Chapitre 17

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Les jours suivants, je n'ai pas arrêté d'être sermonnée par Éva. Évidemment, je lui ai assuré que ce n'était qu'un jeu, car c'est le cas. C'est seulement un jeu. Mon cœur est bien protégé. Tout ce que je fais, ce sont les actions dictées par ma tête.

Je n'ai pas revu Maya depuis l'autre jour, mais on se parle souvent par message. Ce n'est pas quelque chose qu'on faisait, mais le fait d'avoir passé une journée que toutes les deux nous a rapprochées. Évidemment, j'ai pris bien soin de répondre au moins une heure après chaque message, c'est une règle d'or. Il faut savoir se laisser désirer.

Comme au moins une fois par semaine, Mathis organise une soirée, et devinez quoi ? C'est ce soir. Sans Mathis et ses fêtes, je pense que je m'ennuierais profondément.

Ce soir, plus que les autres, j'ai vraiment hâte d'y être, car oui, cette nuit, je finirai enfin par gagner mon jeu. Elle va craquer, succomber. Le meilleur dans tout ça ? C'est que pour une fois, je suis contente d'être Sam. Mathis nous a prévenus qu'on ne pourrait pas rester dormir et j'ai perdu sur un pile ou face avec Manelle. Pour moi, pas d'alcool ce soir, et je jubile d'avance de profiter de ma victoire. Rien ne viendra se mettre entre Maya et moi, j'aurai l'esprit clair et je serai sûre de ne pas avoir de trou noir. Je suis tellement pressée que j'arrive moins en retard que d'habitude. La surprise est générale vu la tête d'Éva quand je débarque.

Le salon est bondé de monde, le jardin est envahi par de nombreux jeunes totalement ivres. Je peine à croire que la fête a débuté aussi vite. Il est encore super tôt et la plupart des personnes présentes sont déjà bien éméchées. Je sens qu'on va bien s'amuser.

La soirée bat son plein, la musique est à fond et l'alcool coule à flot. Je regrette presque de ne pas pouvoir boire. Mes regrets s'évaporent aussi vite lorsque j'aperçois l'objet de mes désirs.

Elle danse, bouteille à la main, titubant à moitié. Je pense que je ne l'ai jamais vu aussi bourrée, elle tient à peine sur ses jambes. C'est peut-être parce que d'habitude je suis aussi éméchée qu'elle, voire plus. Je l'observe, de loin, découvrant encore une fois une nouvelle facette. Elle danse au milieu de tous ces gens, et pourtant, elle donne l'impression d'être seule au monde. En tout cas, je ne vois qu'elle.

Un garçon vient alors s'aventurer près de cette jolie fille aux allures inaccessibles. Il vient se coller à elle afin de suivre ses mouvements et, automatiquement, Maya a un mouvement de recul. Puis elle fait tomber la bouteille dans la foulée. Le garçon étant visiblement débile à souhait ne renonce pas et tente de mettre ses mains le long de ses hanches. Une envie alors irrépressible monte en moi. Je m'apprête à lui éclater la tronche, mais Maya a pris de l'avance et lui donne un bon coup poing dans les parties génitales. Il s'écroule en gémissant pendant que Maya fuit la piste de danse en direction de l'étage. J'en profite pour la suivre et m'assurer qu'elle va bien.

Je la retrouve toute recroquevillée sur son lit, en pleurs. Tout en restant au pas de la porte, je lui demande si je peux entrer. Elle dit oui de la tête, séchant ses larmes au passage, comme si elle pensait que je n'avais rien vu. Je m'assois à ses côtés, mais ne dis rien. Je ne sais pas réconforter les gens, et dans ce genre de moments, la seule chose que je sais faire, c'est être là. Elle finit par s'allonger, la tête sur mes cuisses.

—    Pourquoi les hommes sont comme ça, dit-elle d'une petite voix. Pourquoi ils se sentent supérieurs ? Je veux dire, on n'est pas des proies, on est des femmes, des êtres humains. On devrait être traité comme tel. J'en ai marre de passer ma vie à avoir peur dès que je ne suis pas entourée. Marre d'être constamment traitée comme un objet qu'on peut posséder comme bon lui semble. Tu veux savoir le pire dans tout ça ? C'est que ce mec-là il ne comprend pas pourquoi j'ai agi comme ça, il pense que ce qu'il a fait est normal. Il pense que toucher le corps d'une femme, se coller à elle, c'est normal. Il dira sûrement « mais tu as vu sa tenue et comment elle dansait, c'est forcément une invitation ». Alors non ! Non, faire ce qui me chante n'est pas une invitation. Je déteste clairement les hommes.

