Chapitre 9

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Réveil compliqué, je ne capte pas encore où est-ce que j'ai dormi, comme d'habitude j'ai envie de dire, mais j'ai mal au dos. Ceci me dit que j'ai dû m'endormir à même le sol.

Bingo ! Sur le sol du salon, entre un carton de pizza et le panier du chien. Un peu plus loin, Éva dort dans une position indescriptible. Je me demande même comment est-ce qu'il est possible de s'endormir comme ça. Ça ressemble plus à une position de torture qu'autre chose.

J'arrive à me redresser, ce qui me permet d'avoir une vue d'ensemble. Hugo et Cassandra dorment dans les bras l'un de l'autre sur le canapé. Maya, elle, dort toute recroquevillée sur l'autre extrémité du canapé. Elle a cet air si innocent. Elle porte toujours mon tee-shirt trop grand pour elle.

Plus loin, au niveau de la cuisine à l'américaine, Mathis, Samy et Billy prennent leur petit-déjeuner tranquillement.

Après de longues minutes à essayer de me réveiller, je me lève enfin et les rejoins. En passant devant un miroir, je fais face à un zombie. Oh mince mais c'est moi ! Je fais vraiment peur à voir.

Mathis me tend un bol que je refuse gentiment. Actuellement, je ne peux rien avaler, je risque de tout dégobiller.

Je vois au loin sur le plan de travail mon téléphone. Je m'en saisis et me rends compte que je vais être dans une sacrée merde. Quatorze heures trente, dix appels manqués, treize messages de maman. Ça y est, la fin est proche pour moi.

—    Merde, il faut que je rentre. À plus les gars.

—    Tu comptes partir en soutif ? me fait remarquer Billy.

Effectivement, j'avais oublié que mon tee-shirt avait été kidnappé par une certaine personne. Je la regarde, mais je n'ai vraiment pas envie de la réveiller. Elle est beaucoup trop mignonne. Bon bah on part sur le plan B pour gagner du temps. Je m'éloigne et sors dans le jardin. Je prends une grande inspiration avant d'appuyer sur le bouton « appeler ».

—    Allo maman ?

—    Non mais tu te fous de moi ?! Il est bientôt quinze heures.

—    Oui je sais et je suis désolée. On vient de se réveiller, on a regardé beaucoup de films hier soir et on s'est endormies tard.

—    Ce n'est pas raisonnable, je commençais sérieusement à m'inquiéter. Bon, rentre maintenant, on a plein de chose à faire.

—    Oui, je fais au plus vite.

Je raccroche et relâche la pression. Elle n'a rien capté. Des fois, j'ai vraiment l'impression qu'elle le fait exprès. Ce n'est pas possible d'être aussi aveugle. Parfois il n'y a rien de crédible dans ce que je raconte. Mais heureusement, la mission est réussie, ma mère est prévenue donc elle ne m'en voudra pas si je mets un peu de temps à rentrer.

Lorsque je retourne à l'intérieur, tout le monde est réveillé. Éva est enfin assise correctement et Maya est toujours recroquevillé dans son bout de canapé. Je m'assois à côté d'elle et nous nous regardons silencieusement.

—    Il faudrait que tu me rendes mon tee-shirt, dis-je, rompant le silence.

—    Ah oui, désolé, dit-elle, remarquant le grand tissu recouvrant son corps.

Elle l'enlève directement et me le tend. Je l'enfile rapidement et lui fais un bisou sur la joue avant de filer.

Assise au volant de ma voiture, je me rends alors compte du baiser que je viens de lui donner. Je l'ai fait totalement inconsciemment, instinctivement. Ça ne me ressemble pas du tout, mais je relativise. J'entre seulement dans son jeu.

Mon tee-shirt est imprégné de son odeur. Et ça ne me déplaît pas du tout. J'ai comme l'impression de l'avoir contre moi. Et bizarrement, c'est plutôt réconfortant.

En rentrant, ma mère m'attend dans le salon, d'un air grave.

—    Alex, il faut vraiment qu'on parle des vacances à Vannes, me dit-elle sans passer par quatre chemins.

—    On en a déjà parlé maman, je n'irai pas.

