Kim Taehyung
Le repas se finit à merveille. Tous les membres de la famille ont été gentils, même parfois trop prévenants. Ils m'ont répété maintes fois que j'étais le bienvenu. Tolérants et serviables. J'ai d'ailleurs vite appris leurs prénoms pour ne pas leur manquer de respect. Il y a donc Chonay, le chef dur clan et père de Yoongi. Namjoon, le cousin aux cheveux décolorés et aux grandes fossettes. Jimin, l'autre cousin aux cheveux rouges et peu bavard. Les grands-parents, « papi » et « mamie » pour moi, adorables. Les deux grands frères, l'un ressemblant comme deux gouttes d'eau à Yoongi : Jongyu, et l'autre portant les yeux clairs du père : Eumae.
Leur attitude envers moi m'a quelque peu déboussolé, ils sont très familiers et m'ont même appelé « frérot ». Yoongi avait l'air d'ailleurs énervé. Je pense que quelque chose m'échappe. M'enfin...
Une fois le dîner fini, Yoongi m'a proposé d'aller nous balader et c'est avec joie que j'ai accepté.
Nous foulons donc à présent les graviers d'un chemin près de la rivière, de l'autre côté de la ville. L'air frais du soir mord mon visage et hérisse mes poils. L'eau translucide reflète ma silhouette comme un mirage flou et effacé. Seulement, je ne suis plus seul. Ce monde illusoire dans lequel j'étais enfermé pendant des années est enfin partagé. Pour la première fois, quelqu'un pénètre dans mes mensonges, ma rancoeur et mes regrets. Quelqu'un essaie réellement de me connaître, d'effleurer les secrets de mes pensées.
En ce moment, les mots ne sont pas propices. Le parfum et la silhouette de Yoongi sont les seuls à me porter compagnie. Mes prunelles se perdent sur son dos, droit et légèrement contracté. Sa carrure se détache sur le ciel étoilé. Nous sommes perdus dans l'infini. Cette infinité apaisante dont Yoongi est la clé.
Nous marchons de bonnes minutes, jusqu'à ce que Yoongi prenne à droite. Un grand pont nous observe. Nos pas s'engagent sur la passerelle et résonnent entre les parois d'acier. Nous nous arrêtons au centre, son corps prend appui à la rambarde, son regard s'aventure sur l'horizon coloré par les lumières du soir.
« Tae ... Pourquoi ne pas m'en avoir parlé ? »
Sa voix profonde fend le silence de la nuit et s'aimante dans ma mémoire.
« J'avais peur. » Dis-je à mi-voix.
« Peur de quoi ? »
Ses yeux se posent sur moi tandis que les miens s'effacent dans l'eau trouble de la rivière.
« Peur de te perdre. » Soufflé-je, le vent emporte mes mots avec lui comme un secret longtemps inavoué.
Il ne répond rien, m'examine, me jauge pendant des secondes millénaires. Je déglutis, essaie de garder ma façade lorsqu'il me pose une question des plus inattendues.
« Ton collier, il s'enlève ? » Me demande-t-il avec calme.
« Oui si ce n'est pas moi, on peut l'enlever ... Pourquoi ? » Mes yeux fixent toujours la terre.
Tout sujet lié à mon démon m'embarrasse. Il se tourne vers moi, la caresse de ses iris sur ma peau est bien plus puissante que celle du vent. Il s'approche, son odeur envahit mes sens, me possède. Chaque parcelle de ma peau brûle d'envie de le toucher, de le sentir tout près. Sa silhouette se détache ainsi dans la pénombre et engloutit les étoiles du ciel pour devenir celle qui éclaire mes ténèbres.
« Tu me permets d'enlever ton collier ? » Me demande-t-il d'une voix imperceptible.
Sa question reste en suspens dans mon esprit. Je me rends compte de l'ampleur de sa requête en quelques secondes et la rejette. Mon refus est implacable.
« Non, et puis quoi encore ! »
Les mains de Yoongi empoignent mes épaules, ses prunelles sombres plongent dans les miennes et apaisent mon tourbillon de pensées.
« Il n'y a que nous deux ici et je sais que tu ne me feras pas de mal. »
Il insiste. Non, je ne peux pas.
« Non, tu ne comprends pas ! Si tu enlèves mon collier, le Taehyung que tu auras en face de toi... ce sera toujours moi mais... je vais beaucoup moins me restreindre ! Ma force sera décuplée par dix au moins... j'en sais rien ! Mais s'il te plaît, ne fais pas ça ! » L'imploré-je, le souffle court.
Yoongi m'observe, les sourcils froncés. Il détaille ma position défensive, mon regard inquiet, et essaie de me détendre par les petites pressions qu'il exerce sur mes épaules. Seulement, ce qu'il me demande n'est que pure folie.