Elle a débité ça tellement vite. Il n'y a pas de doute, ça sortait du plus profond de son cœur. Et dans tout ça, elle n'a pas tort, certains hommes se permettent des libertés qu'ils n'ont absolument pas à avoir.

Je ne suis pas du tout une trouillarde, mais je ne compte plus le nombre de fois où je ne me sentais pas en sécurité en passant devant un groupe d'hommes. Je ne compte pas non plus les fois où je me fais klaxonner, ni même tous les regards déplacés, peu importe le lieu. Les hommes s'acharnent à dire que c'est la faute des femmes, à cause de leur tenue ou comportement, alors qu'en réalité, le problème, c'est bien eux.

—    Ils ne sont pas tous comme ça, dis-je finalement. Regarde Mathis ou Hugo, ce sont des garçons corrects.

—    Évidemment qu'ils ne sont pas tous comme ça. Mais tu vois bien qu'à chaque soirée, chaque sortie, il y aura forcément une attitude déplacée de la part d'un homme.

—    Je suis d'accord, mais on y arrivera, tu sais, à avoir cette foutue égalité et le respect qui nous est dû.

Elle relève la tête et me regarde, les yeux rouges et boursouflés. Elle, qui est si confiante, paraît à ce moment, tellement vulnérable, comme une petite fille perdue à la recherche de quelqu'un à qui se raccrocher.

Ses lèvres viennent alors se déposer sur les miennes et je comprends tout. Elle essaye de s'accrocher à moi, mais je ne suis pas solide, je ne suis qu'un rocher menaçant de tomber à chaque instant. Je peine déjà à me supporter alors je ne peux pas être le point d'attache de quelqu'un d'autre. On risquerait de tomber, s'écraser et finir par se briser.

Je fais un mouvement de recul, mettant fin à ce baiser. J'ai gagné, elle a craqué. Mais cette victoire a un goût tellement amer. J'ai clairement l'impression d'avoir profité d'elle dans une situation où elle était vulnérable. Pourtant, c'est elle qui m'a embrassé, moi, j'étais juste là.

Je sors de la chambre sans me retourner et dévale les escaliers. J'ai honte, je suis gênée, je regrette, autant de sentiments que je n'ai pas l'habitude de ressentir. Je cherche Éva et Manelle partout, mais aucune trace. Elles ne sont jamais là quand il le faut celles-la. J'attrape un paquet de chips et une bouteille d'eau dans la cuisine avant de filer à toute vitesse jusqu'à ma voiture. C'est le seul endroit où je suis sûre que personne ne viendra m'embêter. Je crois que je suis en train de culpabiliser alors je vais manger encore et encore jusqu'à ce que je culpabilise pour autre chose que pour Maya.

Pendant au moins une heure, je reste seule avec mes chips, repassant en boucle ce qu'il vient de se passer. J'aurais aimé continuer ce baiser, que ses douces lèvres restent. Mais je ne pouvais pas non plus rester et profiter de sa vulnérabilité. J'aurais dû être présente, la rassurer et lui dire que tout irait bien. Mais je suis partie, j'ai fui.

Éva a raison. Elle m'a un peu atteinte et ça ne doit pas arriver. Je ne devrais même pas culpabiliser d'avoir réussi mon objectif. Je dois reprendre totalement le contrôle. Ça vaut mieux, autant pour elle que pour moi. J'en ai fini avec Maya, j'ai gagné, il est temps de changer de jouet.

Je retourne à la soirée, dans un état d'esprit totalement différent. J'avoue qu'un peu d'alcool m'aurait bien aidé, mais on peut s'amuser sans. Je débarque comme une star sur la piste de danse et commence à chercher de vu ma prochaine target. Bingo ! Cette jolie fille assise sur le comptoir de la cuisine sera ma nouvelle occupation.

Maintenant que j'ai fait craquer Maya, tout semble beaucoup plus facile. Il ne m'a fallu que quelques pas de danse, des regards charmeurs, et le tour est joué.

Le pire dans tout ça ? C'est que je passe plus de temps à regarder Maya de loin qu'à séduire cette fille. Mon cœur s'est réveillé pour une fois, mais ma tête ne l'a pas laissé faire. Je me répète en boucle que Maya est une fille comme les autres, espérant que je finisse par y croire.

Les paroles ne suffisant pas, j'agis. J'embrasse à pleine bouche la demoiselle qui n'attendait que ça. Au loin, je croise son regard, celui qui me montre que tout est fini.

IdioteWo Geschichten leben. Entdecke jetzt