Je monte dans ma chambre sans prendre le temps de lui accorder plus d'attention et m'affale sur mon lit. Mais comme je le pensais, ma mère m'a suivie. Le sujet qu'elle essaye d'aborder avec moi est sensible. J'arrive à y échapper à chaque fois, mais là, je sens que je vais devoir y faire face.

—    Il est important que tu viennes avec nous. Cela fait trois ans que nous n'y sommes pas allées. Je t'ai laissé du temps, mais cette fois, c'est le moment.

—    Je ne veux plus jamais y retourner ! Dis-je la gorge serrée.

—    Ton père est parti, mais nous avons encore beaucoup de famille là-bas. Il est important de rester en contact avec eux.

—    Arrête.

—    Alex, ton père est mort.

C'en est trop et elle le sait, elle a franchi la ligne, celle à ne surtout pas dépasser. Mon cœur se brise, laissant remonter le seul sentiment que j'arrive à exprimer : la colère.

—    Va-t'en !

Cette fois, elle ne prend pas de risque. Elle s'en va, le regard triste et apeuré. Malheureusement pour l'objet le plus proche de moi, il finit complètement explosé contre le mur. L'impact fait un bruit sourd, laissant une trace sur le mur qui, à la base, était parfaitement blanc.

Je ne veux pas penser à ça, ne surtout pas y penser. Pourtant, toutes les images de mon père finissent par remonter les unes après les autres. J'ai beau lutter, elles sont là, envahissant mes pensées.

Finalement, sous une nouvelle montée de colère, un deuxième objet vient rejoindre le premier. Ma respiration s'étant accélérée, j'essaie de la ralentir. « Alex, on ne casse pas ses affaires, on en prend soin. Si tu es en colère alors va courir » c'était la phrase que mon père me disait lorsque que je faisais mes crises de colère. Ça a toujours marché. Courir est pour ma part quelque chose de libérateur.

Sans perdre de temps, j'enfile des baskets, mets mes écouteurs et dévale les escaliers.

Quarante-deux minutes sans m'arrêter, c'est plutôt pas mal. Mais pas assez. Ma colère est encore là. J'ai besoin de mon père, je veux qu'il soit là. Je veux retrouver mon meilleur ami, mon confident.

J'ai toujours eu un rapport compliqué avec l'amour, sous toutes les formes. Mon père est le seul qui a reçu mon amour tout entier, sans aucune limite. Il savait tout de moi, rien ne pouvait lui échapper.

Autant ma mère est complètement aveugle, autant mon père décelait chaque détail. Avec lui, il n'y avait aucun mensonge et c'est ce qui me plaisait. Il ne m'a jamais jugé, même quand nos opinions étaient différentes.

Il m'a appris à garder espoir peu importe la situation. Même quand j'ai su qu'il était malade, je n'ai jamais cessé d'espérer, grâce à lui.

Mon père est un héros, il était MON héros. Il ne pouvait pas partir, m'abandonner. Il n'avait pas le droit.

Malheureusement, la maladie a été plus forte et l'a emporté. J'ai passé des heures, des journées, des semaines à pleurer toutes les larmes de mon corps. Je crois que j'ai fini par épuiser mes réserves, car depuis ce temps, plus une seule larme n'a coulé le long de mes joues.

J'ai fini par repousser toute sorte d'amour. Comment pourrais-je aimer de nouveau ? Pourquoi ferais-je le choix débile de prendre le risque de souffrir à nouveau.

—    Alex ?

Oh non, ce n'est pas le moment. Je ne veux croiser personne, pas même la personne qui occupe beaucoup mes pensées ces derniers jours.

—    Euh salut Maya, je n'ai pas le temps de te parler là.

Et je repars aussitôt, laissant Maya dans l'incompréhension. Je pense sérieusement que j'ai la poisse. Pourquoi est-ce qu'elle sortait le chien de Mathis ce jour-là, à cette heure précise ? Le destin ? Je n'y crois pas. Pourquoi passer sa vie à faire des choix difficiles si notre avenir est déjà tracé ? Elle est où notre liberté là-dedans ? Le destin m'aurait enlevé mon père, alors je préfère ne pas y croire.

IdioteWhere stories live. Discover now