« Alors quoi tu vas rester toute ta vie enchaîné ? »
« Oui c'est pour le bien des autres... » Murmuré-je, incertain.
Il fait un pas en avant, de plus en plus agacé par ma résignation.
« Et ton bien-être à toi ? »
« Ce n'est pas important, que je m'y fasse ou pas, ça ne changera pas le fait que je dois canaliser mon pouvoir pour le bien de la société ... » Réponds-je une dernière fois.
Un air contrarié durcit ses traits, sa poigne sur mes épaules se resserre et ses mots se fracassent dans ma tête. Il m'oblige à les entendre, à les accepter comme une vérité longtemps évitée.
« Alors quoi Taehyung !? Tu veux vivre dans le mensonge toute ta vie ? Restreindre qui tu es pour des personnes qui n'en n'ont rien à secouer de toi ? » Ses questions rhétoriques heurtent mon âme, la déchirent d'un ancien espoir éteint. « Écoute-moi bien, moi, je me préoccupe de toi et je veux connaître celui que tu es vraiment. Connaître tes bons côtés est une chose mais ce n'est qu'une façade. Moi, je veux pouvoir aimer autant tes bons que tes mauvais côtés. Je veux t'aimer pour tout ce que tu es. »
Mes yeux s'agrandissent. Ce mot, aimer, est si doux. Il se répète dans ma tête comme un chant agréable. Je mords l'intérieur de la joue pour être certain de ne pas être en train de rêver. La douleur que je ressens m'affirme la sincérité de ses paroles. Je ne sais que faire.
« M'aimer pour tout ce que je suis ? »
« Oui... » Susurre-t-il au bord de mes lèvres.
Son nez frôle le mien. Je ferme les yeux par réflexe. Son souffle caresse mes lèvres qui s'entrouvrent légèrement, ses mains remontent jusqu'à mon cou et passent sous mon collier froid. Elles laissent une trainée de frissons derrière elles et défont ainsi la boucle du collier qui retenait mon cœur prisonnier.
Le noir m'envahit. Mon esprit se ferme, mon corps comme emprisonné dans une bulle d'air qui maintient ses mouvements. Je ressens cette énergie s'emparer de moi petit à petit. Mes membres se contractent, l'énergie les traverse comme un flux continu. En reprenant connaissance, ma première inspiration amène jusqu'à moi ce parfum enivrant qui m'obsède depuis des mois à présent. Mon corps m'a l'air de peser une tonne, l'impression d'émerger d'un sommeil éternel. Mes paupières se rouvrent sur un Yoongi inquiet.
Je suis toujours debout, nous sommes toujours dans la même position. Entre temps, les mains de Yoongi sont venus encercler mon visage, ses prunelles inspectent le moindre de mes traits. Son odeur emplit mes sens, mes membres en tremblent de folie.
« Ça va Tae ? »
Un sourire en coin étire la commissure de mes lèvres, un rire mesquin s'en échappe. Il se demande ce qu'il me prend, des questions par milliers se bousculent dans son esprit. C'est pourtant simple ... Je vais te bouffer. Mon buste se penche en avant, ma bouche arrive au niveau de son oreille.
« Merci beaucoup Yoongi ... grâce à toi, je suis totalement moi-même. » Ricané-je avec une pointe de cruauté.
Il s'écarte pour me regarder, cependant, je ne lui en laisse pas le temps et le plaque contre une des poutres du pont. Un gémissement de douleur franchit ses lèvres, mes oreilles se délectent de ce son. Mon nez se faufile alors vers son cou, mon souffle froid s'abat sur sa peau bouillante.
« J'aime énormément l'odeur de ton sang, tu me permets que j'y goûte ? » Demandé-je, une pointe de sadisme dans la voix.
Yoongi ne me répond pas, ses membres sont tendus. Il doit en ce moment amèrement regretter de découvrir cette facette de ma personnalité. Mon sourire s'agrandit lorsque son odeur délicieuse se trouve juste sous mon nez. Mes canines s'allongent, brûlent d'envie de se planter dans son épiderme satiné. Ses épaules sont prises de tremblements. Je m'arrête un instant. Yoongi a peur ? Impossible, rien ne dégage de lui. Un petit rire étouffé arrive alors jusqu'à mes oreilles puis en vient un autre, moins bien dissimulé. Il explose finalement de rire, ayant de ne plus pouvoir se retenir.
Je m'écarte de lui et l'observe s'esclaffer. Il soutient ses côtes, plié en deux, complètement hilare. Sa réaction me plonge dans une confusion certaine. Il se calme un peu, encore secoué. Ses pupilles croisent alors les miennes arrondies de stupeur, et ses éclats de rire reprennent de plus belle.
« Non mais je... je... attends... tu p-pourras me mordre... m-mais... après que je me s-sois calmé. » Réussit-il à articuler entre chacun de ses rires.
