tu sais très bien qu'avec eux, tu ne peux que perdre à leur jeu. Je suis même étonné que tu ne te sois pas mieux préparée mentalement à cette possibilité et que tu sois partie te réfugier.
Il regarda autour de lui et reprit :
— Ça ne pouvait et ça ne pourra que mal se passer du moment que tu joueras avec leurs règles. Montre leur que tu ne rentres pas dans leur jeu et tu les auras à ton tour humiliés.
Kevin expira bruyamment et joua silencieusement avec ses pieds dans le foin pour reprendre doucement :
— Sérieusement, ce n'est pas que ça m'ennuie, mais m'occuper de toi n'est pas de tout repos, tu dois bien l'avouer. Ça fait un sacré bout de temps que je te cherche, je crois quand même que je mérité un petit effort de ta part, tu ne penses pas ?
La jeune apprentie qui s'était réfugiée dans un profond mutisme lorsque son ami avait haussé le ton, releva ses yeux rougis par les larmes vers lui. Elle finit par lâcher :
— De toute façon, comme tu l'as dit, je ne suis plus présentable ... pas plus que ce stupide bétail.
Elle entendit alors Kevin soupirer.
— Va aller te débarbouiller dans la salle d'eau, puis va aux dortoirs. Je vais aller chercher Lyze, je suis sûr qu'elle aura une tenue à te prêter. Vous faites la même taille.
Puis, sans rien ajouter, Kevin repartit en direction de la grande salle.