Elle ne dit rien, son regard fixé vers l'horizon qui défile à grande vitesse. Déjà que conduire la nuit sur une autoroute déserte, c'est ennuyant, alors quand les deux asticots de derrière dorment et que Maya ne dit rien, je ne vous raconte pas l'ennui mortel. J'essaie de me concentrer au maximum, mais on me connait, je préfère imaginer mille scénarios sur les parents de Maya plutôt que d'être à fond dans ma conduite.

Mais c'est juste que cette histoire est trop louche. Au début, je n'y avais vraiment pas fais attention, j'étais trop préoccupée par son état de santé. Seulement, maintenant que ça va mieux, j'ai plein de questions. Puis le fait que je roule sur une route déserte n'aide pas non plus à me focaliser sur autre chose que cette histoire.

Au départ, c'était super crédible qu'elle soit chez Mathis tout l'été parce que ses parents font du bénévolat. Je trouvais ça plutôt cool en fait. Il n'y avait aucun doute, jusqu'à l'accident. Depuis celui-ci, je suis peut-être parano, mais je trouve tout étrange.

Déjà, truc super bête, mais sa chambre : c'est vrai les parents de Mathis sont super riches donc c'est normal qu'elle ait sa chambre, mais je la trouve beaucoup trop personnelle pour être une chambre de deux mois. Je veux dire, qui amène autant d'affaires pour si peu de temps ? Et je ne vous parle pas niveau fringue. Non, non là je vous parle de ses objets, de ses posters, des photos affichées un peu partout. Tout ce genre de choses qu'on n'est pas censé emmener en vacances.

Deuxième point : elle ne parle jamais de ses parents. Ok, ce n'est pas le sujet hyper tendance, mais elle n'a jamais dit quoi que ce soit sur eux. Même quand on a appris que ses parents étaient à l'étranger, c'est Mathis qui l'avait dit. Moi non plus je ne parle pas souvent de mes parents, mais j'ai bien dû lâcher un "ma mère est reloue" ou un truc du genre.

Évidemment, il y a aussi l'accident. C'est vraiment à partir de ce moment que je me suis posée des questions. Actuellement ma mère me déteste et me renie plus que jamais, mais je suis presque sûre que si elle savait que j'étais à l'hôpital dans le coma, elle serait venue. Ou alors les parents de Mathis la kidnappent et ses parents n'ont pas été prévenu ? Ou ils n'ont pas été prévenu pour ne pas les inquiéter ? Mais ce n'est pas logique, elle était dans un état grave quand-même.

—    Tu peux te concentrer un peu plus sur la route ? Tu me fais peur à avoir le regard dans le vide comme ça, m'interrompt Maya.

—    Désolé, dis-je en me concentrant de nouveau sur la route.

Le silence revient de plus belle, mais pas assez longtemps pour me replonger dans mon enquête.

—    Mon père est en prison, dit Maya sèchement sans rien ajouter.

Je le savais ! Enfin non pas tout à fait, mais je savais qu'il y avait une histoire bizarre autour de ses parents. J'aurais pu lui poser tout un tas de questions, mais j'ai préféré me taire. J'ai préféré lui laisser le choix : celui de garder tout pour elle ou celui de se confier à moi.

—    Il a pris 3 ans pour vol, dit-elle, laissant monter les larmes aux yeux.

Ma mère nous a abandonnés quand j'étais petite, je n'ai eu aucune nouvelle depuis. Je ne sais pas pourquoi je te dis ça, désolé.

—    Tu peux continuer si tu en as envie, je t'ai dit, je suis super forte pour écouter.

Elle reste de nouveau silencieuse un petit instant avant d'ajouter :

—    Il a volé parce qu'on était dans le besoin et qu'il ne s'en sortait plus avec ses deux emplois. Le pire dans tout ça, c'est qu'on m'a interdit d'aller au procès et mon père n'a jamais voulu me dire ce qu'il avait essayé de voler. Au début, je ne savais même pas pourquoi on l'envoyait en prison. J'ai cherché à savoir pendant des mois, mais personne ne me répondait. J'ai fini par laisser tomber parce que le résultat est le même : peu importe l'objet, il l'a volé. Je ne lui en veux même pas d'avoir volé, je lui en veux de m'avoir abandonné, comme ma mère.

—    Mais si ça fait trois ans, il devrait bientôt sortir non ? demandé-je sous l'emprise de ma curiosité.

—    À la fin de l'été oui. J'avoue que je redoute plus que tout ce moment, je ne sais pas comment réagir. Il m'a énormément manqué et en même temps je suis en colère contre lui.

J'essaye vraiment de ne pas trop poser de questions, mais ma curiosité est plus forte que moi.

—    Dis-moi si je dois arrêter de poser des questions, mais tu vivais où avant d'arriver chez Mathis ? Pourquoi tu n'es pas arrivée plus tôt ?

—    Je vivais avec mes grands-parents, ils sont plus proches de là où j'habitais donc ça m'a permis de rester dans le même lycée.

J'étais prête à continuer mon interrogatoire, mais elle m'a devancé.

—    Enfin bon, maintenant que tu sais tout, si tu pouvais le garder pour toi s'il te plait. Ce n'est pas que je ne fais pas confiance aux autres, c'est juste que ça fait trois ans que je suis la fille du prisonnier et je veux juste être Maya pour une fois.

—    Je ne dirais rien ne t'en fais pas. On dit que les ados sont compliqués, mais c'est faux, les pires ce sont les adultes. Si tu veux tout savoir, ma mère m'a fichu à la porte. Je crèche chez Éva depuis quelques jours.

Le fait qu'elle se confie à moi m'a peut-être mise un peu trop en confiance. Je regrette instantanément cet aveu que je viens de lui faire. Personne ne devait savoir pour ma situation, je ne voulais pas attiser la pitié et surtout pas de la part de Maya. Je ne veux pas qu'on me regarde différemment parce que je n'ai plus de toit.

—    Ta mère a enfin vu à quel point tu étais insupportable ? finit-elle par répliquer.

—    Elle ne supportait plus d'avoir une fille aussi parfaite que moi, dis-je ironiquement.

—    Si jamais Éva te supporte plus, tu pourras toujours passer à la maison.

Je ne peux lui répondre que par un sourire. Un sourire qui, pour je ne sais quelle raison, reste fixé à mon visage plusieurs minutes. En réalité, ce n'était pas quelques minutes, c'était deux heures, deux heures à avoir ce fichu sourire simplement parce que je l'entends me raconter des anecdotes sur son enfance. Son visage s'est illuminé de nouveau et je crains que son bonheur ne me contamine.

Le trajet passe alors beaucoup plus vite, les kilomètres s'enchainent, nous rapprochant de plus en plus de notre destination. Mathis et Éva se sont finalement réveillés pour la pause. Depuis, impossible de les faire taire. Le son de plus en plus fort, nous chantons à pleins poumons sur des musiques des années 80. Face à nous, la route et le soleil se levant petit à petit. Je vis ce moment tellement intensément que j'ai l'impression qu'il est suspendu dans le temps. Je sens mon cœur se remplir de toutes ces bonnes ondes qui m'entourent.

Éva a pris la relève pour la conduite, j'aurais pu dormir et me reposer, mais je ne veux perdre aucune miette de ce spectacle qui se joue devant mes yeux. Mes amis, chantant, dansant, respirant la joie de vivre. Des moments si précieux, qui gardent en vie. Je ne veux pas oublier parce que, plus tard, je veux me souvenir que j'ai vécu et non survécu.

IdioteWhere stories live. Discover now