Ce battement féroce dans mes veines s'adoucit en le voyant ainsi, mon adrénaline redescend petit à petit. Son sourire radieux diffuse des milliers de frissons dans mon estomac.
Sa respiration redevient régulière au bout de quelques minutes, son rire se tarit. Des larmes perlent au coin de ses yeux, il s'empresse de les enlever d'un revers de manche puis me regarde avec cette étincelle. Mon corps est figé, je ne l'ai pas quitté des yeux, ne serait-ce qu'une seule seconde. Il se redresse et m'octroie un grand sourire.
« Désolé, je m'attendais pas du tout à ce genre de comportement Tae et du coup j'ai pas pu m'empêcher... »
« De rire ? » Répliqué-je.
« Oui, ça m'arrive parfois ... »
J'émets un léger soupir et me pince l'arrête du nez.
« Tu m'as surpris. » Boudé-je à moitié.
« Toi aussi. » Pouffe-t-il.
Des petites rides se forment aux bords de ses yeux espiègles. Je croise les bras sur mon torse pour marquer mon mécontentement et l'inspecte, curieux, comment fait-il pour rester aussi calme ?
« Tu m'as coupé l'envie de te mordre. » Grommelé-je.
« Tu peux toujours hein, je t'autorise. » Rigole-t-il.
« Non. »
Mon ton froid lui arrache encore un rire discret. Il se rapproche ainsi de moi tandis que je recule, les sourcils froncés, me demandant encore ce qui lui passe par la tête. Une mine taquine détend son visage.
« À part le fait que tu m'aies sauté dessus... franchement, tu ne changes pas Tae. » Me sourit-il. « Toujours autant de fierté mal placée. »
« Bien sûr, je suis encore moi. » Dis-je en levant les yeux.
« Je sais et c'est bien pour ça que je t'ai enlevé le collier. Si ton changement de comportement, c'est juste le fait de me sauter dessus, je vais te l'enlever plus souvent ... »
Un sourire en coin étire ses lèvres. Mon corps s'enflamme à sa remarque. Est-ce qu'il est fou ? Je lui claque l'arrière de la tête pour qu'il cesse ses taquineries.
« Dis pas des trucs comme ça. »
J'essaie de garder un air confiant, mais à l'intérieur, mon cœur s'emballe. Yoongi continue son avancée, sa présence me surmène. Je n'arrive plus rien à contrôler, seule mon expression faciale demeure la même.
« Pourquoi ? Je te déstabilise Tae ...? » Ses yeux ont un je-ne-sais-quoi qui fait faire des loopings à mon estomac.
« Dis ... pas n'importe quoi ! »
Son visage se rapproche du mien. Je le repousse, il saisit mes mains. Un petit sourire naquit sur ses lèvres, ses traits s'adoucissent. Le cœur au bord des lèvres, j'abandonne. Mes mains qui étaient restées suspendues, s'abaissent lentement. Je le laisse ainsi, proche, pour qu'il puisse voir mon visage, sans pudeur.
« Magnifique ... » Susurre-t-il, imperceptiblement.
Un sourire angélique orne ses lèvres, il est beau.
Une mine soucieuse se forme cependant sur ses traits. Son regard descend dans mon cou. Il comble ainsi l'espace infime entre nos corps et pose ses doigts dans mon cou. La sensation de son toucher me chamboule. Un tremblement, un soupir. Mon cœur se décroche du tempo, prêt à exploser. Son pouce trace alors la ligne où se trouvait mon collier, mes mots se coincent dans ma gorge. Je me sens défaillir.
Il soupire.
« Tu vois... » Commence-t-il tout bas. « Je préfère mille fois que tu me mordes plutôt que tu sois blessé. »
« Pourquoi tu dis ça ? » Chuchoté-je.
« Parce que ces bleus dans ton cou me font autant souffrir qu'une balle en plein cœur. » Dit-il sur le même ton.
Ses doigts intensifient leurs caresses, mes joues prennent feu. Son visage s'enfouit alors dans le creux de mon cou et ses lèvres se déposent avec délicatesse sur mes marques de torture. Ce baiser est rejoint par une dizaine d'autres qui saupoudrent ma peau de frissons incontrôlables. Mon corps est pris dans un brasier ardent et ne peut y échapper. Mes jambes tremblantes n'arrivent plus à supporter mon poids. La tendresse de ses baisers me transporte et détache une ou deux larmes de mes yeux.
Chacune de ses caresses, chacun de ses baisers retracent ma souffrance et referment mes plaies. Mes mains se faufilent dans ses cheveux et accentuent ces émotions qui ébranlent mon corps. C'est la première fois dans ma vie que mon cœur bat aussi fort. Il bat si fort pour lui. Yoongi répare mon âme brisée et l'enveloppe de sa chaleur.
Je deviens dingue.